Ce numéro spécial de la Revue suisse d’anthropologie sociale et culturelle souhaite prêter attention aux pratiques d’assemblées comme outil de décisions collectives au sein de groupes humains qui revendiquent des formes multiples d’autonomie politique vis-à-vis des États. Ce dossier se propose d’ethnographier des processus décisionnels dans divers espaces sociaux, aussi bien en contexte autochtone postcolonial (Amazonie, Andes, Amérique du Nord) que dans un mouvement social de l’Europe occidentale (Espagne). La description de ces réunions donne à voir une multiplicité de stratégies que les personnes inventent et mettent en œuvre pour décider ensemble, former une union politique et essayer de faire société selon des termes distincts de ceux qui caractérisent le modèle étatique. Par-là, ces ethnographies invitent à réinterroger les outils conceptuels de l’anthropologie pour penser le politique.
This special issue of the Swiss Journal of Sociocultural Anthropology focuses on assembly practices as a tool for collective decision-making within human groups that claim multiple forms of political autonomy from States. The aim of this dossier is to ethnograph decision-making processes in various social spaces, both in a post-colonial indigenous context (Amazonia, Andes, North America) and in a Western European social movement (Spain). The description of these meetings reveals a multiplicity of strategies that people invent and implement in order to decide together, form a political union and try to build a society on terms that are distinct from those that characterize the state model. In doing so, these ethnographies invite us to reconsider the conceptual tools of anthropology for thinking about the political.
Au tournant des années 1970, assemblées, conseils ou autres comités deviennent des objets d’enquête pour l’anthropologie grâce aux travaux des tenants de l’école structuro-fonctionnaliste britannique qui, après avoir établi une typologie des systèmes politiques africains, proposent d’amorcer une exploration du politique en actes, par l’ethnographie des rassemblements (Bailey [1965] 2004 ; Richards et Kuper 1971). Depuis, les réunions constituent des phénomènes qui ne cessent d’intéresser la discipline et plus largement les sciences sociales et politiques (Detienne 2003 ; Brown et al. 2017 ; Sandler et Thedvall 2017). Cet intérêt régulièrement renouvelé peut s’expliquer par la puissance comparative d’un tel objet, qui fournit « un lieu » au politique (Abélès 1983), un ancrage empirique et temporel propice à la description comparée de formes distinctes d’organisations dans des collectifs aux histoires et aux cultures variées. Ainsi, si se réunir en assemblée pour décider ensemble captive, malgré l’apparente banalité du fait, c’est que cet acte continue d’être perçu comme expression par excellence du politique ; l’assemblée étant tout à la fois lieu de production et de reproduction de statuts, de normes et de rapports de pouvoir, et espace souvent idéalisé de participation égalitaire à la gestion de la chose commune. Dans tous les cas, elle reste appréhendée comme le moteur privilégié de l’union politique : selon les structuro-fonctionnalistes, on se rassemble d’abord pour maintenir un « ordre social », ou du moins pour construire et pérenniser la cohésion d’un groupe. Cette conception de l’assemblée pourrait-elle toutefois cacher une vision « statocentrée » de l’union politique, qui suppose la préexistence de l’unité du collectif à l’assemblée, comme c’est le cas dans les États modernes, et dont la raison d’être serait la conservation de cette unité ? Dans cette perspective, de telles réunions ne seraient alors que l’expression de cette cohésion première, tout en lui donnant corps et en la donnant à voir. Cette manière d’appréhender les mondes et les phénomènes sociaux à partir d’ensembles politiques qui seraient en quelque sorte toujours déjà là, ou préconçues, caractérise, comme ce numéro essaie de le montrer, des modes de pensées et d’action de type étatique.
Afin de contraster cette compréhension univoque de l’union politique portée par les États, ce numéro spécial de la Revue Suisse d’Anthropologie Culturelle et Sociale vise à mettre en lumière d’autres logiques de l’union politique et du « décider ensemble » (Urfalino 2021) au sein de groupes humains qui revendiquent des formes multiples d’autonomie politique vis-àvis des États, aussi bien en contexte autochtone postcolonial (Amazonie, Andes, Amérique du Nord) que dans un mouvement social de l’Europe occidentale (Espagne). De quelles manières ces groupes issus d’horizons géographiques et culturels fort divers inventent-ils, chacun à leur manière, des pratiques d’assemblée se distinguant, ou se situant parfois même en franche opposition, à l’égard des modalités d’organisation et de décision promues par les États modernes ? Comment ces modes d’êtres collectifs se démarquent-ils des mécanismes gouvernementaux qui s’imposent à tous et à toutes et en tout lieu, tant sur le plan normatif que sur celui des catégorisations identitaires – et ce, sans tenir compte des volontés et des spécificités locales ?
Afin d’analyser ces modalités complexes de l’autonomie au sein de collectifs cherchant à construire une cohésion politique distincte des formes imposées par les États, nous avons choisi d’adopter une méthode comparative. Nombreux sont les écueils de cette méthode qui, néanmoins, semble incontournable au moment d’introduire un dossier thématique dans un texte que nous ne voudrions pas réduire à la simple superposition de résumés. Entre autres choses, le fait de contraster des réalités denses, complexes et « uniques » octroie nécessairement une place considérable aux constructions analytiques, et ce, au détriment sans doute du détail de la parole des locuteurs et locutrices (Candea 2018 ; Traimond 2005). Pour pallier cette difficulté, nous avons choisi de regrouper des textes privilégiant des approches mettant largement en avant les témoignages des actrices et des acteurs, dont nous avons ensuite tenté, autant que possible, de restituer les voix dans cette introduction. Ce dossier ne prétend pas épuiser les problématiques relatives au fonctionnement des assemblées présentées dans ces pages, notamment celles relatives aux possibilités de prise de parole et de participation des personnes au regard de critères socioéconomiques, de genre, d’assignation ou d’identification raciale, bien que ces questionnements surgissent à la lecture des articles. Nous avons choisi de nous concentrer davantage sur les contrastes, cultivés par les membres de ces assemblées elles et eux-mêmes entre leurs manières de s’unir et de décider ensemble et celles que proposent le modèle étatique.
