INJUSTICE ÉPISTÉMIQUE ET RECONNAISSANCE DES SAVOIRS: S’auteuriser dans une démarche de recherche-action-participative

Benoît Eyraud  

Benoît Eyraud est maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’UFR d’anthropologie, sociologie et sciences politiques de l’Université Lyon 2, et chercheur au Centre Max Weber (UMR 5283). benoit.h.eyraud@gmail.com

Arnaud Béal  

Arnaud Béal est psychologue et maître de conférences en psychologie à l’École de psychologues praticiens de l’Institut catholique de Paris. Il participe à la démarche Capdroits depuis 2017. Il étudie les représentations associées aux situations de vulnérabilité et s’intéresse tout particulièrement à la manière dont sont pensés et vécus les droits dans la vie quotidienne. abeal@psycho-prat.fr

Chantal Bruno  

Chantal Bruno a travaillé comme infirmière, psychologue social, formatrice dans le domaine du handicap ; elle est mère d’un enfant en situation de handicap et a publié Mère d’un enfant handicapé, pourquoi moi? en 2014 (Eres). Elle est co-présidente du réseau Coface Disability, administratrice à l’Unaf, membre du comité de pilotage de repairaidants, membre du CNCPH. Elle participe à la démarche Capdroits depuis 2016 et est membre de sa coordination. confcap.capdroits@gmail.com

Valérie Lemard  

Valérie Lemard est présidente de l’association Esqui, rassemblant des personnes ayant l’expérience de troubles psychiques ; formée en sociologie et en sciences de l’éducation, elle a été assistante de vie scolaire. Elle participe à la démarche Capdroits depuis 2016 lemardvalerie63@gmail.com

Jacques Lequien  

Jacques Lequien est retraité d’ESAT où il a travaillé pendant 40 ans. Membre de la section des usagers d’Hénin-Beaumont, il est facilitateur-chercheur et membre de la coordination Capdroits depuis 2016. jacques62110@gmail.com

Isabel Miranda  

Isabel Miranda est armée de deux devises « Sapere Aude » et « savoir, c’est pouvoir ». Elle fait de la formation, de l’accès à l’information le fil rouge de sa carrière professionnelle. Professeure des écoles puis assistante sociale et enfin curatrice, elle mêle depuis près de 25 ans pratiques professionnelles, activités associatives et démarches de réflexion et de recherche. amae.mjpm@gmail.com ACS Capdroits Université Lyon 2 et Centre Max Weber ACS Capdroits Institut Catholique de Paris ACS Capdroits ACS Capdroits ACS Capdroits ACS Capdroits

Résumé

La recherche-action-participative Capdroits vise à réduire les inégalités de pouvoir inhérentes aux injustices épistémiques en proposant des modalités de recherche symétrisant les savoirs des personnes concernées par des situations de handicap, de maladie ou de dépendances, des acteur·e·s de la relation d’aide et de soin (proches ou professionnel·le·s), et des professionnel·le·s de la recherche en sciences sociales et juridiques. Elle repose sur des principes de réciprocité, d’empowerment, et d’identification de gains. Nous nous centrons dans cet article sur l’une des étapes centrales des pratiques de recherche, à savoir celles de leurs publications et des enjeux d’auteurisation qui soulèvent des questions de reconnaissance scientifique et politique. Nos analyses reposent sur une forme d’auto-ethnographie collective.

Abstract

Capdroits participatory action-research aims to reduce the inequalities of power inherent in epistemic injustices by proposing research methods that symmetrize the knowledge of people affected by situations of disability, illness or addiction, actors in the helping relationship and care (relatives or professionals), and research professionals in the social and legal sciences. It is based on principles of reciprocity, empowerment, and identification of gains. In this article, we focus on one of the central stages of research practices, namely autorship, which raise questions of scientific and political recognition. Our analyzes are based on a form of collective auto-ethnography.

Introduction

La Convention internationale des droits des personnes handicapées entend faire mieux reconnaître la place des personnes en situation de handicap dans la vie sociale. Influencée par des Organisations de personne handicapées, le mouvement des disability studies et le slogan “nothing about us without us”, elle a été négociée à travers une valorisation des savoirs issus de l’expérience des personnes handicapées. La démarche scientifique et citoyenne2 Capdroits s’inscrit dans la dynamique de cette convention, à la fois à travers son objet et sa méthode de recherche. Elle vise en effet à questionner l’exercice des droits des personnes dont la capacité juridique3 est remise en cause à partir de l’expérience qu’elles en ont (Béal et al. 2018, Capdroits 2019, Capdroits 2022) ; elle entend s’appuyer sur une mise en problème public des expériences d’exercice des droits. La démarche vise à réduire les inégalités de pouvoir inhérentes aux injustices épistémiques4 (Fricker 2007) en proposant des modalités de recherche symétrisant les savoirs des personnes concernées par des situations de handicap, de maladie ou de dépendances, des acteurs de la relation d’aide et de soin (proches ou professionnel·le·s), et des professionnel·le·s de la recherche en sciences sociales et juridiques. Elle s’ancre se faisant dans un questionnement autour des savoirs et de leur hiérarchisation sociale et rejoint la proposition conceptuelle de « justice cognitive » de Shiv Visvanathan (2016) de reconnaître des savoirs différents, qui sont traditionnellement hiérarchisés, dans des rapports d’égalité afin de favoriser un processus démocratique de construction des connaissances.

La mise en œuvre pratique d’une telle recherche action participative soulève aussi bien des questions relatives aux rapports de pouvoir que des modalités concrètes de production et de reconnaissance des savoirs d’expérience. Les pratiques majoritaires des recherche en sciences sociales, qui peuvent être qualifiées d’hégémoniques, au sens qu’elles s’opèrent « au fil du temps à partir du sens commun disciplinaire et qui se tient en dehors de tout examen » (Escobar et Restrepo 2010) se réalisent à travers des relations sociales qui reproduisent des formes de domination véhiculées dans la vie sociale, tendant de fait à marginaliser (Oliver 1992) ou à exploiter, par extractivisme, l’expérience des personnes en situation de handicap (Godrie 2021). Dans le cadre de la démarche Capdroits, nous cherchons, à la suite de différents travaux, à développer une pratique de recherche-émancipatoire, reposant sur des principes de réciprocité, de pouvoir d’agir, et d’identification de gains (Oliver 1992, Zarb 1992, Jeanne, Fournier et Couture 2019, d’Arripe et al. 2015, Ollerton et al. 2013, Eyraud et al. 2018). Nous proposons dans cet article de nous centrer sur l’une des étapes centrales des pratiques de recherche, à savoir celles de leurs publications et des enjeux d’autorat proposée par le protocole de la démarche Capdroits. À la suite de nombreux travaux sur l’autorat (Leclerc 1996, Love 2002, Pontille 2008), nous appelons « auteurisation » le processus par lequel une personne se reconnaît et est reconnue comme auteur·e d’un énoncé, reconnaissance se traduisant aussi bien par l’attribution d’une auctorialité, c’-està-dire la reconnaissance de la source nominative d’un énoncé, et d’une autorité, c’-està-dire la reconnaissance de la crédibilité et du pouvoir afférent à cet énoncé. Cette question de l’auteurisation s’est progressivement imposée comme centrale dans la méthodologie de mise en problème public de l’expérience du programme. Elle imbrique des enjeux de connaissance et de reconnaissance et constitue un révélateur des rapports de pouvoirs existant dans cette démarche de recherche-action-participative.

Un premier axe de questionnement porte sur les conditions d’accès des personnes participant à la recherche-action aux scènes de publication et à l’autorat. Toutes les personnes participantes sont-elles invitées à participer en tant qu’auteur·e à des scènes publiques les reconnaissant à ce titre ? Tous les participant·e·s de la démarche accèdent-ils de manière équitable aux espaces de reconnaissance et aux gains liés aux publications ?

