Introduction
La Convention internationale des droits des personnes handicapées entend faire mieux
reconnaître la place des personnes en situation de handicap dans la vie sociale. Influencée
par des Organisations de personne handicapées, le mouvement des disability studies et le slogan “nothing about us without us”, elle a été négociée à travers une valorisation des savoirs issus de l’expérience
des personnes handicapées. La démarche scientifique et citoyenne2 Capdroits s’inscrit dans la dynamique de cette convention, à la fois à travers son
objet et sa méthode de recherche. Elle vise en effet à questionner l’exercice des droits des personnes dont la capacité
juridique3 est remise en cause à partir de l’expérience qu’elles en ont (Béal et al. 2018, Capdroits 2019, Capdroits 2022) ; elle entend s’appuyer sur une mise en problème public des expériences d’exercice
des droits. La démarche vise à réduire les inégalités de pouvoir inhérentes aux injustices
épistémiques4 (Fricker 2007) en proposant des modalités de recherche symétrisant les savoirs des personnes concernées
par des situations de handicap, de maladie ou de dépendances, des acteurs de la relation
d’aide et de soin (proches ou professionnel·le·s), et des professionnel·le·s de la
recherche en sciences sociales et juridiques. Elle s’ancre se faisant dans un questionnement
autour des savoirs et de leur hiérarchisation sociale et rejoint la proposition conceptuelle
de « justice cognitive » de Shiv Visvanathan (2016) de reconnaître des savoirs différents, qui sont traditionnellement hiérarchisés,
dans des rapports d’égalité afin de favoriser un processus démocratique de construction
des connaissances.
La mise en œuvre pratique d’une telle recherche action participative soulève aussi
bien des questions relatives aux rapports de pouvoir que des modalités concrètes de
production et de reconnaissance des savoirs d’expérience. Les pratiques majoritaires
des recherche en sciences sociales, qui peuvent être qualifiées d’hégémoniques, au
sens qu’elles s’opèrent « au fil du temps à partir du sens commun disciplinaire et
qui se tient en dehors de tout examen » (Escobar et Restrepo 2010) se réalisent à travers des relations sociales qui reproduisent des formes de domination
véhiculées dans la vie sociale, tendant de fait à marginaliser (Oliver 1992) ou à exploiter, par extractivisme, l’expérience des personnes en situation de handicap
(Godrie 2021). Dans le cadre de la démarche Capdroits, nous cherchons, à la suite de différents
travaux, à développer une pratique de recherche-émancipatoire, reposant sur des principes
de réciprocité, de pouvoir d’agir, et d’identification de gains (Oliver 1992, Zarb 1992, Jeanne, Fournier et Couture 2019, d’Arripe et al. 2015, Ollerton et al. 2013, Eyraud et al. 2018). Nous proposons dans cet article de nous centrer sur l’une des étapes centrales
des pratiques de recherche, à savoir celles de leurs publications et des enjeux d’autorat
proposée par le protocole de la démarche Capdroits. À la suite de nombreux travaux
sur l’autorat (Leclerc 1996, Love 2002, Pontille 2008), nous appelons « auteurisation » le processus par lequel une personne se reconnaît
et est reconnue comme auteur·e d’un énoncé, reconnaissance se traduisant aussi bien
par l’attribution d’une auctorialité, c’-està-dire la reconnaissance de la source
nominative d’un énoncé, et d’une autorité, c’-està-dire la reconnaissance de la crédibilité
et du pouvoir afférent à cet énoncé. Cette question de l’auteurisation s’est progressivement
imposée comme centrale dans la méthodologie de mise en problème public de l’expérience
du programme. Elle imbrique des enjeux de connaissance et de reconnaissance et constitue
un révélateur des rapports de pouvoirs existant dans cette démarche de recherche-action-participative.
Un premier axe de questionnement porte sur les conditions d’accès des personnes participant
à la recherche-action aux scènes de publication et à l’autorat. Toutes les personnes
participantes sont-elles invitées à participer en tant qu’auteur·e à des scènes publiques
les reconnaissant à ce titre ? Tous les participant·e·s de la démarche accèdent-ils
de manière équitable aux espaces de reconnaissance et aux gains liés aux publications
?
Un second axe de questionnement porte sur les difficultés relatives à la personnalisation
ou à la collectivisation de l’autorat. Comment se met-on d’accord sur un énoncé, un
texte dans lequel chacun·e contribue et se reconnaît ? Comment s’attribuent et se
distribuent les pouvoirs dans la fabrication de ces accords (ou désaccords), et in fine, de leur matérialisation dans des signatures (ou non) ?
Enfin, un troisième axe de questionnement porte sur les frontières et les imbrications
entre les dimensions « scientifiques » et « citoyennes » des connaissances, sur notre
appréhension de ce qui est scientifique, et sur le rapport ambivalent à l’élitisme
présent dans les recherches-actions-participatives. Est-ce que celles-ci relèvent
d’une forme de « néo-colonisation » des savoirs à travers le développement par une
forme d’envahissement de la sphère de l’expérience par les formats abstraits et structuraux
des protocoles et énonciations académiques (Straughan 2009) ? Ou est-ce que la participation de non-professionnel·le·s aux recherches académiques
parvient à transformer celle-ci, notamment en participant à révéler les rapports de
pouvoirs qui la structurent ?