Plus précisément, l’heuristique comparative que nous avons voulu développer opère à deux niveaux simultanément. D’une part, nous avons voulu contraster les formes de socialité imposées par les États modernes, avec les modalités d’organisation et de décision au sein d’assemblées désirant s’émanciper des premiers. Cette démarche, reposant sur un principe d’opposition, nous a permis de mettre en lumière les particularités propres à chacun de ces pôles se caractérisant par des logiques distinctes de l’union politique. D’autre part, nous avons tenté de rapprocher les multiples expériences sociales décrites par les autrices et les auteurs, afin de comprendre leurs contrastes communs avec les formes sociales promues par les États. La particularité de cette dernière démarche est d’avoir mis en corrélation des collectifs qui, bien que caractérisés à première vue par des différences considérables (sur le plan culturel, économique, ou même social), peuvent selon nous être rapprochés, du fait du type de socialité qu’ils développent à travers leur pratique d’assemblée dans leur rapport à l’État.
Ainsi, ce travail comparatif qui a été mené autour de ces diverses assemblées se voulant autonomes nous a permis de dégager une forme de la décision collective qui tend, nous semble-t-il, à construire et à maintenir une cohésion politique selon des termes distincts de l’uniformité sociale postulée et imposée par les États. Nulle velléité séparatiste de type régionaliste qui se donnerait pour ambition de reproduire des formes étatiques concurrentes des États en place, mais bien recherche ou mobilisation de modalités non-étatique d’union politique. De la sorte, ces collectifs critiquent l’idée d’une communauté culturelle homogène réunie sous la bannière d’une nation unique, ils interrogent les modalités de gouvernement et de décisions centralisées, ou encore, comme l’illustrent ici singulièrement les exemples mohawks (Blouin) et amazoniens (Mouriès), ils questionnent la pratique de la représentation politique. Il apparaît en particulier que les modalités de réunions étudiées dans ces pages esquissent un horizon politique dans lequel l’unité du groupe est fortement conditionnée à la préservation des possibilités de s’en détacher (Bulle 2020 ; Verdier 2021) : l’originalité de ces collectifs, en effet, est que pour réaliser l’union, il semble paradoxalement nécessaire de produire et de respecter des valeurs qui tendent à la scission des groupes (Allard 2020 ; Walker 2012). En cultivant la participation de toutes et tous et en cherchant à respecter les positions de chacun·e, ces groupes instaureraient comme condition du rassemblement l’acceptation de l’éventualité de la dissidence et de leur propre dissolution. Partant, les collectifs présentés dans ces articles donnent à voir et permettent de penser, comme nous tenterons de le montrer dans cette introduction, des « schèmes de l’union politique » (Crignon 2012) qui ne sont pas fondés sur l’idée d’une unité devant être imprescriptible à l’instar de celle que portent les États, mais, sur le constat d’une inévitable fragilité de l’alliance qui pousse leurs membres à rechercher les moyens de faire consentir à son maintien – le temps, au moins, de faire face aux logiques et aux politiques étatiques. Ce faisant, leur but est de s’émanciper, autant que faire se peut, de la puissance uniformisante des États (Scott 2021).
Il ressort avec force que de part et d’autre de l’Atlantique, ces espaces de discussions et de délibérations s’imposent, aux yeux de leurs membres, comme un médium privilégié pour se produire et se reconnaître comme « groupes », à bonne distance des normes et des rythmes de la socialité imposés par les États englobants. En décrivant minutieusement le déroulement de ces réunions, véritables unités de temps et de lieu (voir aussi Brown et al. 2017), il est possible d’observer de manière privilégiée la diversité des stratégies que les personnes mettent en œuvre en assemblée pour essayer de s’émanciper des États et de s’ajuster, rejeter ou composer avec la normativité produite collectivement, autant en termes de valeurs que de décisions communes qui donnent corps à un groupe aux contours fluides. Mais comment ces différents collectifs travaillent-ils concrètement à la réalisation de cette autonomie revendiquée? Quelles en sont les pratiques observables ? Ces praxis, plus ou moins objectivées par les actrices et acteurs sociaux, font émerger des formes contrastées de quêtes vers l’autonomie, comme en rendent compte les contributeurs et contributrices réuni·e·s dans ce numéro. Les articles éclairent alors la multiplicité des dynamiques politiques que leurs interlocutrices et interlocuteurs mettent en œuvre pour revendiquer une existence plus « autonome », à distance des logiques étatiques.
Objet d’étude crucial pour les sciences sociales, la décision collective est un phénomène d’une complexité remarquable qui justifie pleinement un éclairage comparatif (Boholm et al. 2013). Loin d’être la résultante de rationalités individuelles chimériques de type économique (Coleman 1966), calculant coût et bénéfice du projet en discussion, la décision collective repose sur la confrontation d’idées et l’ajustement de valeurs morales, des rapports de pouvoir institués par des différentiels de compétences oratoires et rhétoriques (Bloch 1975 ; Brenneis et Myers 1984 ; Hall 2015), ou encore sur des phénomènes d’inimitié ou d’affinité entre des membres de l’assemblée, fondés par exemple sur des rivalités politiques ou des relations de parenté. Si dans les collectifs que nous proposons d’étudier, toutes les paroles n’ont pas la même force et ne contribuent pas de la même manière à la décision finale, tous les participants peuvent, et sont même encouragés, à prendre la parole lors des réunions. Aussi, comme ailleurs, entrer dans ces agoras pour en comprendre les fonctionnements internes suscite une série de questionnements inévitables relatifs aux modalités de prise de décision : comment s’organisent les échanges d’idées et la coordination des points de vue ? Comment s’expriment les désaccords ? Quels mécanismes permettent d’arrêter les décisions ? Dans quelles mesures ces décisions obligent-elles les membres de ces assemblées ? Sont-elles perçues comme des contraintes ? Quelle place pour l’expression des positions divergentes ? Enfin, qui est légitime pour porter et présenter ces décisions face à des représentant·e·s étatiques et comment des dynamiques de « leadership » se déploient-elles et sont-elles accueillies par les collectifs concernés ?