Un second axe de questionnement porte sur les difficultés relatives à la personnalisation ou à la collectivisation de l’autorat. Comment se met-on d’accord sur un énoncé, un texte dans lequel chacun·e contribue et se reconnaît ? Comment s’attribuent et se distribuent les pouvoirs dans la fabrication de ces accords (ou désaccords), et in fine, de leur matérialisation dans des signatures (ou non) ?

Enfin, un troisième axe de questionnement porte sur les frontières et les imbrications entre les dimensions « scientifiques » et « citoyennes » des connaissances, sur notre appréhension de ce qui est scientifique, et sur le rapport ambivalent à l’élitisme présent dans les recherches-actions-participatives. Est-ce que celles-ci relèvent d’une forme de « néo-colonisation » des savoirs à travers le développement par une forme d’envahissement de la sphère de l’expérience par les formats abstraits et structuraux des protocoles et énonciations académiques (Straughan 2009) ? Ou est-ce que la participation de non-professionnel·le·s aux recherches académiques parvient à transformer celle-ci, notamment en participant à révéler les rapports de pouvoirs qui la structurent ?

Pour traiter ces questions, nous présenterons dans une première partie la place centrale prise progressivement dans la démarche Capdroits par le processus d’auteurisation en l’inscrivant dans la genèse et le développement de cette démarche.

Nous développerons dans une seconde partie une mise en abîme des difficultés posées par les opérations de publicisation de savoirs analysant une tentative d’écriture d’un article scientifique cherchant à tenir ensemble de manière symétrique les différents types de savoirs apportés par des membres de la coordination de la démarche.

Ces analyses prennent comme matériau les comptes rendus de nombreuses réunions et les courriels échangés entre membres de la coordination Capdroits, les analyses collectives menées pour préparer différentes présentations orales des résultats du programme, ainsi que les échanges liés à la rédaction d’un projet d’article qui n’a pas abouti. Ces échanges comprennent des entretiens informels entre membres de la coordination, ainsi que des comptes-rendus de temps de travail consacrés à l’écriture de cet article. Il s’agit d’une forme d’auto-ethnographie collective (Callier et al. 2017).

Six membres de la coordination de la démarche Capdroits sont co-signataires de cet article, en l’occurrence un enseignant-chercheur en sociologie et un autre en psychologie sociale, un expert d’expérience du handicap psycho-social, et un expert d’expérience du handicap intellectuel ; deux spécialistes de la relation d’aide, l’une qui l’est au double titre de l’expérience personnelle de mère d’un enfant handicapé et psychologue social, l’autre qui est mandataire à la protection des majeurs et diplômée en sociologie5. L’un de nous, sociologue a assuré le fil rédactionnel ainsi que l’animation du travail collectif ; les autres ont participé à travers l’apport de nombreux commentaires et la rédaction de certains passages, par l’apport d’articles scientifiques ainsi que par des commentaires oraux, pour l’un d’entre nous qui ne peut ni lire ni écrire.

L’auteurisation dans la démarche capdroits

Nous proposons dans cette première partie de présenter comment l’auteurisation est devenue un enjeu central de la démarche de recherche citoyenne Capdroits6, accompagnant l’objectif d’une meilleure reconnaissance des savoirs et des pouvoirs des personnes directement concernées par des empêchements à exercer leurs droits, mais aussi des modalités de distribution des places conduisant à des accès différenciés à la production et aux publications effectives de la démarche. Nous revenons pour cela sur la genèse et la mise en œuvre de cette démarche, sur l’intégration de personnes en situation de handicap dans une dynamique de recherche, sur la mise en place d’un protocole de «mise en problème public de l’expérience», et sur la place des publications et de l’auteurisation dans cette méthode.

À l’origine de la démarche : une revendication de reconnaissance des savoirs expérientiels

La démarche Capdroits trouve son origine dans les revendications portées par des personnes en situation de handicap dans l’organisation d’une conférence scientifique internationale initiée par un collectif de chercheur·e·s académiques en sciences sociales et juridiques portant sur les questions de recueil de consentement et de recours à la contrainte dans le domaine de la santé mentale. La découverte d’une observation générale du comité des droits de la convention internationale pour les droits des personnes handicapées portant sur la « capacité juridique » (Comité des droits, ONU, 2014) et de la place tenue par les organisations de personnes handicapées dans l’adoption de cette observation, a conduit les animateur·ice·s du collectif à intégrer le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes ainsi que des personnes en situation de handicap connaissant et intéressées par cette convention dans l’organisation de cette conférence7. Celles-ci ont apporté des objectifs nouveaux, à savoir celui de prendre en compte de manière significative les savoirs des personnes directement concernées par les mesures de contrainte légale, et de symétriser les positions des intervenant·e·s, quels que soient leur titre d’expertise. Le programme s’est alors donné comme but de favoriser la transformation de savoirs d’expériences en expertise et de faire reconnaître cette expertise sur l’espace public et scientifique (Borkman 1976), à travers un dispositif de « mise en forums ». Permettre aux personnes d’être en position d’expertise, c’est reconnaître des savoirs sur « l’ajustement aux besoins sociaux des acteurs concernés » (Bérard et Crespin 2010). Concrètement, une méthodologie a été développée consistant à faire animer des groupes locaux composés par des personnes « empêchées », « handicapées » dans l’exercice de leurs droits, par un trinôme d’animateur·ice·s nommés « facilitateurs-chercheur·e·s »8, doté de savoirs pluriels, et de favoriser l’accès des personnes concernées par ces empêchements sur des scènes de forums. Au moment de l’élaboration du programme, une méthode de mise en forums, ou de mise en problème public de l’expérience est développée dans laquelle la question de l’auteurisation ne fait d’abord pas l’objet d’une réflexion approfondie, la notion n’étant alors même pas utilisée. Le programme prévoit simplement que des publications seront réalisées sans qu’il ne soit précisé par qui.

L’émergence de l’enjeu de l’auteurisation : signature personnelle et nom collectif

Une première réflexion relative au processus d’auteurisation s’est faite au début de la mise en œuvre de la méthode de « mise en problème public de l’expérience ». Cette méthode, développée sur le postulat que l’expérience est la première source de connaissance, que cette source de connaissance doit être mise en récit et partagée collectivement pour être intelligible, prise en considération socialement et reconnue en situation comme experte, prévoyait comme première étape le partage de récits en groupes locaux9, puis leur analyse collective par ces groupes, avant une présentation des résultats de ces analyses devant des tiers. La mise en œuvre de cette méthode a conduit à préciser le protocole et les opérations techniques afférentes, notamment celle de la retranscription des récits et de la collectivisation des analyses. Les personnes en charge du protocole ont prévu qu’à la suite du premier partage de récits, chaque personne ayant partagé un récit était invitée lors d’un second atelier à relire, reprendre, compléter ou modifier le récit retranscrit et à confirmer l’autorisation donnée d’utiliser le récit partagé comme élément d’un corpus collectif qui peut être analysé par les différent·e·s participant·e·s des groupes, par les facilitateur·e·s -chercheur·e·s, voire par la coordination de la démarche. Dit autrement, chaque personne ayant raconté oralement une situation vécue confirme qu’elle se reconnaît dans sa transcription écrite, devenant non seulement « auteure » du récit oral mais aussi de sa version écrite. Il était proposé que cet accord soit matérialisé par une signature de la retranscription écrite (si besoin modifiée).