Pour traiter ces questions, nous présenterons dans une première partie la place centrale
prise progressivement dans la démarche Capdroits par le processus d’auteurisation
en l’inscrivant dans la genèse et le développement de cette démarche.
Nous développerons dans une seconde partie une mise en abîme des difficultés posées
par les opérations de publicisation de savoirs analysant une tentative d’écriture
d’un article scientifique cherchant à tenir ensemble de manière symétrique les différents
types de savoirs apportés par des membres de la coordination de la démarche.
Ces analyses prennent comme matériau les comptes rendus de nombreuses réunions et
les courriels échangés entre membres de la coordination Capdroits, les analyses collectives
menées pour préparer différentes présentations orales des résultats du programme,
ainsi que les échanges liés à la rédaction d’un projet d’article qui n’a pas abouti.
Ces échanges comprennent des entretiens informels entre membres de la coordination,
ainsi que des comptes-rendus de temps de travail consacrés à l’écriture de cet article.
Il s’agit d’une forme d’auto-ethnographie collective (Callier et al. 2017).
Six membres de la coordination de la démarche Capdroits sont co-signataires de cet
article, en l’occurrence un enseignant-chercheur en sociologie et un autre en psychologie
sociale, un expert d’expérience du handicap psycho-social, et un expert d’expérience
du handicap intellectuel ; deux spécialistes de la relation d’aide, l’une qui l’est
au double titre de l’expérience personnelle de mère d’un enfant handicapé et psychologue
social, l’autre qui est mandataire à la protection des majeurs et diplômée en sociologie5. L’un de nous, sociologue a assuré le fil rédactionnel ainsi que l’animation du travail
collectif ; les autres ont participé à travers l’apport de nombreux commentaires et
la rédaction de certains passages, par l’apport d’articles scientifiques ainsi que
par des commentaires oraux, pour l’un d’entre nous qui ne peut ni lire ni écrire.
L’auteurisation dans la démarche capdroits
Nous proposons dans cette première partie de présenter comment l’auteurisation est
devenue un enjeu central de la démarche de recherche citoyenne Capdroits6, accompagnant l’objectif d’une meilleure reconnaissance des savoirs et des pouvoirs
des personnes directement concernées par des empêchements à exercer leurs droits,
mais aussi des modalités de distribution des places conduisant à des accès différenciés
à la production et aux publications effectives de la démarche. Nous revenons pour
cela sur la genèse et la mise en œuvre de cette démarche, sur l’intégration de personnes
en situation de handicap dans une dynamique de recherche, sur la mise en place d’un
protocole de «mise en problème public de l’expérience», et sur la place des publications
et de l’auteurisation dans cette méthode.
À l’origine de la démarche : une revendication de reconnaissance des savoirs expérientiels
La démarche Capdroits trouve son origine dans les revendications portées par des personnes
en situation de handicap dans l’organisation d’une conférence scientifique internationale
initiée par un collectif de chercheur·e·s académiques en sciences sociales et juridiques
portant sur les questions de recueil de consentement et de recours à la contrainte
dans le domaine de la santé mentale. La découverte d’une observation générale du comité
des droits de la convention internationale pour les droits des personnes handicapées
portant sur la « capacité juridique » (Comité des droits, ONU, 2014) et de la place tenue par les organisations de personnes handicapées dans l’adoption
de cette observation, a conduit les animateur·ice·s du collectif à intégrer le Conseil
français des personnes handicapées pour les questions européennes ainsi que des personnes
en situation de handicap connaissant et intéressées par cette convention dans l’organisation
de cette conférence7. Celles-ci ont apporté des objectifs nouveaux, à savoir celui de prendre en compte
de manière significative les savoirs des personnes directement concernées par les
mesures de contrainte légale, et de symétriser les positions des intervenant·e·s,
quels que soient leur titre d’expertise. Le programme s’est alors donné comme but
de favoriser la transformation de savoirs d’expériences en expertise et de faire reconnaître
cette expertise sur l’espace public et scientifique (Borkman 1976), à travers un dispositif de « mise en forums ». Permettre aux personnes d’être en
position d’expertise, c’est reconnaître des savoirs sur « l’ajustement aux besoins
sociaux des acteurs concernés » (Bérard et Crespin 2010). Concrètement, une méthodologie a été développée consistant à faire animer des groupes
locaux composés par des personnes « empêchées », « handicapées » dans l’exercice de
leurs droits, par un trinôme d’animateur·ice·s nommés « facilitateurs-chercheur·e·s
»8, doté de savoirs pluriels, et de favoriser l’accès des personnes concernées par ces
empêchements sur des scènes de forums. Au moment de l’élaboration du programme, une
méthode de mise en forums, ou de mise en problème public de l’expérience est développée
dans laquelle la question de l’auteurisation ne fait d’abord pas l’objet d’une réflexion
approfondie, la notion n’étant alors même pas utilisée. Le programme prévoit simplement
que des publications seront réalisées sans qu’il ne soit précisé par qui.
L’émergence de l’enjeu de l’auteurisation : signature personnelle et nom collectif
Une première réflexion relative au processus d’auteurisation s’est faite au début
de la mise en œuvre de la méthode de « mise en problème public de l’expérience ».