Comme cela ressort très clairement des articles qui composent ce dossier, si les collectifs hésitent et naviguent entre plusieurs modalités d’arrêt de la décision comme le vote à majorité ou au deux-tiers, le consensus est une modalité d’entente particulièrement valorisée par ces assemblées. Verónica Calvo montre bien, par exemple, que dans les assemblées andines en Bolivie qu’elle étudie, la norme d’une majorité simple est impensable, dans la mesure où les formes de participation au débat se conçoivent davantage « dans les termes d’un accès égal à la prise de décision qui ne correspond pas à la logique proportionnelle ou au principe de représentativité des démocraties libérales ». La légitimité de la décision reposerait alors sur la capacité à construire un consensus avec toutes les personnes présentes – chaque point de vue étant considéré « comme un apport dans le but de construire des positions collectives » –, et si ce consensus n’est pas possible, alors la décision devra être au moins soutenue par les deux tiers du collectif (sur ce point, voir aussi Mouriés, ce volume).
En ce sens, on peut faire l’hypothèse qu’en l’absence de dispositifs coercitifs et administratifs contraignant les personnes à demeurer dans un ensemble social et à obéir aux cadres normatifs produits en son sein, la décision par consensus reste la meilleure manière de préserver l’union du groupe. C’est pourquoi on y développe une puissante culture de la participation au débat (comme cela ressort dans l’ensemble des contributions présentées ici), pratique la plus efficace pour essayer de produire un consentement collectif et maintenir l’assemblée vivante.
Toutefois, loin d’être un alignement général des opinions individuelles, le consensus atteint à l’issue de ces échanges cache, dans de nombreux cas, des divergences d’opinion qui, comme en Amazonie par exemple, finissent par être provisoirement passées sous silence en raison des règles de bienséance locales, du souci de ne pas faire durer des débats souvent très longs, et du respect pour les efforts déjà accomplis (Codjia 2024). Pour décrire ce phénomène, Philippe Urfalino a proposé le concept de « décision par consensus apparent » (2007 ; 2014), qui définit le consensus comme n’étant pas «attesté par un dénombrement des opinions, mais par le constat d’une absence d’opposition à la dernière proposition émise ». Comme l’explore Héloïse Nez dans sa contribution portant sur le mouvement 15 M des « indigné·e·s » (Indignado·a·s) à Madrid, l’absence de contestation verbale ne signifie pas nécessairement l’absence de désaccord. À force d’être tu, ce désaccord peut conduire à des défections, surtout quand il s’agit d’une assemblée ouverte à tous et à toutes sur une place publique en ville comme celle du 15 M. Pour pallier à ce problème, les assemblées autochtones Kanien’kehá:ka, comme le rapportent les « mères mohawks » (Canada) dans l’article de Blouin se donnent pour principe de « remuer les cendres » (stir the ashes) afin de s’assurer qu’aucune «braise » ne brûle encore à l’issue des débats. À l’aide de ce protocole qui est réalisé quand les réunions se tiennent autour d’un foyer, on cherche à débusquer les désaccords derrière le consensus apparent en invitant, de manière répétée, les membres d’une assemblée à exprimer leurs objections.
Le consensus apparaît comme un instrument à double tranchant. D’un côté, il incite les membres des assemblées à s’engager dans le processus délibératif, à travailler ensemble et à produire une expérience collective essentielle au ciment du groupe. Un tel engagement personnel est par exemple considéré comme un devoir moral par les mères mohawks, dans le but explicite, souligne Blouin (ce volume), de « télescoper » ponctuellement les individus dans le collectif, et d’associer ainsi étroitement ces « forces centrifuges et centripètes » que sont les dynamiques collectives et les volontés individuelles. Au-delà de ce labeur intellectuel que nécessite les échanges d’arguments et l’exigence rhétorique de l’exercice, Nez (ce volume), pour sa part, souligne l’importance de la dimension affective qu’implique la construction de la cohésion de l’assemblée, les corps étant mis à rude épreuve durant l’écoute patiente des nombreuses interventions. Comme l’indique d’ailleurs Mouriés (ce volume), les leaders amazoniens tirent leur pleine légitimité politique de cette présence physique continue auprès de leurs « bases », c’est-à-dire auprès des assemblées locales qui les ont directement élues, et qui permet de s’assurer qu’ils agissent en dehors des assemblées en conformité avec ce qu’elles décident. C’est pourquoi se pose pour eux et pour elles la question de la possibilité d’appliquer la pratique de la représentation politique qui implique une coupure de cet engagement corporel immédiat dans l’arène des débats.
Mais d’un autre côté, ce temps long de la production et de l’ajustement des positions en vue du consensus peut rebuter certaines personnes, davantage habituées – comme c’est particulièrement le cas en Espagne – à l’arrêt d’une décision par vote. Les membres encore opposés mais respectueux du chemin parcouru peuvent même, au bout de ce marathon délibératif, renoncer à leur implication et arrêter de venir aux assemblées. Réunion après réunion, l’exigence que requiert cet effort de participation peut donc conduire au délitement progressif de l’assemblée. Contrairement aux pratiques d’assemblée des démocraties représentatives étatiques qui valorisent un pluralisme permanent pour s’assurer de l’unité de l’État (Abélès 2000 ; Przeworski 2011), ces collectifs seraient en quête, plus ou moins avouée, de l’expression publique d’un monisme politique – on songe à l’idée de « pensée collective » (pensamiento colectivo) défendue par les Indignado·a·s espagnol·e·s (Nez, ce volume), ou encore aux assemblées amazoniennes perçues et décrites par Mouriés (ce volume) comme des « corps collectifs » –, le consensus étant leur condition d’existence sur un plus ou moins long terme en l’absence de coercition. Par contraste, si le dissensus et le pluralisme peuvent exister au sein des démocraties étatiques, c’est en partie en raison de l’usage accepté de la coercition potentielle visant à préserver l’unité de l’État et des différents groupes aux sensibilités politiques distinctes qu’il a pour mission d’administrer.