Parallèlement à la constitution de ce corpus de récits personnels, un travail d’analyse collective a lieu et la distanciation vis-à-vis de l’expérience personnelle se fait en la mettant en discussion, mais aussi à travers la transcription écrite, puis la réappropriation d’une parole partagée en récit auteurisé. Pour marquer ces analyses collectives, le protocole prévoit que les membres du groupe puissent donner un nom collectif à leur groupe. Plusieurs groupes ont choisi de se donner un nom d’auteur: les « Feydeliens » ; « Handicap Liberté 33 » ; « Cap / pas cap » … Le protocole ne précisait en revanche pas si les animateur·ice·s « faciliateur·e·s-chercheur·e·s » des groupes en font partie ou non. Dans la plupart des groupes, l’expertise collective s’est traduite à travers la réalisation d’un texte et/ou d’un diaporama en vue de la présentation des résultats de l’analyse sur des espaces de forums avec le nom des différents auteurs.

Ces opérations ont été identifiées comme relevant d’un double processus d’auteurisation et d’autorisation, ces termes étant alors proposés au comité partenarial et au comité scientifique de la démarche qui les ont validés.

Être auteur·e … de quoi ? La diversité éditoriale proposée

Pour favoriser l’accès des récits et analyses collectives à l’espace public en même temps que pour une meilleure prise en compte des modalités d’expression des savoirs d’expérience, la recherche-action-participative a cherché à développer différents formats de publication, certains oraux, d’autres rédactionnels, d’autres se basant sur l’audio-visuel. Il a été proposé de participer à des conférences, organisées par différentes institutions (fédération de professionnel·le·s du soin, colloque scientifique …). La publicisation de ces productions visait à faire reconnaître l’autorité des personnes empêchées dans leurs droits sur ce qu’elles vivent, c’est-à-dire à en prendre en compte la véracité. La reconnaissance de l’autorat n’est pas le même dans les espaces scientifiques, dans lesquels une confirmation par des pairs est nécessaire, et dans l’espace citoyen.

Les coordinateu·e·s de la recherche-action-participative ont organisé des conférences scientifiques et citoyennes. La conférence Confcap qui s’est tenue fin 2017 a développé une pratique éditoriale à l’articulation des habitudes « scientifiques » (sélectionner les contributions) et d’une vocation citoyenne (être ouvert au public). Pour cela, un appel à communication reposant sur une consigne commune de mise en récits, quelles que soient les positions sociale et scientifique des contributeur·ice·s, a été diffusée. Au total, 78 récits ont été proposés dont 17 provenant des participant·e·s des groupes locaux.

À partir du corpus des récits constitués pour une conférence scientifique et citoyenne, une publication sur le site internet a été soumise de manière générique à tous les participant·e·s de la démarche ayant proposé de communiquer lors d’une conférence scientifique et citoyenne. Sur les 78 récits partagés par des personnes professionnelles de la relation d’aide, des personnes vulnérabilisées par un handicap, ou encore par des chercheures et des chercheurs issus du monde académique qui ont été réunis dans un corpus mis en ligne, seuls 18 ont été publiés à travers un post autonome sous nom d’auteur identifié, six ayant été produits et attribués à des personnes rencontrant des empêchements dans l’exercice de leurs droits, 6 se reconnaissant comme professionnel·le·s de la relation d’aide, et 6 se reconnaissant comme relevant de la sphère académique.

Pour les publications à vocation « citoyenne » (le manifeste « Toutes et tous capables ! Toutes et tous vulnérables ») et le livret de plaidoyer « Capacités civiles et contraintes légales », qui ont été produits au cours de la première phase de la démarche (Capdroits 2021), il a été proposé de signer le manifeste en faisant apparaître des titres « d’expérience » et des titres « d’expertise » pour tous. Pour les publications à vocation scientifique, l’ouverture à des co-auteur·e·s a pris des formes beaucoup plus restreintes (cf. infra).

Pour favoriser l’accessibilité des débats, d’autres modes d’expression que l’analyse rédactionnelle ont été présentés. Il a été proposé aux contributeur·ice·s de construire, dans le cadre du dispositif « représentations civiles » des « mises en image » (photos) et des « mises en son» (enregistrements des extraits de récits) dans le prolongement des récits de situations partagés en groupes.

L’accès à l’espace éditorial scientifique comme forme de rétribution spécifique

Dans le cadre du programme d’action innovant Capdroits, il était indiqué que des articles scientifiques pourraient être produits sans qu’il ne soit précisé les modalités de cette production. À la fin de la première phase Capdroits, il a été décidé qu’il serait proposé à l’ensemble des facilitateurs-chercheur·e·s de la démarche de pouvoir être auteur·e d’un article scientifique. Ce choix établit une frontière forte entre les « facilitateurs-chercheur·e·s» et les « participant·e·s» des groupes locaux à qui il n’a pas été proposé cette auteurisation dans des publications scientifiques. Ce choix n’a pas été véritablement discuté: il a reposé sur des implicites pratiques, mais aussi symboliques. Il semblait déjà ambitieux d’ouvrir à une trentaine de personnes l’accès à la pratique de production de l’article scientifique ; surtout, ce choix traduit la rétribution spécifique reconnue aux facilitateurs-chercheur·e·s du programme, rétribution symbolique parallèle à la rétribution matérielle proposée aux facilitateur·e·s-chercheur·e·s10. Il est possible que la revendication initiale des animateur·ice·s d’être considérés comme des « facilitateurs-chercheur·e·s» ait eu un effet sur l’accès proposé à des publications éditées par des revues scientifiques. Lors de la valorisation de la première phase de la recherche-action-participative Capdroits, il n’a pas été proposé aux participant·e·s lambda des groupes d’être co-auteur·e·s d’un article.

Un second déterminant de la constitution du collectif signataire est celui des modalités temporelles de sollicitation d’auteur·e·s potentiels. Dans le cadre d’un article portant sur la présentation de la première phase capdroits, non seulement il a été proposé à tous les facilitateurs-chercheur·e·s de participer à la rédaction et d’être co-auteur·e·s, mais l’autorat est resté accessible jusqu’à la dernière opération de production de la revue, les facilitateurs-chercheur·e·s ayant été relancés à plusieurs reprises pour savoir s’ils souhaitaient être co-signataires (Capdroits 2021) ; dans d’autres articles, la temporalité d’attribution et de distribution de l’autorat a été plus réduite ; par exemple, dans le cadre d’un article sur « l’engagement », la proposition de participer a été faite à tous les facilitateurs-chercheur·e·s, mais seuls ceux qui ont signifié leur intérêt au début du processus seront régulièrement relancés (Capdroits 2019).

Pour d’autres articles, la proposition de participer a été faite en cercle plus restreint. Ainsi, pour l’article faisant suite à la remise d’un « prix de la recherche participative » (non publié), la coordination de la démarche capdroits a limité l’ouverture du processus d’auteurisation à ses membres.

La méthode d’écriture de ces articles à vocation scientifique n’a pas été protocolisée mais elle s’est répétée de manière similaire en plusieurs occasions.