Cette méthode, développée sur le postulat que l’expérience est la première source
de connaissance, que cette source de connaissance doit être mise en récit et partagée
collectivement pour être intelligible, prise en considération socialement et reconnue
en situation comme experte, prévoyait comme première étape le partage de récits en
groupes locaux9, puis leur analyse collective par ces groupes, avant une présentation des résultats
de ces analyses devant des tiers. La mise en œuvre de cette méthode a conduit à préciser
le protocole et les opérations techniques afférentes, notamment celle de la retranscription
des récits et de la collectivisation des analyses. Les personnes en charge du protocole
ont prévu qu’à la suite du premier partage de récits, chaque personne ayant partagé
un récit était invitée lors d’un second atelier à relire, reprendre, compléter ou
modifier le récit retranscrit et à confirmer l’autorisation donnée d’utiliser le récit
partagé comme élément d’un corpus collectif qui peut être analysé par les différent·e·s
participant·e·s des groupes, par les facilitateur·e·s -chercheur·e·s, voire par la
coordination de la démarche. Dit autrement, chaque personne ayant raconté oralement
une situation vécue confirme qu’elle se reconnaît dans sa transcription écrite, devenant
non seulement « auteure » du récit oral mais aussi de sa version écrite. Il était
proposé que cet accord soit matérialisé par une signature de la retranscription écrite
(si besoin modifiée).
Parallèlement à la constitution de ce corpus de récits personnels, un travail d’analyse
collective a lieu et la distanciation vis-à-vis de l’expérience personnelle se fait
en la mettant en discussion, mais aussi à travers la transcription écrite, puis la
réappropriation d’une parole partagée en récit auteurisé. Pour marquer ces analyses
collectives, le protocole prévoit que les membres du groupe puissent donner un nom
collectif à leur groupe. Plusieurs groupes ont choisi de se donner un nom d’auteur:
les « Feydeliens » ; « Handicap Liberté 33 » ; « Cap / pas cap » … Le protocole ne
précisait en revanche pas si les animateur·ice·s « faciliateur·e·s-chercheur·e·s »
des groupes en font partie ou non. Dans la plupart des groupes, l’expertise collective
s’est traduite à travers la réalisation d’un texte et/ou d’un diaporama en vue de
la présentation des résultats de l’analyse sur des espaces de forums avec le nom des
différents auteurs.
Ces opérations ont été identifiées comme relevant d’un double processus d’auteurisation
et d’autorisation, ces termes étant alors proposés au comité partenarial et au comité
scientifique de la démarche qui les ont validés.
Être auteur·e … de quoi ? La diversité éditoriale proposée
Pour favoriser l’accès des récits et analyses collectives à l’espace public en même
temps que pour une meilleure prise en compte des modalités d’expression des savoirs
d’expérience, la recherche-action-participative a cherché à développer différents
formats de publication, certains oraux, d’autres rédactionnels, d’autres se basant
sur l’audio-visuel. Il a été proposé de participer à des conférences, organisées par
différentes institutions (fédération de professionnel·le·s du soin, colloque scientifique
…). La publicisation de ces productions visait à faire reconnaître l’autorité des
personnes empêchées dans leurs droits sur ce qu’elles vivent, c’est-à-dire à en prendre
en compte la véracité. La reconnaissance de l’autorat n’est pas le même dans les espaces
scientifiques, dans lesquels une confirmation par des pairs est nécessaire, et dans
l’espace citoyen.
Les coordinateu·e·s de la recherche-action-participative ont organisé des conférences
scientifiques et citoyennes. La conférence Confcap qui s’est tenue fin 2017 a développé
une pratique éditoriale à l’articulation des habitudes « scientifiques » (sélectionner
les contributions) et d’une vocation citoyenne (être ouvert au public). Pour cela,
un appel à communication reposant sur une consigne commune de mise en récits, quelles
que soient les positions sociale et scientifique des contributeur·ice·s, a été diffusée.
Au total, 78 récits ont été proposés dont 17 provenant des participant·e·s des groupes
locaux.
À partir du corpus des récits constitués pour une conférence scientifique et citoyenne,
une publication sur le site internet a été soumise de manière générique à tous les
participant·e·s de la démarche ayant proposé de communiquer lors d’une conférence
scientifique et citoyenne. Sur les 78 récits partagés par des personnes professionnelles
de la relation d’aide, des personnes vulnérabilisées par un handicap, ou encore par
des chercheures et des chercheurs issus du monde académique qui ont été réunis dans
un corpus mis en ligne, seuls 18 ont été publiés à travers un post autonome sous nom
d’auteur identifié, six ayant été produits et attribués à des personnes rencontrant
des empêchements dans l’exercice de leurs droits, 6 se reconnaissant comme professionnel·le·s
de la relation d’aide, et 6 se reconnaissant comme relevant de la sphère académique.
Pour les publications à vocation « citoyenne » (le manifeste « Toutes et tous capables
! Toutes et tous vulnérables ») et le livret de plaidoyer « Capacités civiles et contraintes
légales », qui ont été produits au cours de la première phase de la démarche (Capdroits 2021), il a été proposé de signer le manifeste en faisant apparaître des titres « d’expérience
» et des titres « d’expertise » pour tous. Pour les publications à vocation scientifique,
l’ouverture à des co-auteur·e·s a pris des formes beaucoup plus restreintes (cf. infra).