Dans les contextes ethnographiques qui sont les plus familiers à Paul Codjia et Raphaël Colliaux, c’est-à-dire en Amazonie autochtone péruvienne, le dissensus provisoirement tu dans les assemblées de villages ou de fédération de villages wampis ou matsigenka peut conduire à la création de nouveaux villages ou de nouvelles institutions fédératrices accueillant les voix dissidentes. Dans ces cas, on observe une dynamique politique qui ne se caractérise pas par un pluralisme politique se déployant sur un fond d’unité institutionnelle, mais tend à une multiplication des monismes et des groupes unifiés. C’est précisément ce type de dynamique que met au jour Thomas Mouriès dans le bas Marañon (Amazonie andine), où la réunion sous une bannière commune de représentant·e·s de groupes autochtones distincts – un phénomène qui, comme le rappelle significativement l’auteur, serait encouragé par le cadre légal et administratif péruvien – s’apparenterait à une « réalité improbable », car travaillée par une puissante dynamique de fragmentation atavique. Tout se passe en effet comme si ces leaders devaient perpétuellement convoquer et renouveler leur allégeance aux assemblées locales d’où ils et elles proviennent, assemblées qui, à l’inverse, tendent à détricoter toute idéologie multi-ethnique englobante. Cette dynamique ouvre ainsi des perspectives anthropologiques pour penser des praxis politiques non-étatiques s’articulant à des valeurs fondamentales autres que celle de la préservation de l’unité. Les contributions réunies dans ce numéro visent, entre autres, à comprendre quelles sont ces valeurs afin de qualifier positivement ce type de dynamique, et non plus seulement à l’aune du seul concept de divisionnisme rimant le plus souvent avec « échec politique ».
Ces considérations posent en outre un problème redoutable pour saisir les dynamiques politiques de ces groupes : si la décision collective oblige les membres de l’assemblée à mettre en œuvre ce qui a été décidé ensemble (Urfalino 2021), quels rapports entretiennent-ils avec cette obligation? Est-il accepté de finalement y déroger ? Comment les individus et les groupes composent-ils avec un tel cadre normatif plus ou moins temporaire et contraignant ?
L’obligation produite par la décision collective peut être rapidement perçue par les participants et les participantes aux assemblées comme un frein à l’expression postérieure de divergences et, par suite, peut entraver la production renouvelée de l’accord nécessaire à l’évitement des défections. Du fait de l’absence de mécanismes coercitifs qui sanctionnent le non-respect de cette obligation tout en contraignant leurs membres à la participation, ces assemblées se gardent d’instaurer des cadres de discussions et de prises de décision figés à l’instar d’une constitution étatique, et entretiennent une certaine plasticité des modalités de la délibération et de la coordination en s’autorisant des degrés plus ou moins importants, selon les cas ethnographiques, de réflexivité et de remise en question de ces cadres. Par là, et c’est l’un des aspects les plus remarquables de ces assemblées en quête d’autonomie, aucune règle ne stipule l’irrévocabilité d’une décision une fois qu’elle a été arrêtée. Les décisions prises lors des séances précédentes, incluant les décisions concernant les modalités de prises de décision – que nous proposons d’appeler « méta-décisions » – peuvent faire l’objet de nouvelles interrogations et critiques lors des sessions suivantes. Elles seront portées par exemple par les individus qui étaient absents, comme le montre les cas exposés par Nez et Calvo, ou par ceux qui, on l’imagine aisément, s’étaient abstenus de manifester leurs objections le temps de mûrir leurs arguments. Bien entendu, cela ne veut pas dire que les participants et participantes acceptent que toutes les modalités d’organisation et de décisions soient en permanence interrogées, et certains et certaines s’agacent, notamment au sein des Indignado·a·s madrilènes, de cette propension à revenir sur ce qui a déjà été débattu. Une praxis décisionnelle et un corpus de décisions se développent et se stabilisent peu à peu, tout en conservant une certaine ouverture perpétuelle à la critique, ce qui constitue une condition pour que chacun et chacune des membres des assemblées se sentent légitimes à participer, entendus, et consentent finalement à suivre tout ou partie des décisions passées.
Cette ouverture et cette plasticité décisionnelle contrastent avec l’imposition, par les États démocratiques, d’un cadre de discussion et de prise de décision unique et immuable – un cadre constitutionnel – dont le contenu est verrouillé par un ensemble de dispositifs institutionnels qui rendent difficile sa modification. Ce verrouillage est souvent présenté comme un prérequis nécessaire à la stabilité politique de l’État-nation et à l’expression démocratique d’une multiplicité de groupes, d’individus, d’identités et de positions idéologiques sur son territoire (Przeworski 2011). À l’inverse, on verra très souvent les acteurs et actrices regroupés dans les assemblées étudiées s’interroger continuellement sur la définition, la légitimité ou encore l’efficacité de leurs propres mécanismes décisionnels, des logiques de leur fonctionnement, mais aussi tenter d’innover en la matière. La constance de cette réflexivité et de cette plasticité décisionnelle, liée à la préférence pour le consensus et aux valeurs caractéristiques des pratiques d’assemblées de ces collectifs – sur lesquelles nous reviendrons –, semble indiquer que comprendre ces assemblées nécessite de rompre avec l’idée que ces collectifs, comme tout collectif humain, auraient pour vocation de se structurer de manière durable, de s’institutionnaliser par l’établissement de cadres solides conçus comme indiscutables à la manière d’une forme-État. De telles considérations, qui supposeraient la forme-État comme un aboutissement « naturel », trahiraient de nouveau une analyse statocentrée de ces réunions. Les articles ouvrent plutôt des voies pour penser cette plasticité décisionnelle comme constitutive de ces pratiques d’assemblées et non comme un symptôme d’immaturité politique et organisationnelle. C’est précisément sur cette base que les personnes consultées par les ethnographes paraissent vouloir établir les conditions de réalisation de leur « autonomie » en proposant, en interne, des cadres et des modalités de prises de décision autres qu’étatiques.