Rendre accessible l’autorat

L’enjeu de la publicisation de l’expérience des personnes directement concernées par des mesures de contrainte légale est au cœur de la démarche de recherche citoyenne Capdroits. Celle-ci s’est développée par la revendication d’un meilleur accès à l’espace public et scientifique porté par des personnes se reconnaissant en situation de handicap. La méthodologie de mise en problème public de l’expérience développée suite à la coopération entre chercheur·e·s académiques, personnes concernées par le handicap et professionnel·e·s de la relation d’aide a cherché à rendre accessible l’espace public et scientifique (Fougeyrollas et al. 2014) à travers un dispositif d’accompagnement et de réception invitant à la rencontre entre les savoirs. La mise en œuvre de la méthode a fait surgir l’enjeu central de l’auteurisation, aussi bien pour permettre aux personnes de se reconnaître et d’être reconnues pour leurs savoirs en leur nom propre, ou à travers une identité collective choisie. Elle a aussi fait ressortir que de nombreux et nombreuses participant·e·s ne se sentaient pas très concernés par la dimension institutionnelle de l’autorat. La reconnaissance d’une autorité vécue semble s’être faite davantage dans des temps de forum en co-présence qu’à travers des publications éditées dans l’espace public ou scientifique. L’intérêt différencié pour l’auteurisation fait ressortir une complexité des rapports de pouvoirs qui ne sont pas seulement structurés par l’opposition entre personnes concernées directement par l’objet de recherche (« l’empêchement à exercer ses droits ») et celles s’intéressant pour des raisons professionnelles à cet objet (les chercheur·e·s académiques). Le positionnement par rapport aux reconnaissances des savoirs (« scientifiques » / versus « profane »), aux différences origine d’un environnement handicapant (psycho-social, intellectuel, cognitif …) mais aussi par rapport aux modalités de participation (militantes versus non militantes) explique des modalités de participation, des intérêts, et un accès différencié à la reconnaissance d’un statut d’auteur. Enfin, on a pu fait ressortir le pouvoir central des responsables de la recherche-action-participative qui organisent de fait l’accès à l’espace public, participant ainsi d’une fonction d’éditeur incluant de fait ou non les participant·e·s aux pratiques éditoriales.

L’auteurisation collective à l’épreuve d’un article scientifique

Nous voudrions dans cette seconde partie approfondir la portée et les limites de l’enjeu d’auteurisation en prenant l’exemple de la réalisation et de la soumission d’un article qui n’a finalement pas été retenu par éditeurs et éditrices. À travers la question éditoriale, c’est l’articulation entre deux dimensions du processus d’auteurisation que nous souhaitons éclairer : d’une part la reconnaissance d’une forme d’authenticité énonciative, à savoir que ce qui est formulé dans un énoncé, dans un texte, est bien le fait d’une ou de personnes qui en reconnaissent l’origine; d’autre part celle d’une légitimité institutionnelle. Si les revues académiques sont loin d’être le seul vecteur de reconnaissance et de dissémination des données scientifiques, elles constituent un support central de ce qui est reconnu professionnellement comme scientifique. L’attribution et la distribution de l’autorat dans des revues académiques constituent un révélateur de la reconnaissance des savoirs et de la distribution des pouvoirs dans une recherche-action. Nous évoquons d’abord le cadre et l’objet d’un projet d’article que nous avons soumis, portant sur une analyse de l’articulation radicale des savoirs à partir du concept de « polyphasie cognitive » ; nous analysons ensuite les enjeux soulevés par la signature de cet article avant de rendre compte de sa réception par la revue à laquelle il était soumis.

L’influence du contexte éditorial et de la temporalité collective

Le projet de cet article collectif a été initié à la suite d’une opportunité qui s’est présentée en 2019 d’écrire et soumettre un article pour une revue scientifique en sciences sociales préparant un numéro sur le thème « épistémologies radicales et recherches participatives ». Cette opportunité provenait de l’obtention par la démarche capdroits du « prix de la recherche participative », décerné conjointement par un organisme d’intérêt général, la Fondation de France, et celui d’un réseau scientifique, en l’occurrence le Groupement d’intérêt scientifique « Démocratie participative » du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En plus d’une récompense financière, le prix prévoyait une publication dans une revue de sciences sociales consacrée aux questions de participation. Co-lauréat de ce prix, nous avons donc été sollicités pour répondre à un appel à participation de cette revue sur la thématique « épistémologies radicales et recherches participatives »11. L’équipe de coordination de la recherche-action-participative a collectivement répondu favorablement, considérant qu’il s’agissait d’une opportunité intéressante pour elle de se saisir d’une compréhension commune de la démarche et de sa pratique. Il n’est pas proposé aux ancien·ne·s participant·e·s de la démarche (qui n’ont pas continué lors de la seconde phase d’être co-auteur·e·s), l’idée étant d’avoir une réflexion collective sur le travail mené par l’équipe de coordination. Pour certain·e·s membres, cet article était ainsi l’occasion d’avoir une réflexion collective permettant à cette coordination ayant travaillé pendant 2 ans ensemble de mieux se représenter la pratique qu’elle mettait en œuvre. Un résumé du projet d’article a été envoyé aux coordinateur·e·s de la revue, qui l’ont accepté. La planification du travail collectif est assurée par deux des co-auteur·e·s, qui sont par ailleurs chercheur·e·s académiques. Différentes séquences de travail sont prévues, tour à tour collectives au moment où nous élaborons ensemble les orientations du texte, et individuelles pour le travail de rédaction et de relecture. Un dossier spécifique est créé sur la boîte collective de partage numérique de la coordination, dans lequel un certain nombre de matériaux produits par la démarche sont rassemblés pour faire « corpus » et permettre à chacun d’en prendre connaissance et l’analyser. Après des échanges entre les deux chercheurs académiques, un temps de travail ouvert à tous les autres membres de la coordination est organisé, portant sur la construction de l’orientation principale de l’article, de son argumentation et de son plan. L’idée d’ordonner des idées en « faisant un plan » n’est pas évidente pour ceux et celles d’entre nous peu habitué·e·s à cette pratique académique. Nous essayons de rendre accessible cette idée de plan comme succession logique d’idées, sans chercher à vérifier précisément l’appropriation de cet enjeu et de la compétence afférente par tous les co-auteur·e·s. D’autres temps de travail collectif sont proposés et jalonnés pour prendre en compte les points de vue permettant d’intégrer dans l’écrit des mots et des choses dites à l’oral et ainsi de favoriser la participation de toutes et tous à la production des idées et à l’écriture. Un corpus de matériaux déjà constitué est rassemblé par un chercheur académique et mis à disposition des autres co-auteur·e·s. Les co-auteur·e·s qui n’ont pas l’habitude de ce travail d’analyse ne l’utilisent toutefois pas. De nouveaux matériaux sont créés, l’une d’entre nous proposant de faire des entretiens avec d’autres co-auteur·e·s. Certains d’entre eux racontent l’article à celui des co-auteur·e·s qui ne sait pas lire ni écrire. Cette méthodologie pratique fait ressortir les différences d’habitude et d’apprentissage entre des chercheur·e·s académiques qui ont eu une formation très longue sur les pratiques d’écriture et d’articulation des idées, d’autres participants, spécialistes de la relation d’aide ou participant au titre de leur handicap, ayant eu des formations « intermédiaires » ; d’autres encore n’ayant pas été formés à l’écriture et à la publication écrite.

L’appropriation collective d’un concept : l’exemple de la « polyphasie cognitive »

Au regard de la problématique du numéro de revue, l’orientation est proposée par deux chercheurs académiques d’analyser la démarche au prisme du concept de « polyphasie cognitive ». Le concept est amené par celui qui est issu du champ de la psychologie sociale pour nommer la manière dont, dans notre travail collectif, plusieurs savoirs cohabitent, s’articulent, s’utilisent à différents moments du travail de la recherche. Ce chercheur évoque puis intègrera différentes références sur ce concept : issu de la théorie des représentations sociales (Moscovici 1976), il explique la co-existence de la logique de sens commun inscrite dans les expériences sensibles et situées des sujets et des groupes, et ceux de la rationalité scientifique (Jodelet 2015) il permet de rendre compte de l’alternance des courants de pensée que nous utilisons de manière alternative, comme un courant électrique polyphasé ; les différentes « longueur d’ondes» à travers lesquelles nous pensons et communiquons se situent à l’intérieur du groupe, mais également potentiellement à l’intérieur de chaque individu pouvant être détenteur du multitudes de savoirs.