Pour favoriser l’accessibilité des débats, d’autres modes d’expression que l’analyse
rédactionnelle ont été présentés. Il a été proposé aux contributeur·ice·s de construire,
dans le cadre du dispositif « représentations civiles » des « mises en image » (photos)
et des « mises en son» (enregistrements des extraits de récits) dans le prolongement
des récits de situations partagés en groupes.
L’accès à l’espace éditorial scientifique comme forme de rétribution spécifique
Dans le cadre du programme d’action innovant Capdroits, il était indiqué que des articles
scientifiques pourraient être produits sans qu’il ne soit précisé les modalités de
cette production. À la fin de la première phase Capdroits, il a été décidé qu’il serait
proposé à l’ensemble des facilitateurs-chercheur·e·s de la démarche de pouvoir être
auteur·e d’un article scientifique. Ce choix établit une frontière forte entre les
« facilitateurs-chercheur·e·s» et les « participant·e·s» des groupes locaux à qui
il n’a pas été proposé cette auteurisation dans des publications scientifiques. Ce
choix n’a pas été véritablement discuté: il a reposé sur des implicites pratiques,
mais aussi symboliques. Il semblait déjà ambitieux d’ouvrir à une trentaine de personnes
l’accès à la pratique de production de l’article scientifique ; surtout, ce choix
traduit la rétribution spécifique reconnue aux facilitateurs-chercheur·e·s du programme,
rétribution symbolique parallèle à la rétribution matérielle proposée aux facilitateur·e·s-chercheur·e·s10. Il est possible que la revendication initiale des animateur·ice·s d’être considérés
comme des « facilitateurs-chercheur·e·s» ait eu un effet sur l’accès proposé à des
publications éditées par des revues scientifiques. Lors de la valorisation de la première
phase de la recherche-action-participative Capdroits, il n’a pas été proposé aux participant·e·s
lambda des groupes d’être co-auteur·e·s d’un article.
Un second déterminant de la constitution du collectif signataire est celui des modalités
temporelles de sollicitation d’auteur·e·s potentiels. Dans le cadre d’un article portant
sur la présentation de la première phase capdroits, non seulement il a été proposé
à tous les facilitateurs-chercheur·e·s de participer à la rédaction et d’être co-auteur·e·s,
mais l’autorat est resté accessible jusqu’à la dernière opération de production de
la revue, les facilitateurs-chercheur·e·s ayant été relancés à plusieurs reprises
pour savoir s’ils souhaitaient être co-signataires (Capdroits 2021) ; dans d’autres articles, la temporalité d’attribution et de distribution de l’autorat
a été plus réduite ; par exemple, dans le cadre d’un article sur « l’engagement »,
la proposition de participer a été faite à tous les facilitateurs-chercheur·e·s, mais
seuls ceux qui ont signifié leur intérêt au début du processus seront régulièrement
relancés (Capdroits 2019).
Pour d’autres articles, la proposition de participer a été faite en cercle plus restreint.
Ainsi, pour l’article faisant suite à la remise d’un « prix de la recherche participative
» (non publié), la coordination de la démarche capdroits a limité l’ouverture du processus
d’auteurisation à ses membres.
La méthode d’écriture de ces articles à vocation scientifique n’a pas été protocolisée
mais elle s’est répétée de manière similaire en plusieurs occasions.
Rendre accessible l’autorat
L’enjeu de la publicisation de l’expérience des personnes directement concernées par
des mesures de contrainte légale est au cœur de la démarche de recherche citoyenne
Capdroits. Celle-ci s’est développée par la revendication d’un meilleur accès à l’espace
public et scientifique porté par des personnes se reconnaissant en situation de handicap.
La méthodologie de mise en problème public de l’expérience développée suite à la coopération
entre chercheur·e·s académiques, personnes concernées par le handicap et professionnel·e·s
de la relation d’aide a cherché à rendre accessible l’espace public et scientifique
(Fougeyrollas et al. 2014) à travers un dispositif d’accompagnement et de réception
invitant à la rencontre entre les savoirs. La mise en œuvre de la méthode a fait surgir
l’enjeu central de l’auteurisation, aussi bien pour permettre aux personnes de se
reconnaître et d’être reconnues pour leurs savoirs en leur nom propre, ou à travers
une identité collective choisie. Elle a aussi fait ressortir que de nombreux et nombreuses
participant·e·s ne se sentaient pas très concernés par la dimension institutionnelle
de l’autorat. La reconnaissance d’une autorité vécue semble s’être faite davantage
dans des temps de forum en co-présence qu’à travers des publications éditées dans
l’espace public ou scientifique. L’intérêt différencié pour l’auteurisation fait ressortir
une complexité des rapports de pouvoirs qui ne sont pas seulement structurés par l’opposition
entre personnes concernées directement par l’objet de recherche (« l’empêchement à
exercer ses droits ») et celles s’intéressant pour des raisons professionnelles à
cet objet (les chercheur·e·s académiques). Le positionnement par rapport aux reconnaissances
des savoirs (« scientifiques » / versus « profane »), aux différences origine d’un
environnement handicapant (psycho-social, intellectuel, cognitif …) mais aussi par
rapport aux modalités de participation (militantes versus non militantes) explique
des modalités de participation, des intérêts, et un accès différencié à la reconnaissance
d’un statut d’auteur. Enfin, on a pu fait ressortir le pouvoir central des responsables
de la recherche-action-participative qui organisent de fait l’accès à l’espace public,
participant ainsi d’une fonction d’éditeur incluant de fait ou non les participant·e·s
aux pratiques éditoriales.