Un des traits saillants de ces assemblées est donc d’accepter des débats réguliers sur les modalités d’arrêt de la décision, et même sur l’efficacité du consensus alors qu’il est très souvent la modalité de prédilection. Ainsi, les contributions de ce dossier cernent particulièrement bien cette dimension méta-décisionnelle qui affleure au cours des échanges, et qui s’impose comme un jalon indispensable au fonctionnement des assemblées étudiées : il surgit invariablement de débats portant sur les modalités de prise de décision mais aussi sur la légitimité de l’alliance politique, de l’unité du groupe et des catégories employées. Or, le fait de cultiver cette réflexivité sur les conditions de la prise de décision collective permettrait, justement, de fonder et d’amorcer la production d’un cadre normatif perçu comme véritablement endogène, autrement dit « autonome » vis-à-vis de tout cadre allogène imposé – et notamment si celui-ci est de nature étatique. La présence de cette dimension méta-décisionnelle dans les échanges traduit donc une réflexivité importante des membres de ces collectifs sur les conditions de l’union que la forme d’État, elle, empêche ou prévient par souci de stabilité. Cette réflexivité peut être autant synchronique, au cours d’une séance, que diachronique, sur plusieurs réunions. Au cœur des assemblées décrites par Verónica Calvo, dans les hautes terres de Bolivie, c’est bien le contrôle des mécanismes de la prise de décision qui s’avère décisif pour la population autochtone, laquelle conteste d’entrée de jeu les instruments délibératifs imposés par l’État central. Une telle orientation des débats s’opère au grand dam des observateurs, observatrices et fonctionnaires étatiques qui n’y voient que perte de temps et futilité au regard de leurs objectifs politiques d’instauration d’autonomies autochtones qui soient gouvernables par cet État se définissant comme « plurinational » (Postero 2017). Pourtant, du point de vue des groupes autochtones concernés, ce qui se joue là est au cœur de leur projet d’autonomie collective : « Ils et elles revendiquèrent aussi une autonomie dans les décisions concernant les modalités des prises de décision. Et lorsque le ministère essaya de forcer la convergence face à un scénario de dispute, ils et elles décidèrent par consensus, c’est-à-dire de façon unanime d’abandonner le processus de conversion [au processus politique proposé par l’État bolivien] » (Calvo, ce volume).
Par ailleurs, la préservation de la possibilité d’ouvrir un espace pour la méta-décision dans les assemblées invite à repenser le rapport que les participants et participantes entretiennent avec la normativité produite par la décision collective. En effet, dans la mesure où les modalités même de la prise de décision peuvent être réinterrogées lorsque surviennent des divergences, comprendre ces manières de faire une union politique nécessite de nuancer et de relativiser l’idée d« obligation » résultant de l’arrêt d’une décision, en insistant non sur la contrainte normative que cet accord fait peser sur les membres de ces collectifs, mais sur leur consentement réunion après réunion à cette décision que permet sa possible contestation. De la sorte, les normes produites ne finiraient pas par être considérées comme extérieures à la volonté des participants et des participantes, perçues comme une coercition ou un facteur d’aliénation. Peut-être est-ce même cette pratique du consentement qui faciliterait la mise en conformité des individus avec les cadres normatifs collectivement décidés. Dans ses descriptions minutieuses des principes qui guident le fonctionnement des assemblées Kanien’kehá:ka (mohawk) du Canada, Philippe Blouin insiste bien sur l’idée que les décisions prises collectivement seront d’autant plus contraignantes qu’elles sont considérées comme étant « librement acceptées » par les participants. Au cours des assemblées des villages autochtones d’Amazonie péruvienne auxquelles ont assisté Codjia et Colliaux, la production collective d’une normativité, du fait de la difficulté pour atteindre un consensus, au bout souvent de plusieurs heures de discussion et de travail d’ajustement des opinions, est davantage perçue comme une réussite collective, un succès partagé que l’on respecte volontiers, que comme un instrument de coercition que, de toute manière, il sera toujours possible de questionner à l’avenir.
À la lecture des présents articles, on peut aussi formuler l’hypothèse que la dimension méta-décisionnelle que ces assemblées mobilisent constamment induit des rapports réflexifs à la temporalité vécue. Ainsi, comme le montre Héloïse Nez, les Indignado·a·s, surtout lorsqu’ils ou elles sont récemment mobilisé·e·s, ne cessent de s’interroger sur les ruptures temporelles que leurs nouvelles pratiques d’assemblées impliquent. En effet, les rythmes nouveaux que ces réunions impriment sont ressentis avec d’autant plus d’acuité que les personnes qui y participent sont, comme on l’a vu, entièrement partie prenante de ces processus ouverts de la décision collective qui, en outre, tendent à étendre considérablement le temps des délibérations et de l’arrêt des échanges. Si ces activités nécessitent ainsi une forte disponibilité sur le temps long – ce qui est un investissement auquel toutes et tous ne peuvent pas répondre de la même manière, du fait de contraintes socioéconomiques et de genre très inégales –, ces expériences nouvelles relatives à la question de la durée, qui mobilisent singulièrement les corps et les intellects, seront susceptibles de questionner le caractère atemporel, figé, de ces formes décisionnelles imposées par les États, et qui sont fondamentalement extérieures aux individus. En somme, cette dimension méta-décisionnelle propre aux phénomènes de réunion pourrait induire un « choc des temporalités » (Agier 2016) en leur sein, suscitant des interrogations sur la forme étatique elle-même, dans la mesure où celle-ci est ordinairement appréhendée comme une entité « naturelle », là encore préconstituée et hors de l’événementialité historique. C’est d’ailleurs peut-être dans le but de créer une telle rupture temporelle que, comme l’ont montré Jiménez et Estalella (2017) ces mêmes assemblées espagnoles visent, au moyen de divers procédés (notamment artistiques), à « capturer l’attention » des passantes et des passants, autrement dit, à générer une brèche dans le quotidien vécu des personnes non-militantes, afin de susciter leur adhésion et leur engagement dans un espace se désirant en marge de l’État.
Ces pratiques d’assemblée constituent donc une matière de premier choix pour mener à nouveau frais une réflexion d’ordre épistémologique sur le concept de norme tel qu’il est généralement conceptualisé dans les sciences sociales. Aujourd’hui, il semble qu’une seule acception du concept se soit imposée, à savoir celle de règle plus ou moins consciente et explicite qui détermine les comportements des actrices et acteurs sociaux au sein d’un collectif donné (Bicchieri et al. 2011). En ce sens, et même si la littérature s’est efforcée de distinguer les normes sociales des normes juridiques – quant à leur degré de formalisation et d’explicitation par exemple, dans la lignée des propositions de Maine formulées au XIXe siècle – , on a tendance à penser les effets de la norme sociale comme analogues aux effets d’une loi, à savoir comme des contraintes s’accompagnant de sanctions en cas de non-respect. Peut-être pouvons-nous déceler là les influences de la sociologie durkheimienne et de l’anthropologie structuro-fonctionnaliste qui attribuaient aux normes une fonction de contrôle social et à la société, à travers elles, une forme de pouvoir coercitif. Aussi, dans ces travaux pionniers, les concepts de normes sociales et de société étaient souvent employés de manière interchangeable avec ceux de normes juridiques et d’État (Linhardt 2010). Partant, toute forme de normativité tend à être conçue comme extérieure aux individus et s’imposant à eux, ce qui freine la compréhension des processus par lesquels elle est susceptible d’être intériorisée. Bien-sûr, cette objection est ancienne et Bourdieu, on le sait, avait tâché de résoudre ce problème en interrogeant la pratique pour comprendre l’intégration des normes et la formation d’un habitus, avant que la sociologie pragmatique ne prenne en compte la réflexivité critique des actrices et acteurs sociaux dans ces processus (Boltanski 2008 ; Chateauraynaud 2021).