Lors d’un temps de travail oral, on demande à chacune et chacun comment ce concept « résonne ». Un autre membre de la coordination, sociologue, initiateur de la démarche et de plusieurs recherches de financement pour celle-ci, en tâche dans la coordination de l’animer, concerné familialement par les mesures de contrainte légale, est séduit ; il comprend ce concept pour décrire la pluralité des savoirs « internes » à chaque membre de la coordination, mais aussi l’alternance entre des phases de compréhension et des phases d’opacité pour chacun∙e dans les discussions collectives ; un autre membre de la coordination, âgé de 75 ans, diplômé d’éthique, vivant en hébergement d’urgence, amateur de la phénoménologie de Merleau-Ponty, contributeur au rapport alternatif présenté au comité des droits de la CIDPH, militant pour la garantie des droits dans toute privation de liberté (conviction qui y était oubliée) et ayant publié un article très lu sur le site internet de l’espace éthique (Meile 2020), amène l’importance de « l’attention conjointe » pour signifier la coexistence des savoirs et le processus dialogique de pensée commune. Une autre participante qui se présente comme très touchée par les expériences du handicap psychique évoque la psychologie humaniste et les théoriciens de l’écoute (Rogers 2001) pour signifier que dans la démarche, ce qui est important, c’est le fait d’être écouté et pris en compte dans un processus de pensée collective. Un autre, en situation de handicap intellectuel insiste sur l’importance du dialogue. Une usagère-chercheure propose de faire des entretiens avec les différents membres de la coordination pour l’illustrer. Ce travail d’appropriation collective se fait parallèlement à l’avancée de l’écriture, continuité rédactionnelle assurée principalement par deux chercheur·e·s; une spécialiste de la relation d’aide s’impliquera également fortement dans la ré-écriture et le raccourcissement de l’article.

Plusieurs autres temps de travail collectifs autour de l’article sont proposés; le texte en cours d’écriture est dans la boîte partagée avec des envois réguliers au membre du groupe de travail qui ne se sentent pas à l’aise avec l’usage de cette boîte.

L’appropriation du projet d’article et de son propos sur la polyphasie cognitive présente dans la démarche Capdroits s’est ainsi faite par la mise en place d’un dispositif de travail articulant des temps où un « savoir de la pratique Capdroits» s’échange oralement et spontanément, des outils rendant accessible la production commune, et une explicitation des références de chacune et chacun.

Le refus d’autorat comme existence d’un pouvoir

À la suite de ce travail d’appropriation collective s’est posée la question de la signature de l’article. Au-delà du processus d’auteurisation personnelle, conduisant à reconnaître un produit comme étant le sien, l’auteurisation collective implique de se reconnaître dans un produit ayant été en grande partie produit par d’autres et avec d’autres, et soulève le problème d’un partage colectif d’un pouvoir, des rétributions possibles et de responsabilités. Différents usages existent dans la littérature scientifique conduisant par exemple à plus ou moins ouvrir la signature de l’article à celles et ceux qui ont permis directement ou indirectement sa production (Pontille 2008). Dans le cadre de ce projet d’article, il avait été convenu qu’il serait ouvert aux membres de la coordination de la démarche. Puis, quelques jours avant la date butoir, la question de la signature est posée à l’ensemble des membres de la coordination12.

Sur les 14 membres de la coordination, 8 ont réagi à la proposition de signature collective dans la semaine qui a suivi. Les courriels révèlent le sentiment de non-reconnaissance « interne » de membres de la coordination avec la rédaction de l’article.

Une membre de la coordination, qui a une formation en sociologie et en gérontologie, qui est aujourd’hui mandataire à la protection des majeurs, explique dans un courriel : « Je dois avouer que la lecture m’a été difficile car il y a beaucoup de notions qui ne me sont pas familières.»

Une « usagère-chercheuse » membre de la coordination, marquée dans sa formation il y a une vingtaine d’année par la psychothérapie institutionnelle, exprime de fortes critiques vis-à-vis de l’article :

En réponse au mail de Bt de ce matin, je ne suis pas d’accord pour être co-auteure de l’article : « Radicalité épistémologique et polyphasie cognitive » parce que comme le dit très justement Bd « on est dans la novlangue» et je ne me reconnais pas du tout dans ce qui est dit : Ça ne me parle pas, je n’y trouve pas l’engagement dans la démarche Capdroits qui est la mienne ni la nature de mon investissement et de mon implication en tant qu’usagère-chercheure et il y a des asymétries dans le rapport au savoir que je ne suis pas en capacité de m’approprier; pourtant, j’ai des velléités élitistes mais là, cela dépasse l’entendement!![…] » Cela ne répond pas à mes questions légitimes à mon sens entre symétrisation des savoirs entre chercheurs, travailleurs sociaux et usagers, la voix des usagers n’est pas dépeinte dans la particularité et la singularité de son engagement et au nom d’une objectivation scientiste, on est dans la déperdition de sens, les usagers sont noyés dans une terminologie peu accessible et obscure et dans laquelle et je ne pense pas me tromper, ils ne peuvent se reconnaître ni les uns, ni les autres. Je me pose en outre la question : « quelle est la nature de l’objectivation des savoirs ? En quoi est-elle plus légitime ou plus légitimable que le savoir expérientiel qui soustend cette analyse ? Où sont passés les usagers et la revendication de leurs droits à la parole ? Et leurs intérêts pour la démarche qui est à la source de ce travail ? Il devrait en fait y avoir premièrement l’appréhension des usagers-chercheurs sur la teneur de la démarche, deuxièmement l’approche des travailleurs sociaux et dans un troisième temps seulement, une analyse des chercheurs qui reprendraient le discours des uns et des autres pour qu’il y ait une réelle symétrisation des savoirs et un fonctionnement à 3 voix selon une démarche qui serait alors celle d’une réelle « polyphasie cognitive » au lieu de quoi il y a une sur-représentation du discours des chercheurs académiques dans un magma indigeste et peu recevable. Il n’y a pas selon moi dans les faits de « radicalités épistémologiques » à l’œuvre dans ce travail mais juste l’unisson du discours des chercheurs et leurs interprétations de la démarche Capdroits.

Voilà, c’est « mon coup de gueule» mais j’imagine qu’il est partagé par les usagers qui ne se reconnaîtraient pas dans le texte proposé pour le peu d’importance qu’on fait de leur histoire et cas particulier.

Donc, pas d’apposition de mon nom à cet article.

Certains ne souhaitaient pas se considérer comme auteur·e·s du fait de leur impossibilité à pouvoir intervenir directement dans l’écriture, notamment à cause de leurs contraintes professionnelles. Le temps disponible pour pouvoir travailler à la rédaction d’un article n’est pas le même entre les différents groupes d’habitude, ce qui a pu générer des frustrations et des sentiments d’exclusion et d’injustice forts qui nécessitent des temps de régulation collective. Cela s’est exprimé par des sentiments d’être en dehors du processus d’élaboration des connaissances. Une membre de la coordination, spécialiste de la relation d’aide et diplômée d’un master en sociologie, écrit :

Qui écrit l’article ? Comment rendre compte des mots, des codes, des schèmes de pensées de l’ensemble des groupes d’habitude afin de retraduire cette polyphonie ? Comment traduire et ainsi passer de l’oral à l’écrit ou autrement dit : comment passer de la polyphonie à la polygraphie ? Voilà une belle limite de la radicalité dont nous parlons.

Il y a des disparités réelles dans les possibilités d’écrire, de rendre compte entre les individus. Quels moyens pouvons-nous développer pour le prendre en compte ?