L’auteurisation collective à l’épreuve d’un article scientifique
Nous voudrions dans cette seconde partie approfondir la portée et les limites de l’enjeu
d’auteurisation en prenant l’exemple de la réalisation et de la soumission d’un article
qui n’a finalement pas été retenu par éditeurs et éditrices. À travers la question
éditoriale, c’est l’articulation entre deux dimensions du processus d’auteurisation
que nous souhaitons éclairer : d’une part la reconnaissance d’une forme d’authenticité
énonciative, à savoir que ce qui est formulé dans un énoncé, dans un texte, est bien
le fait d’une ou de personnes qui en reconnaissent l’origine; d’autre part celle d’une
légitimité institutionnelle. Si les revues académiques sont loin d’être le seul vecteur
de reconnaissance et de dissémination des données scientifiques, elles constituent
un support central de ce qui est reconnu professionnellement comme scientifique. L’attribution
et la distribution de l’autorat dans des revues académiques constituent un révélateur
de la reconnaissance des savoirs et de la distribution des pouvoirs dans une recherche-action.
Nous évoquons d’abord le cadre et l’objet d’un projet d’article que nous avons soumis,
portant sur une analyse de l’articulation radicale des savoirs à partir du concept
de « polyphasie cognitive » ; nous analysons ensuite les enjeux soulevés par la signature
de cet article avant de rendre compte de sa réception par la revue à laquelle il était
soumis.
L’influence du contexte éditorial et de la temporalité collective
Le projet de cet article collectif a été initié à la suite d’une opportunité qui s’est
présentée en 2019 d’écrire et soumettre un article pour une revue scientifique en
sciences sociales préparant un numéro sur le thème « épistémologies radicales et recherches
participatives ». Cette opportunité provenait de l’obtention par la démarche capdroits
du « prix de la recherche participative », décerné conjointement par un organisme
d’intérêt général, la Fondation de France, et celui d’un réseau scientifique, en l’occurrence
le Groupement d’intérêt scientifique « Démocratie participative » du Centre national
de la recherche scientifique (CNRS). En plus d’une récompense financière, le prix
prévoyait une publication dans une revue de sciences sociales consacrée aux questions
de participation. Co-lauréat de ce prix, nous avons donc été sollicités pour répondre
à un appel à participation de cette revue sur la thématique « épistémologies radicales
et recherches participatives »11. L’équipe de coordination de la recherche-action-participative a collectivement répondu
favorablement, considérant qu’il s’agissait d’une opportunité intéressante pour elle
de se saisir d’une compréhension commune de la démarche et de sa pratique. Il n’est
pas proposé aux ancien·ne·s participant·e·s de la démarche (qui n’ont pas continué
lors de la seconde phase d’être co-auteur·e·s), l’idée étant d’avoir une réflexion
collective sur le travail mené par l’équipe de coordination. Pour certain·e·s membres,
cet article était ainsi l’occasion d’avoir une réflexion collective permettant à cette
coordination ayant travaillé pendant 2 ans ensemble de mieux se représenter la pratique
qu’elle mettait en œuvre. Un résumé du projet d’article a été envoyé aux coordinateur·e·s
de la revue, qui l’ont accepté. La planification du travail collectif est assurée
par deux des co-auteur·e·s, qui sont par ailleurs chercheur·e·s académiques. Différentes
séquences de travail sont prévues, tour à tour collectives au moment où nous élaborons
ensemble les orientations du texte, et individuelles pour le travail de rédaction
et de relecture. Un dossier spécifique est créé sur la boîte collective de partage
numérique de la coordination, dans lequel un certain nombre de matériaux produits
par la démarche sont rassemblés pour faire « corpus » et permettre à chacun d’en prendre
connaissance et l’analyser. Après des échanges entre les deux chercheurs académiques,
un temps de travail ouvert à tous les autres membres de la coordination est organisé,
portant sur la construction de l’orientation principale de l’article, de son argumentation
et de son plan. L’idée d’ordonner des idées en « faisant un plan » n’est pas évidente
pour ceux et celles d’entre nous peu habitué·e·s à cette pratique académique. Nous
essayons de rendre accessible cette idée de plan comme succession logique d’idées,
sans chercher à vérifier précisément l’appropriation de cet enjeu et de la compétence
afférente par tous les co-auteur·e·s. D’autres temps de travail collectif sont proposés
et jalonnés pour prendre en compte les points de vue permettant d’intégrer dans l’écrit
des mots et des choses dites à l’oral et ainsi de favoriser la participation de toutes
et tous à la production des idées et à l’écriture. Un corpus de matériaux déjà constitué
est rassemblé par un chercheur académique et mis à disposition des autres co-auteur·e·s.
Les co-auteur·e·s qui n’ont pas l’habitude de ce travail d’analyse ne l’utilisent
toutefois pas. De nouveaux matériaux sont créés, l’une d’entre nous proposant de faire
des entretiens avec d’autres co-auteur·e·s. Certains d’entre eux racontent l’article
à celui des co-auteur·e·s qui ne sait pas lire ni écrire. Cette méthodologie pratique
fait ressortir les différences d’habitude et d’apprentissage entre des chercheur·e·s
académiques qui ont eu une formation très longue sur les pratiques d’écriture et d’articulation
des idées, d’autres participants, spécialistes de la relation d’aide ou participant
au titre de leur handicap, ayant eu des formations « intermédiaires » ; d’autres encore
n’ayant pas été formés à l’écriture et à la publication écrite.