Les assemblées en quête d’autonomie examinées dans ce numéro permettent de documenter des dispositifs d’intériorisation des normes qui relève moins de l’imposition des cadres normatifs décidés collectivement, que de la la production permanente du consentement à ces cadres, par la préservation des possibilités de les critiquer et de les remettre en question. L’étude des rapports à la normativité produite dans ces assemblées contribue par conséquent au dépassement de l’acception juridique de la norme sociale propre à une pensée d’État (Bourdieu 2012) qui imprègne la sociologie d’inspiration durkhemienne pour ethnographier, en partant de l’expérience des participants et des participantes, la façon dont est entretenu le consentement à l’obligation engendrée par la décision collective. Cela implique d’interroger aussi dans quels cas les normes ainsi produites peuvent parfois finir par être perçues comme trop contraignantes.
Ce rapport singulier à la normativité que développent ces assemblées se voulant « autonomes » renvoie à la production d’un cadre de valeurs à l’égard duquel les personnes présentes seront encouragées à s’identifier, mais sans que cet engagement soit pour autant vécu et présenté comme définitif. L’observation méthodique des prises de paroles et des modalités d’expression des membres des assemblées éclaire alors cet autre point crucial pour la compréhension des logiques d’assemblée : si les échanges servent à la production de codes comportementaux et discursifs partagés régissant les modalités de la décision, il s’agit aussi de dégager un soubassement éthique cristallisant l’adhésion, même temporaire, des individualités ainsi réunies (Brenneis et Myers 1984, Morton 2014). Bien qu’en perpétuelle construction et reconstruction, ce socle commun permet d’identifier les contours mouvants de ces collectifs autonomes auto-constitués, et de fonder les décisions prises ensemble, en particulier aux yeux des néo-participant·e·s, comme à l’égard d’entités ou d’institutions exogènes dont ces assemblées cherchent, précisément, à s’émanciper.
De manière suggestive, Héloise Nez note ainsi que si les assemblées madrilènes aspirent à dépasser les cercles militants auxquels on tend ordinairement à les confiner, cet élargissement des publics sur les pratiques d’assemblés (lesquels ont néanmoins une longue tradition en Espagne, comme le souligne l’autrice) repose sur la capacité, objectivée comme telle par les participant·e·s, à « construire une culture commune de la prise de décision collective ». Nez s’attarde ainsi sur les processus d’apprentissage qui contribueront à élaborer, à faire reconnaître et à intégrer un certain nombre de valeurs politiques et de principes relatifs à la participation : en particulier, faire adhérer à cette pierre angulaire de cette « culture commune » qu’est l’horizontalité des positions, principe éthique sur lequel repose l’idée de consensus, de même que la profonde plasticité qui régit les mécanismes de décision.
Il faut noter ici que plus ces assemblées ont une prétention à l’ouverture à toutes et tous, comme le défendent en l’espèce les Indigné·e·s, plus l’exigence d’orchestrer un travail d’acquisition d’un ethos commun sera prégnante et mise en avant dans les témoignages. En effet, tout se passe comme s’il fallait que ces personnes, qui n’ont a priori aucune expérience préalable de participation aussi intense dans des assemblées délibératives, en viennent, chacune à leur échelle, à se donner les moyens de s’approprier un même cadre de valeurs orientant notamment la prise de parole en publique, et de s’identifier collectivement sur cette base. Ainsi, l’acceptation et la participation à un tel processus d’apprentissage, parce qu’il renvoie à une volonté de composer un même ensemble, semble constituer en soi une valeur incontournable : bien que les Indignado·a·s encouragent l’inclusion de chacune et de chacun, il convient néanmoins d’avoir consacré du temps et de l’énergie à comprendre et à s’approprier les principes éthiques de la prise de parole en public, avant de s’autoriser soi-même à s’exprimer en assemblée. Si ce type d’obligation ne sera pas nécessairement explicité publiquement comme tel, ni accompagné de sanctions collectives en cas de non-respect, cela montre que ces espaces ne sont pas exempts d’inégalités dans l’influence sur les décisions, notamment entre celles et ceux qui auraient plus ou moins d’expérience, de compétences et de temps pour s’exprimer. Mais l’on remarque que, là aussi, un tel dispositif encourage avant tout un travail d’intériorisation des normes posées collectivement, sans que ne soit convoquée une instance coercitive extérieure aux individus.
Ce cas expose pleinement les cultures de l’autonomie que ces collectifs cherchent ainsi à produire et à maintenir, et qui les définissent en opposition aux États dont les modus operandi en matière de gouvernementalité demeurent le plus souvent inaccessibles aux individus, produisant alors cet effet d’imposition qui est contesté. Plus encore, le fait que ces ensembles se constituent au cours d’un processus d’apprentissage dont la durée est pleinement éprouvée par leurs membres semble être l’un des facteurs de la mise en question des catégorisations préétablies. « Ce que les fonctionnaires du ministère imaginaient comme un dispositif qui révèlerait le groupe Tarabuco », écrit Verónica Calvo dans le cas bolivien, « s’avéra être un espace de production de ce groupe ». Dès lors, ces mêmes fonctionnaires n’auront de cesse, selon l’autrice, de vouloir « court-circuiter les opérations d’identification hétérogènes » émergeant durant les assemblées quechuaphones des hauts plateaux boliviens.