Cette radicalité est d’autant plus saillante que probablement elle est accrue par les injonctions de publication des revues dites scientifiques ? Qu’est ce qui est acceptable ? Faut-il retraduire les savoirs non académiques dans un langage académique pour être admissible dans le monde de la recherche ? […]

Suis-je auteure de cet article ?

Je suis actrice de la polyphonie qui l’a rendu possible.

Je suis à l’origine d’un certain nombre d’idées ou de réflexions qui sont mises en avant dans l’article.

Je suis auteure de quelques phrases qui sont reprises.

Mais suis-je auteure de cet article ? Je ne me suis pas impliquée dans cette polygraphie … Alors, je n’en ai pas le sentiment.

La place du savoir universitaire dans la pratique de l’écriture de cet article et la difficulté à rendre compte de la diversité des savoirs a été évoqué par une autre membre de la coordination, professionnelle de la relation d’aide :

En effet, comment transmettre des savoirs de divers horizons au prisme d’une écriture relevant plutôt de la forme, des concepts, du vocabulaire … émanant du champ de la recherche académique ?

Une autre membre psychosociologue de notre coordination va aussi dans ce sens :

Pour moi, cet article est tout ce que vous en dites : pas assez accessible sans aucun doute, donc excluant c’est vrai, mais aussi intéressant, peut-être pas tout à fait sorti du magma issu de notre polyphasie, même si je trouve qu’il a bien progressé en clarté (ou alors c’est à force de le relire ?). Et même s’il est vrai qu’en (re)lisant j’ai été tentée, moi aussi, par une version en écriture simplifiée.

À voir les réactions et discussions autour de cet article, si j’osais …, en fait j’ose : je dirais en termes de « polyphonie » pour le coup, que nous n’avons pas tous la même partition ; autrement dit, je suis d’accord avec S. : comment traduire et passer de l’oral à l’écrit compte tenu de la disparité de nos savoirs et de l’exigence éditoriale des revues ?

Comment faire pour que chacun trouve sa trace/place dans un écrit (y compris les professionnels qui ont certainement beaucoup à dire) ? Une composition ? Le faut-il toujours ?

Les échanges autour de la question de la signature de l’article révèlent une complexité des rapports de pouvoir à l’œuvre. Il est possible d’interpréter les non-signatures comme une forme d’exclusion suscitée par un texte trop peu accessible. Il est aussi possible de voir dans ces refus de signature une forme de prise de pouvoir sur la nature de la démarche collective, mais aussi dans les rapports internes à l’activité de coordination, et plus largement sur l’intérêt du champ des publications scientifiques pour des personnes qui ne sont pas directement intéressées par ce type de rétribution symbolique.

À la suite de ces discussions, il est proposé d’ajourner la question des signatures à des modifications qui pourront être faites à la suite de l’examen par les pairs externes de la revue. La question de la signature du projet d’article ne sera plus posée, du moins, pour l’article se centrant sur la question des « radicalités épistémologiques » : les coordinateurs du numéro nous ont finalement indiqué un refus de publication du texte par la revue, les différents contributeur·ice·s n’étant dès lors de fait pas reconnus institutionnellement comme co-auteur·e·s d’un texte ayant une valeur scientifique.

Le refus de publication comme révélateur du pouvoir académique et éditorial

Ce refus par une revue de sciences sociales ayant pour objet « les participations » nous permet d’approfondir l’enjeu de la reconnaissance institutionnelle de participant·e·s à des rechercheaction-participative comme auteur·e·s. Cette revue est organisée autour d’un comité éditorial qui confie la coordination de numéros à des chercheur·e·s qu’il reconnaît comme crédible sur une thématique donnée. Conformément aux pratiques du champ académique, les articles proposés sont soumis à la relecture d’examinateur·rice·s anonymes. Un·e des examinateur·rice·s du projet d’article soulignait la nécessité de modifications majeures, l’autre indiquait un refus. L’analyse des évaluations réalisées par les examinateur·rice·s sont éclairantes.

L’examinateur·rice qui propose un refus insiste sur le fait que la « recension de la littérature » serait « très faible », notamment à propos des «épistémologies radicales» et du concept de «polyphasie cognitive». Cette personne évoque également une «problématisation moyenne/faible», « l’article présentant des analyses importantes de cette démarche, mais la problématisation de l’article est insuffisante » ; il ou elle considère également que le «point principal, à savoir que la « démarche mettrait en scène une polyphasie des savoirs n’est pas établie, faute d’argumentation ». Ces appréciations soulignent l’insuffisance scientifique de l’article. L’examinateur·rice propose une piste d’explication de la difficulté :

Une piste que je soumets aux auteur·e·s est que la méthodologie de Capdroits pourrait être pertinente pour produire des travaux de l’ordre du forum, mais trouverait ses limites dans l’exercice de l’écriture d’un article académique (d’où les incompréhensions et les départs de certaines personnes à cette occasion) ; il conviendrait alors d’en analyser finement les raisons.

Au-delà des qualités reconnues insuffisantes du projet d’article, le refus du comité éditorial et les commentaires des examinateur·e·s est éclairant des difficultés du monde académique à reconnaître le format de production de connaissance proposé par les rédacteur·e·s.

Cet article est très perturbant. S’il n’est clairement pas publiable en l’état, on ne peut s’empêcher de se balancer entre deux idées :

  1. 1)

    il n’est pas publiable du tout, du fait de sa problématique centrale (l’impossibilité des auteur·e·s à … l’écrire !)

  2. 2)

    Il mériterait une nouvelle chance, car il soulève un problème important dans le cadre des débats sur les « épistémologies radicales ».

Il est intéressant de noter que la pluralité des points de vue présentés dans l’article est reçu comme une « impossibilité des auteur·e·s à écrire l’article ». L’analyse théorique proposée, à partir du concept de « polyphasie cognitive » pour rendre compte du processus de production plurielle n’est pas discutée par le reviewer, qui disqualifie l’article en considérant qu’il « n’est pas écrit ». Il reconnaît toutefois la pertinence du problème soulevé et justifie de manière alambiquée la nouvelle chance qui pourrait être donnée à cette contribution (ce qui ne sera pas retenue par les coordinateur·ice·s du numéro) :

[Il faudrait] « exposer le sens de ‹ l’épistémologie radicale › dans le papier : il s’agit clairement de rompre avec une production scientifique « par les pairs pour les pairs ». Et d’ailleurs, pourquoi continuer à communiquer ? On pourrait imaginer qu’un acte de « radicalité épistémologique » se conclue par le refus des arènes classiques de la science normale, privilégiant la force transformatrice et émancipatrice des savoirs produits (peu importe leur publication formelle, ces savoirs jouent leur épistème ailleurs, dans leur capacité à émanciper). S’agit-il d’une condition d’existence du projet (notamment vis-à-vis des financeurs) ? S’agit-il d’une volonté des chercheur·e·s en rupture d’aller faire la démonstration de la force de leur choix épistémologiques ?

Imaginant que la « radicalité épistémologique » consisterait à refuser « les arènes classiques de la science normale », il disqualifie l’invitation qui nous a été faite de réfléchir en mobilisant des outils de la « science normale ». Il n’est pas question ici de rediscuter cette question de la « radicalité épistémologique » de la démarche mais d’éclairer les enjeux de pouvoirs inhérents au processus d’auteurisation. Ce refus soulève la question des frontières entre le domaine dit scientifique et le domaine public et citoyen. L’examinateur·e·s laisse entendre que tous les contributeur·ice·s de l’article soumis ne sont pas des pairs au sens académique du terme. Il/elle dessine une frontière entre la pairitude scientifique et la pairitude citoyenne. Il/elle nous rappelle que la pairitude scientifique se construit par des formes de co-habilitation reposant sur des critères institutionnels.