L’appropriation collective d’un concept : l’exemple de la « polyphasie cognitive »
Au regard de la problématique du numéro de revue, l’orientation est proposée par deux
chercheurs académiques d’analyser la démarche au prisme du concept de « polyphasie
cognitive ». Le concept est amené par celui qui est issu du champ de la psychologie
sociale pour nommer la manière dont, dans notre travail collectif, plusieurs savoirs
cohabitent, s’articulent, s’utilisent à différents moments du travail de la recherche.
Ce chercheur évoque puis intègrera différentes références sur ce concept : issu de
la théorie des représentations sociales (Moscovici 1976), il explique la co-existence de la logique de sens commun inscrite dans les expériences
sensibles et situées des sujets et des groupes, et ceux de la rationalité scientifique
(Jodelet 2015) il permet de rendre compte de l’alternance des courants de pensée que nous utilisons
de manière alternative, comme un courant électrique polyphasé ; les différentes «
longueur d’ondes» à travers lesquelles nous pensons et communiquons se situent à l’intérieur
du groupe, mais également potentiellement à l’intérieur de chaque individu pouvant
être détenteur du multitudes de savoirs.
Lors d’un temps de travail oral, on demande à chacune et chacun comment ce concept
« résonne ». Un autre membre de la coordination, sociologue, initiateur de la démarche
et de plusieurs recherches de financement pour celle-ci, en tâche dans la coordination
de l’animer, concerné familialement par les mesures de contrainte légale, est séduit
; il comprend ce concept pour décrire la pluralité des savoirs « internes » à chaque
membre de la coordination, mais aussi l’alternance entre des phases de compréhension
et des phases d’opacité pour chacun∙e dans les discussions collectives ; un autre
membre de la coordination, âgé de 75 ans, diplômé d’éthique, vivant en hébergement
d’urgence, amateur de la phénoménologie de Merleau-Ponty, contributeur au rapport
alternatif présenté au comité des droits de la CIDPH, militant pour la garantie des
droits dans toute privation de liberté (conviction qui y était oubliée) et ayant publié
un article très lu sur le site internet de l’espace éthique (Meile 2020), amène l’importance de « l’attention conjointe » pour signifier la coexistence des
savoirs et le processus dialogique de pensée commune. Une autre participante qui se
présente comme très touchée par les expériences du handicap psychique évoque la psychologie
humaniste et les théoriciens de l’écoute (Rogers 2001) pour signifier que dans la démarche, ce qui est important, c’est le fait d’être
écouté et pris en compte dans un processus de pensée collective. Un autre, en situation
de handicap intellectuel insiste sur l’importance du dialogue. Une usagère-chercheure
propose de faire des entretiens avec les différents membres de la coordination pour
l’illustrer. Ce travail d’appropriation collective se fait parallèlement à l’avancée
de l’écriture, continuité rédactionnelle assurée principalement par deux chercheur·e·s;
une spécialiste de la relation d’aide s’impliquera également fortement dans la ré-écriture
et le raccourcissement de l’article.
Plusieurs autres temps de travail collectifs autour de l’article sont proposés; le
texte en cours d’écriture est dans la boîte partagée avec des envois réguliers au
membre du groupe de travail qui ne se sentent pas à l’aise avec l’usage de cette boîte.
L’appropriation du projet d’article et de son propos sur la polyphasie cognitive présente
dans la démarche Capdroits s’est ainsi faite par la mise en place d’un dispositif
de travail articulant des temps où un « savoir de la pratique Capdroits» s’échange
oralement et spontanément, des outils rendant accessible la production commune, et
une explicitation des références de chacune et chacun.
Le refus d’autorat comme existence d’un pouvoir
À la suite de ce travail d’appropriation collective s’est posée la question de la
signature de l’article. Au-delà du processus d’auteurisation personnelle, conduisant
à reconnaître un produit comme étant le sien, l’auteurisation collective implique
de se reconnaître dans un produit ayant été en grande partie produit par d’autres
et avec d’autres, et soulève le problème d’un partage colectif d’un pouvoir, des rétributions
possibles et de responsabilités. Différents usages existent dans la littérature scientifique
conduisant par exemple à plus ou moins ouvrir la signature de l’article à celles et
ceux qui ont permis directement ou indirectement sa production (Pontille 2008). Dans le cadre de ce projet d’article, il avait été convenu qu’il serait ouvert
aux membres de la coordination de la démarche. Puis, quelques jours avant la date
butoir, la question de la signature est posée à l’ensemble des membres de la coordination12.
Sur les 14 membres de la coordination, 8 ont réagi à la proposition de signature collective
dans la semaine qui a suivi. Les courriels révèlent le sentiment de non-reconnaissance
« interne » de membres de la coordination avec la rédaction de l’article.
Une membre de la coordination, qui a une formation en sociologie et en gérontologie,
qui est aujourd’hui mandataire à la protection des majeurs, explique dans un courriel
: « Je dois avouer que la lecture m’a été difficile car il y a beaucoup de notions qui
ne me sont pas familières.»