Là encore, les formes « culturelles » décrites dans ces pages reposent sur des normes et des pratiques qui admettent ou valorisent la possibilité de la fragmentation et la dimension éphémère de ces entités collectives auto-constituées. Thomas Mouriès montre bien que pour défendre leurs intérêts propres, de multiples ethnies amazoniennes du Nord du Pérou se sont peu à peu fédérées dans le but de présenter, au cours des assemblées qui les réunies aujourd’hui, l’image d’un tout politique cohérent poursuivant des objectifs communs – formant ainsi une nouvelle identité autochtone générique. Il n’en reste pas moins que cette union, qui peut se révéler fort utile lorsqu’il s’agit de négocier avec l’État péruvien ou des entreprises privées opérant sur les territoires autochtones, est sans cesse travaillée par les antagonismes et un certain ethos « guerrier », sinon agonistique, qui structurent les relations inter-ethniques dans la région. En réalité, ce sont ces valeurs de confrontation et de discontinuité qui, loin d’être neutralisées par les formes institutionnelles que revêtent ces regroupements contemporains, orientent significativement leurs dynamiques internes. C’est aussi ce principe de division, que les amazoniens cultivent indéniablement, qui limitera la possibilité d’une représentation à l’échelle d’une fédération multi-ethnique.
De même, c’est au nom de l’autonomie imprescriptible des personnes et des unités familiales que dans les groupes Kanien’kehá:ka, on exhorte chacun et chacune à s’exprimer au moment de décider ensemble, écartant par là l’idée d’une délégation de prérogatives ou d’opinions individuelles. Le « wampum à deux rangs » (Two Row Wampum), le collier traditionnel de coquillage composé de deux lignes parallèles, vient symboliser cet entrelacement complexe entre unité et indépendance des parties: deux sections ne peuvent s’allier et poursuivre des objectifs communs que si elles demeurent contiguës et séparées, sans dévier chacune de leur chemin. Pour Blouin, cette allégorie « defining the respect for difference in relations between Indigenous peoples, clans, age groups, genders, and even non-human beings ». C’est le même principe du Wampum qui avait permis à des groupes de langue distincte de forger la fameuse « confédération iroquoise » qui avait tant fasciné il y a plus d’un siècle Lewis H. Morgan.
En somme, la comparaison proposée dans ce numéro vient mettre en lumière un schème de l’union politique que nous pourrions qualifier d’« autonome », et qui contribue à produire et à maintenir le caractère distinctif de cultures spécifiques au sein d’un même ensemble. Contrairement au schème de l’union politique de l’État-nation qui, pour préserver l’unité, tend à réifier une culture principale (posée comme axiomatique) afin d’encadrer et de limiter la diversité des valeurs et des normes culturelles qui pourraient émerger en son sein, la modalité « autonome » de l’union politique que nous avons voulu dégager cherche à définir les termes d’une culture d’assemblée qui, tout au contraire, préserve et rend possible la collaboration et le dialogue entre des ethos ou des traditions multiples.
C’est en réaction aux États et pour s’en émanciper que se déploient et s’échafaudent ces initiatives collectives, à la fois en partie avec et contre les outillages techniques, juridiques ou organisationnels de ces mêmes systèmes étatiques. En contexte postcolonial, tous ces collectifs ainsi assemblés sont liés historiquement à la forme-État, et même ceux qui la rejettent de la manière la plus explicite se trouvent nécessairement, dans l’acte de rejet lui-même, influencée par elle. Pour cette raison, nous avons choisi de qualifier ces collectifs « d’en marge » des États, en référence à l’approche proposée par Poole et Das (2004), pour souligner leur effort souvent paradoxal d’affranchissement de l’État par la réappropriation, la transformation et l’éventuel détournement d’instruments ou de concepts nés de ou avec la pensée d’État.
L’un des points les plus surprenants de ce rapport paradoxal à l’État est probablement les positions diverses que les collectifs étudiés dans ce numéro adoptent au regard de la représentation politique. Tentative de mise en place d’une démocratie directe dans une agora établie en ville ouverte à toutes et tous pour rompre avec une logique de gouvernement représentatif (Nez), ou encore rejet ou réappropriation problématique de la représentation politique dans les négociations avec l’État par les peuples autochtones du Nord et du Sud du continent américain (Blouin, Mouriès), les ethnographies montrent que les schèmes de l’union politique dessinés par ces collectifs ont bien du mal à s’accommoder de la pratique de la représentation politique et ce, nous croyons, pour une raison fondamentale : cette pratique est constitutive du schème de l’union étatique vis-à-vis duquel ces groupes, de par les valeurs qui les caractérisent, se distancient.
En effet, la notion de représentation politique telle qu’elle a été définie par la philosophie politique européenne du XVIIe siècle, et en particulier par Hobbes dans le Léviathan, doit être associée à la naissance de l’État tel qu’il est conceptualisé encore aujourd’hui, et non à la démocratie, malgré ce que le concept commun de « démocratie représentative » semble suggérer (Crignon et Miqueu 2017). La représentation politique pose, pour le dire vite, la relation apparemment indéfectible entre l’État – ou tout autre type d’entité politique totalisante –, la multiplicité des individus et des groupes qui composent cette totalité, et le représentant de cette entité politique totalisante. La représentation politique personnifie en outre l’entité politique totalisante par l’attribution d’une personnalité juridique dotée d’une volonté générale censée être la résultante et transcender les volontés individuelles (Crignon 2012). Le représentant – gouvernant élu au sein d’un État démocratique, par exemple – représente physiquement cette personnalité juridique et « porte » littéralement la volonté générale.
Une telle pratique politique pose problème pour ces collectifs en quête d’autonomie. La première raison est illustrée de manière exemplaire, dans l’article de Blouin, par le rejet par les mères Kanien’kehá:ka de la représentation lors d’un procès devant la cour canadienne : d’après les valeurs et pratiques politiques Kanien’kehá:ka, il n’est pas moralement acceptable de parler à la place d’autrui, ni d’avoir la prétention de connaître et d’exprimer ses pensées en son nom. Si l’on suit cette logique, ce principe a pour effet d’empêcher et de condamner de facto le concept de volonté générale, qui invisibilise la multiplicité des volontés individuelles et efface leurs nuances. Il devient donc impossible, dans ces conditions, de désigner des délégués chargés de « représenter » une telle entité transcendante. En Amazonie péruvienne, il existe une éthique politique similaire (Codjia 2024 ; Surrallés 2024), bien que, comme le montre Thomas Mouriès, beaucoup de groupes autochtones aient choisi de tenter d’appliquer cette pratique pour pouvoir dialoguer avec les représentants et représentantes de l’État qui exigent d’interagir avec des personnes qui, comme eux et elles, incarnent la volonté générale de leur groupe. Dans le cas exploré par Mouriès, cette réappropriation autochtone de la représentation politique n’est pas sans causer des frictions et mésententes entre représentants et représentés, puisque les élus se doivent de consulter, de rendre des comptes et de conserver des relations étroites avec leurs « bases », c’est-à-dire avec les personnes réunies en assemblées qui les ont élu, pour éviter les conflits voire, comme c’est le cas dans les villages wampis de la même région, sous peine de révocation de leur mandat. Les « représentants » sont alors davantage des porte-parole des décisions qui ont été prises en assemblée, que les porteurs d’une volonté générale qui supposerait que l’assemblée est localement conceptualisée comme un sujet politique unique et en capacité d’invisibiliser, à l’image d’un État, les individus et les groupes qu’elle rassemble. Il faut donc prendre soin de distinguer la décision collective, qui est une parole, parfois écrite, arrêtée, de la volonté générale, qui est plus qu’une décision collective, mais un attribut ontologique, une forme d’intériorité attribuée à une entité politique personnifiée et faite sujet politique.