Le partage de l’autorat comme co-habilitation scientifique et citoyenne

Ces réserves qui ont justifié un refus de publication par les coordinateur·ice·s du numéro de revue nous ont obligé à reprendre collectivement notre réflexion sur le processus d’auteurisation avant de nous lancer dans une nouvelle tentative d’écriture collective, en approfondissant l’enjeu de l’articulation entre autorité énonciative et autorité institutionnelle, et en éclairant ainsi le lien entre les dimensions scientifique et citoyenne de l’auteurisation. L’un des co-auteur·e·s, chercheur académique, initiateur de la démarche, a partagé sous une forme écrite ses réponses aux questions posées par les examinateur·e·s :

Pourquoi écrire des articles scientifiques dans la recherche Capdroits ? Ces questions me semblent importantes, mais je suis gêné par les réponses induites par les examinateurs. Certes, il est utile de pouvoir montrer que des articles ont été publiés dans le cadre de la recherche de financements; la démarche ne manque cependant pas d’article dans différentes revues ou livres collectifs. Certes, les publications scientifiques sont plus utiles dans le CV d’un chercheur académique que dans le CV d’un travailleur social ou d’un expert d’expérience ; elles constituent une attente pour les carrières professionnelles académiques; l’apport d’un article collectif n’est cependant pas déterminant. Plus largement, je ne me sens pas en rupture dans le champ académique. Pour moi, l’écriture et la publication d’un article dans une revue académique n’est pas seulement un exercice académique. À mes yeux, le travail d’écriture participe d’une plus grande intelligibilité de ce que nous faisons collectivement. Cette intelligibilité est d’abord interne. Les règles académiques apportent une exigence de questionnement qui est utile à tous les participants de la démarche. Je considère également que cette intelligibilité mérite d’être partagée avec d’autres, d’être rendue publique.

Un autre des co-auteur·e·s, qui ne peut ni lire ni écrire évoque « sa fierté » de participer à un « faire » collectif et que son expérience puisse être utile pour les autres. Il conditionne sa signature au fait que ses propos ne soient pas trahis dans leur transcription écrite. Il insiste sur le fait qu’il ne se sent pas « auteur » de l’article mais bien « co-auteur » :

Moi, je ne peux pas écrire, mais ce sont mes mots à moi que tu écris aussi … c’est pour cela, je préfère co-auteur.

Dans cette mise au travail, une autre d’entre nous, se reconnaissant en handicap psycho-social, soulève une nouvelle fois les difficultés d’appropriation du texte pour des personnes en situation de handicap :

Quelles sont les intérêts des personnes en situation de handicap à se mobiliser pour des publications qui parlent d’elles ? et j’aurai cette forme de réponse qui consiste à dire qu’elles vivent dans l’urgence de résoudre leurs problèmes au quotidien, qu’ils n’ont pas le loisir de « penser leurs problèmes», à défaut de les « panser» ils sont dans l’urgence de trouver des alternatives ou solutions concrètes, dans une forme de survie existentielle, sautillant de démarche en démarche, cahin-caha.

Mais elle reconnaît aussi l’importance pour elle de signer un texte dont elle ne tirera pas un « intérêt académique », mais qui donne sens à son engagement :

Parce que j’y crois. C’est le prix à payer pour sortir de notre ghetto et de notre ghettoisation. Pour que le nivellement se fasse par le haut, et non par le bas.

Un accord existe sur le fait que les publications académiques peuvent être utiles aux chercheur·e·s académiques présents dans la démarche, mais aussi à l’ensemble de la démarche. S’il ne s’agit pas d’une condition d’existence directe du projet, ces publications académiques peuvent avoir un intérêt économique indirect ; elles constituent surtout de fait une réception par les pairs, qui peut aussi être signifiante par d’autres pairs, non pas ceux du monde académique, mais celles et ceux se reconnaissant dans l’importance d’une pratique commune de recherche, à visée inclusive et citoyenne.

Autrement dit, la revendication de la reconnaissance d’une autorité énonciative passe non pas seulement par l’accès à un espace de débat, mais bien à la reconnaissance institutionnelle, en l’occurrence académique, d’un apport substantiel de la démarche de recherche action participative aux savoirs sur l’exercice des droits.

Conclusions

À travers l’analyse de l’auteurisation dans la recherche-action-participative Capdroits, cet article a soulevé trois questionnements principaux, à savoir celui des modalités publiques et scientifiques de reconnaissance des savoirs expérientiels de personnes, celui des rapports de pouvoirs entre les productrices et producteurs de savoirs, ainsi que celui des redéfinitions des frontières entre pratique scientifique et citoyenne.

L’analyse des modalités concrètes d’accès à l’espace public et scientifique des différents participant·e·s de la recherche-action nous a permis de montrer la portée et les limites de la reconnaissance des différents savoirs partagés. Certes, l’émergence de la démarche Capdroits comme cadrage spécifique des difficultés à exercer et faire valoir ses droits existant à travers des participations à des scènes de forums et des publications constitue en elle-même une preuve des effets de la reconnaissance de l’expérience de personnes empêchées dans l’exercice de leurs droits. Mais l’analyse de la dynamique d’auteurisation en a aussi souligné les limites. Beaucoup de participant·e·s n’ont pas vu l’intérêt d’auteuriser leur expérience et se sont retirés à bas bruit. Au regard de cette difficulté, l’enjeu n’est pas seulement de rendre accessible l’espace public mais de rendre suffisamment intéressant le fait d’y participer. En ce sens, nous avons montré combien l’auteurisation collective pouvait aussi donner du sens à une reconnaissance d’autorat qui pour plusieurs d’entre nous n’a pas d’intérêt en elle-même.

L’analyse nous a permis d’éclairer les intérêts disparates dans la pratique d’auteurisation et la complexité des rapports de pouvoirs engagés. L’autorat constitue une forme de reconnaissance et de rétribution centrale dans les publications scientifiques dont la signification et l’intérêt est très différenciée selon que les contributeur·rice·s ont ou aspirent à une carrière académique professionnelle (Sarna-Wojcicki et al. 2018). Toutefois, les rapports de pouvoir ne sont pas seulement structurés par l’opposition entre personnes concernées directement par l’objet de recherche (« l’empêchement à exercer ses droits ») et celles s’intéressant pour des raisons professionnelles à cet objet. Le positionnement par rapport aux reconnaissances différenciées des savoirs (« scientifiques » / versus « profane »), aux types de handicap (psycho-social, intellectuel, cognitif …) mais aussi par rapport aux modalités de participation (militantes versus non militantes) explique des modalités de participation, des intérêts, et un accès différencié à la reconnaissance d’un statut d’auteur·e. L’analyse a souligné l’importance du refus de signer comme prise de pouvoir dans le sens où ce type de refus explicite que la rétribution constituée par une signature a des significations très différenciées selon la position sociale des potentiel·e·s signataires. La possibilité véritable de refuser de signer donne inversement sens à une co-auteurisation qui ne soit pas seulement formelle mais qui dit la diversité des contributions nécessaires à la production d’un énoncé porteur d’autorité.

L’analyse d’une tentative de publication scientifique a permis de faire ressortir l’enjeu central de la dimension collective de l’auteurisation. En effet, nous avons vu combien l’usage de concepts issus du savoir scientifique a été producteur d’incompréhension, de sentiment d’étrangéité. S’approprier des concepts scientifiques, comme « épistémologie » ou « polyphasie cognitive », a été difficile, jugés étranges et hermétiques ou participant·e·s à la « novlangue ». La question de l’écriture, et plus précisément le rapport entre les savoirs oraux et la pratique de l’écriture a permis d’éclairer les rapports de pouvoir à partir des tensions suscitées dans notre travail collectif et participatif. La rédaction scientifique fait ressortir comment l’écriture peut renvoyer à une forme de « domestication de la pensée ; ou de réification de la pensée rompant «[…] avec la pensée et le langage habituels auxquels nous avons affaire et que nous employons » dans la vie quotidienne (Moscovici 1976). Cette pratique de l’écriture a sensiblement réactualisé des rapports de pouvoir.