Une « usagère-chercheuse » membre de la coordination, marquée dans sa formation il
y a une vingtaine d’année par la psychothérapie institutionnelle, exprime de fortes
critiques vis-à-vis de l’article :
En réponse au mail de Bt de ce matin, je ne suis pas d’accord pour être co-auteure
de l’article : « Radicalité épistémologique et polyphasie cognitive » parce que comme
le dit très justement Bd « on est dans la novlangue» et je ne me reconnais pas du
tout dans ce qui est dit : Ça ne me parle pas, je n’y trouve pas l’engagement dans
la démarche Capdroits qui est la mienne ni la nature de mon investissement et de mon
implication en tant qu’usagère-chercheure et il y a des asymétries dans le rapport
au savoir que je ne suis pas en capacité de m’approprier; pourtant, j’ai des velléités
élitistes mais là, cela dépasse l’entendement!![…] » Cela ne répond pas à mes questions
légitimes à mon sens entre symétrisation des savoirs entre chercheurs, travailleurs
sociaux et usagers, la voix des usagers n’est pas dépeinte dans la particularité et
la singularité de son engagement et au nom d’une objectivation scientiste, on est
dans la déperdition de sens, les usagers sont noyés dans une terminologie peu accessible
et obscure et dans laquelle et je ne pense pas me tromper, ils ne peuvent se reconnaître
ni les uns, ni les autres. Je me pose en outre la question : « quelle est la nature
de l’objectivation des savoirs ? En quoi est-elle plus légitime ou plus légitimable
que le savoir expérientiel qui soustend cette analyse ? Où sont passés les usagers
et la revendication de leurs droits à la parole ? Et leurs intérêts pour la démarche
qui est à la source de ce travail ? Il devrait en fait y avoir premièrement l’appréhension
des usagers-chercheurs sur la teneur de la démarche, deuxièmement l’approche des travailleurs
sociaux et dans un troisième temps seulement, une analyse des chercheurs qui reprendraient
le discours des uns et des autres pour qu’il y ait une réelle symétrisation des savoirs
et un fonctionnement à 3 voix selon une démarche qui serait alors celle d’une réelle
« polyphasie cognitive » au lieu de quoi il y a une sur-représentation du discours
des chercheurs académiques dans un magma indigeste et peu recevable. Il n’y a pas
selon moi dans les faits de « radicalités épistémologiques » à l’œuvre dans ce travail
mais juste l’unisson du discours des chercheurs et leurs interprétations de la démarche
Capdroits.
Voilà, c’est « mon coup de gueule» mais j’imagine qu’il est partagé par les usagers
qui ne se reconnaîtraient pas dans le texte proposé pour le peu d’importance qu’on
fait de leur histoire et cas particulier.
Donc, pas d’apposition de mon nom à cet article.
Certains ne souhaitaient pas se considérer comme auteur·e·s du fait de leur impossibilité
à pouvoir intervenir directement dans l’écriture, notamment à cause de leurs contraintes
professionnelles. Le temps disponible pour pouvoir travailler à la rédaction d’un
article n’est pas le même entre les différents groupes d’habitude, ce qui a pu générer
des frustrations et des sentiments d’exclusion et d’injustice forts qui nécessitent
des temps de régulation collective. Cela s’est exprimé par des sentiments d’être en
dehors du processus d’élaboration des connaissances. Une membre de la coordination,
spécialiste de la relation d’aide et diplômée d’un master en sociologie, écrit :
Qui écrit l’article ? Comment rendre compte des mots, des codes, des schèmes de pensées
de l’ensemble des groupes d’habitude afin de retraduire cette polyphonie ? Comment
traduire et ainsi passer de l’oral à l’écrit ou autrement dit : comment passer de
la polyphonie à la polygraphie ? Voilà une belle limite de la radicalité dont nous
parlons.
Il y a des disparités réelles dans les possibilités d’écrire, de rendre compte entre
les individus. Quels moyens pouvons-nous développer pour le prendre en compte ?
Cette radicalité est d’autant plus saillante que probablement elle est accrue par
les injonctions de publication des revues dites scientifiques ? Qu’est ce qui est
acceptable ? Faut-il retraduire les savoirs non académiques dans un langage académique
pour être admissible dans le monde de la recherche ? […]
Suis-je auteure de cet article ?
Je suis actrice de la polyphonie qui l’a rendu possible.
Je suis à l’origine d’un certain nombre d’idées ou de réflexions qui sont mises en
avant dans l’article.
Je suis auteure de quelques phrases qui sont reprises.
Mais suis-je auteure de cet article ? Je ne me suis pas impliquée dans cette polygraphie
… Alors, je n’en ai pas le sentiment.
La place du savoir universitaire dans la pratique de l’écriture de cet article et
la difficulté à rendre compte de la diversité des savoirs a été évoqué par une autre
membre de la coordination, professionnelle de la relation d’aide :
En effet, comment transmettre des savoirs de divers horizons au prisme d’une écriture
relevant plutôt de la forme, des concepts, du vocabulaire … émanant du champ de la
recherche académique ?
Une autre membre psychosociologue de notre coordination va aussi dans ce sens :
Pour moi, cet article est tout ce que vous en dites : pas assez accessible sans aucun
doute, donc excluant c’est vrai, mais aussi intéressant, peut-être pas tout à fait
sorti du magma issu de notre polyphasie, même si je trouve qu’il a bien progressé
en clarté (ou alors c’est à force de le relire ?). Et même s’il est vrai qu’en (re)lisant
j’ai été tentée, moi aussi, par une version en écriture simplifiée.