En ce sens, les entités politiques totalisantes évoquées dans les pages de ce numéro, que ce soit les assemblées, les nations ou les fédérations autochtones par exemple, posent des questions fondamentales quant à la caractérisation de leur mode d’existence. En effet, ces formes politiques paraissent être conçues comme « nominales », une catégorie ontologique désignant des entités politiques qui, aux yeux de leurs membres, ne jouissent pas d’une existence propre indépendante de celle des individus qui l’ont créée, promue, soutenue, défendue, et qui acceptent les valeurs et les normes qui la définissent (Kaufmann et Guilhaumou 2003). Pour la sociologue Laurence Kaufmann, comprendre la nature des entités politiques nécessite de les inscrire dans un processus historique, que la chercheuse postule universel et caractéristique de tout processus d’institutionnalisation, par lequel ces entités passent progressivement de la qualification de nominale à celle de « réelle », c’est-à-dire, existant alors par elles-mêmes, indépendamment des personnes physiques qui la composent – sous l’effet, notamment, de l’instauration de cadres juridiques (Kaufmann 2003). Dans les cas étudiés ici, il semble que les valeurs et les pratiques de prise de décision empêchent précisément une telle indépendance ontologique de ces assemblées en quête d’autonomie (Codjia 2024). Le schème de l’union politique qui est privilégié concourt au fait qu’aucune entité totalisante unique ne vient invisibiliser la multiplicité des sujets politiques individuels qui la composent. Ici, l’entité totalisante n’est pas transcendante, et ne paraît jamais devenir en soi un sujet politique singulier possédant sa propre voix (du type « l’État veut… ») : elle est toujours liée à la multiplicité des personnes rassemblées qui la définissent en participant au débat. Il s’agit donc d’un « nous » contextuel qui nécessite des efforts sans cesse renouvelés de production du consentement de chacun et chacune pour le faire exister. Ce faisant, ces contributions nous encouragent à reconsidérer la pertinence, pour l’analyse anthropologique de ces collectifs, de l’idée, fondatrice de la sociologie et de l’anthropologie depuis Émile Durkheim, postulant la nécessaire existence d’une entité totalisante faite sujet – la société, l’État, la nation –, distincte de la somme des individus qui la composent, pour penser le politique.
Les auteurs remercient chaleureusement les contributrices et contributeurs de ce numéro spécial de la Revue suisse d’anthropologie sociale et culturelle, l’équipe éditoriale de la revue, ainsi que toutes les personnes sollicitées pour évaluer les manuscrits soumis. Cette introduction a bénéficié des réflexions menées dans le cadre du projet AMAZ « Configuration socio-spatiales, enjeux politiques et débats ontologiques en Amazonie », coordonné par Alexandre Surrallés et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR-17-CE41-0013).
Paul Codjia a obtenu un doctorat en ethnologie et anthropologie sociale de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales en 2019. Il a été chercheur postdoctoral à l’Université McGill, au CNRS et au Collège de France et enseigne actuellement à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Ses recherches portent sur les nouvelles organisations politiques autochtones en Amazonie péruvienne dans un contexte de revendication d’un droit à l’autodétermination et de conflits socio-écologiques avec l’État et les entreprises extractives. Au croisement entre anthropologie politique et anthropologie de l’affectivité, ses travaux décrivent les formes émergentes de socialités et de pouvoir dans ces collectifs en quête d’une autonomie politique vis-à-vis des États.
paul.codjia@hotmail.fr
Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France ; Université Toulouse Jean Jaurès
Paul Codjia earned a PhD in Ethnology and Social Anthropology from the École des Hautes Études en Sciences Sociales in 2019. He was a postdoctoral researcher at McGill University, the CNRS, and the Collège de France, and currently teaches at the University of Toulouse Jean Jaurès. His research focuses on new indigenous political organizations in the Peruvian Amazon in a context of claiming the right to self-determination and socio-ecological conflict with the state and extractive companies. At the intersection of political anthropology and the anthropology of affect, his work describes the emerging forms of sociality and power within these collectives seeking political autonomy from states.
paul.codjia@hotmail.fr
Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France; Université Toulouse Jean Jaurès
Raphaël Colliaux est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (2019). Il a été chercheur postdoctoral à la Pontificia Universidad Católica del Perú (Lima), au CNRS et au Collège de France. Depuis 2014, il travaille dans le sud-est de l’Amazonie péruvienne sur les effets de la scolarisation et des regroupements démographiques contemporains au sein de diverses populations autochtones. Il poursuit actuellement des enquêtes de terrain sur le répertoire mythologique amazonien et sur la question de la distinction de genre.
raphael.colliaux@ehess.fr
Institut Français d’Études Andines
Raphaël Colliaux holds a doctorate in sociology from the École des Hautes Études en Sciences Sociales (2019). He was a postdoctoral researcher at the Pontificia Universidad Católica del Perú (Lima), the CNRS, and the Collège de France. Since 2014, he has been working in the south-east of the Peruvian Amazon on the effects of schooling and contemporary demographic groupings among various indigenous populations. He is currently pursuing fieldwork on the study of the Amazonian mythological repertoire and the question of gender distinction.
raphael.colliaux@ehess.fr
Institut Français d’Études Andines
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