Cette analyse de l’auteurisation collective a aussi fait ressortir l’importance de l’accès à des publications comme légitimation à prendre position (Ebersold 2019) quant à sa participation ou non à l’espace public et scientifique de discussion. Elle a également souligné l’ambivalence de la participation à une pratique considérée comme « élitiste » qui peut avoir des effets émancipatoires en tant que reconnaissance « par le haut » des expériences mais peut aussi susciter un rapport d’étrangeté et d’opacité actualisant des sentiments de non-reconnaissance.

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Zarb, Gerry. 1992. «On the Road to Damascus: First Steps Towards Changing the Relations of Disability Research Production». Disability, Handicap & Society 7(2), 125–138. https://doi.org/10.1080/02674649266780161

Notes

  1. Benoît Eyraud a assuré le fil rédactionnel de l’article ainsi que l’animation collective. Arnaud Béal a rédigé certains paragraphes de l’article. Chantal Bruno, Valérie Lemard, Isabel Miranda ont fait plusieurs relectures et retours écrits, et ont participé à différents échanges oraux. Jacques Lequien a donné son accord à toutes les étapes de production. Des membres de la coordination Capdroits se sont impliqué∙e∙s dans l’article en refusant finalement de le signer; d’autres membres de la coordination ne se sont pas impliqué∙e∙s du tout. Les extraits utilisés ont fait l’objet d’une autorisation de leurs auteur∙e∙s.

  2. Les dimensions « scientifique » et « citoyenne » de la démarche sont indissociables et ne font pas l’objet d’une frontière stable. Leur articulation se fait à géométrie variable à travers les interactions entre les producteurs et les récepteurs de cette démarche.

  3. La capacité juridique désigne la reconnaissance par le droit qu’une personne peut agir par elle-même dans tous les actes de sa vie. Elle est ordinairement reconnue de manière pleine pour toutes les personnes ayant passé l’âge de la majorité civile. Elle peut être « défaite » à travers la mise en place de mesures légales de prise de décision substitutive (tutelle, curatelle, soins forcés) dont l’existence est dénoncée par le comité des droits assuré du suivi de cette convention (Eyraud et al. 2018).

  4. À la suite de Fricker et de Frega, on désigne les injustices épistémiques comme l’inégale reconnaissance des savoirs des êtres humains. L’injustice épistémique « consiste dans le fait de nier la crédibilité d’un sujet en raison de certains attributs sociaux qui, en principe, ne devraient pas affecter son autorité cognitive, comme le genre ou l’identité ethnique » (Frega 2013).

  5. Les désignations des positions d’expérience et d’expertise des participant·e·s de la démarche sont multiples.

  6. La démarche de recherche citoyenne Capdroits a mené deux vagues de recherche-action, d’abord en 2016/2018, puis en 2020/2021. Dans chaque phase, une dizaine de groupes locaux dans 5 régions françaises ont été mis en place comprenant au total plus d’une centaine de participant·e·s. Les groupes se sont constitués à partir d’un appel à participation centré sur les questions des empêchements à l’exercice des droits. Chaque groupe a été animé par trois facilitateurs-chercheur·e·s, le trinôme réunissant un expert académique, un expert d’expérience, et un expert de la relation d’aide ; 31 facilitateur·e·s-chercheur·e·s et 59 participant·e·s se sont impliqués dans des groupes locaux de la première vague. L’engagement des personnes dans la démarche ne se fait pas à partir de catégories administratives de handicap, mais au regard d’un sentiment vécu d’empêchement dans l’exercice de leurs droits. Pour une majorité de participant·e·s des groupes, ces empêchements sont en lien avec un vécu de handicap psycho-social ; pour une minorité de participant·e·s, il s’agit d’une expérience de poly-handicaps, de handicaps cognitifs, ou de handicaps intellectuels. La coordination de la démarche était assurée lors de la première vague (2016–2018), principalement par un chercheur académique et une chargée de mission salariée par un laboratoire de recherche ; entre 2019 et 2021, cette coordination a été assurée par 14 personnes, dont 6 se reconnaissent dans la démarche par leur situation de handicap, 3 se reconnaissent comme spécialistes de la relation d’aide, 4 se reconnaissent comme chercheur·e·s académiques, et 1 comme représentant une fédération de personnes handicapées.

  7. Lors du premier comité d’organisation, quatre personnes se sentant directement concernées par la question de la capacité à consentir étaient présentes, toutes quatre ayant une connaissance de la convention par l’intermédiaire d’une certaine proximité avec une association représentant des personnes se sentant concernées par le handicap psycho-social.

  8. La mise en place de ces trinômes d’animateur·ice·s, la reconnaissance de leur activité, et la participation de personnes handicapées dans l’exercice de leurs droits à ces groupes locaux puis à des « scènes de forums » ont soulevé des enjeux de pouvoirs en même temps qu’elles ont révélé la portée et les limites de l’articulation entre des savoirs différents. La revendication des facilitateur·e·s-chercheur·e·s a contribué à transformer le programme d’action innovante en démarche scientifique et citoyenne (Co-chercheur·e·s Capdroits 2019).

  9. La consigne commune, proposée à l’ensemble des groupes locaux, était formulée ainsi: «Pouvez-vous nous raconter une situation de vie au cours de laquelle vous avez été en difficulté dans l’exercice de vos droits, et au cours de laquelle l’intervention apportée a été insuffisante ou excessive?».

  10. Seize facilitateurs-chercheur·e·s se sont engagés par la forme d’un conventionnement avec un partenaire institutionnel; dix se sont engagés en étant directement rétribués; sept se sont engagés sous une forme bénévole et militante. Les modalités d’engagement diffèrent de manière significative selon les groupes d’habitude. Six facilitateurs-chercheur·e·s provenant des groupes d’habitude experts d’usage ont été rétribués, et cinq provenant du groupe d’habitude « professionnel des sciences sociales et juridiques ».

  11. Voici un extrait de la présentation du dossier dans l’appel à participation : « Ce dossier vise à faire état des recherches participatives contemporaines reposant sur ces épistémologies radicales, dont le positionnement politique, voire subversif, interroge les conceptions hégémoniques et les protocoles conventionnels de production de la science […]. En mettant l’accent sur des démarches de coopération entre chercheur·e·s de carrière et chercheur·e·s non professionnel·le·s s’inscrivant dans une double perspective de pluralisme épistémologique et de lutte contre les oppressions, ce dossier contribuera à dresser un bilan des retombées de ces travaux au regard de leurs prétentions épistémologiques et politiques. » https://riuess.org/appel-a-contributions-pour-le-numero-epistemologies-radicales-et-recherches-participatives-de-la-revue-participations-pour-le-21-fevrier-2019/.

  12. Voici la formulation de la question par courriel : « Voici comme convenu l’article ‹ radicalité épistémologique et polyphasie cognitive › dont nous avons assuré la rédaction avec Ad, à partir des analyses en groupe de travail et des matériaux partagés par les uns et les autres. […]Merci de nous indiquer d’ici lundi soir si vous êtes d’accord pour co-signer[…]. Nous proposons que la signature fasse apparaître un double registre de savoirs, comme nous l’avions fait au moment du manifeste. Nous pouvons reprendre les titres qui avaient été alors mobilisés par les uns et les autres ou indiquer une autre manière de se présenter.[…]. »