À voir les réactions et discussions autour de cet article, si j’osais …, en fait j’ose
: je dirais en termes de « polyphonie » pour le coup, que nous n’avons pas tous la
même partition ; autrement dit, je suis d’accord avec S. : comment traduire et passer
de l’oral à l’écrit compte tenu de la disparité de nos savoirs et de l’exigence éditoriale
des revues ?
Comment faire pour que chacun trouve sa trace/place dans un écrit (y compris les professionnels
qui ont certainement beaucoup à dire) ? Une composition ? Le faut-il toujours ?
Les échanges autour de la question de la signature de l’article révèlent une complexité
des rapports de pouvoir à l’œuvre. Il est possible d’interpréter les non-signatures
comme une forme d’exclusion suscitée par un texte trop peu accessible. Il est aussi
possible de voir dans ces refus de signature une forme de prise de pouvoir sur la
nature de la démarche collective, mais aussi dans les rapports internes à l’activité
de coordination, et plus largement sur l’intérêt du champ des publications scientifiques
pour des personnes qui ne sont pas directement intéressées par ce type de rétribution
symbolique.
À la suite de ces discussions, il est proposé d’ajourner la question des signatures
à des modifications qui pourront être faites à la suite de l’examen par les pairs
externes de la revue. La question de la signature du projet d’article ne sera plus
posée, du moins, pour l’article se centrant sur la question des « radicalités épistémologiques
» : les coordinateurs du numéro nous ont finalement indiqué un refus de publication
du texte par la revue, les différents contributeur·ice·s n’étant dès lors de fait
pas reconnus institutionnellement comme co-auteur·e·s d’un texte ayant une valeur
scientifique.
Le refus de publication comme révélateur du pouvoir académique et éditorial
Ce refus par une revue de sciences sociales ayant pour objet « les participations
» nous permet d’approfondir l’enjeu de la reconnaissance institutionnelle de participant·e·s
à des rechercheaction-participative comme auteur·e·s. Cette revue est organisée autour
d’un comité éditorial qui confie la coordination de numéros à des chercheur·e·s qu’il
reconnaît comme crédible sur une thématique donnée. Conformément aux pratiques du
champ académique, les articles proposés sont soumis à la relecture d’examinateur·rice·s
anonymes. Un·e des examinateur·rice·s du projet d’article soulignait la nécessité
de modifications majeures, l’autre indiquait un refus. L’analyse des évaluations réalisées
par les examinateur·rice·s sont éclairantes.
L’examinateur·rice qui propose un refus insiste sur le fait que la « recension de
la littérature » serait « très faible », notamment à propos des «épistémologies radicales»
et du concept de «polyphasie cognitive». Cette personne évoque également une «problématisation
moyenne/faible», « l’article présentant des analyses importantes de cette démarche,
mais la problématisation de l’article est insuffisante » ; il ou elle considère également
que le «point principal, à savoir que la « démarche mettrait en scène une polyphasie
des savoirs n’est pas établie, faute d’argumentation ». Ces appréciations soulignent
l’insuffisance scientifique de l’article. L’examinateur·rice propose une piste d’explication
de la difficulté :
Une piste que je soumets aux auteur·e·s est que la méthodologie de Capdroits pourrait
être pertinente pour produire des travaux de l’ordre du forum, mais trouverait ses
limites dans l’exercice de l’écriture d’un article académique (d’où les incompréhensions
et les départs de certaines personnes à cette occasion) ; il conviendrait alors d’en
analyser finement les raisons.
Au-delà des qualités reconnues insuffisantes du projet d’article, le refus du comité
éditorial et les commentaires des examinateur·e·s est éclairant des difficultés du
monde académique à reconnaître le format de production de connaissance proposé par
les rédacteur·e·s.
Cet article est très perturbant. S’il n’est clairement pas publiable en l’état, on
ne peut s’empêcher de se balancer entre deux idées :
- 1)
il n’est pas publiable du tout, du fait de sa problématique centrale (l’impossibilité
des auteur·e·s à … l’écrire !)
- 2)
Il mériterait une nouvelle chance, car il soulève un problème important dans le cadre
des débats sur les « épistémologies radicales ».
Il est intéressant de noter que la pluralité des points de vue présentés dans l’article
est reçu comme une « impossibilité des auteur·e·s à écrire l’article ». L’analyse
théorique proposée, à partir du concept de « polyphasie cognitive » pour rendre compte
du processus de production plurielle n’est pas discutée par le reviewer, qui disqualifie
l’article en considérant qu’il « n’est pas écrit ». Il reconnaît toutefois la pertinence
du problème soulevé et justifie de manière alambiquée la nouvelle chance qui pourrait
être donnée à cette contribution (ce qui ne sera pas retenue par les coordinateur·ice·s
du numéro) :
[Il faudrait] « exposer le sens de ‹ l’épistémologie radicale › dans le papier : il
s’agit clairement de rompre avec une production scientifique « par les pairs pour
les pairs ». Et d’ailleurs, pourquoi continuer à communiquer ? On pourrait imaginer
qu’un acte de « radicalité épistémologique » se conclue par le refus des arènes classiques
de la science normale, privilégiant la force transformatrice et émancipatrice des
savoirs produits (peu importe leur publication formelle, ces savoirs jouent leur épistème
ailleurs, dans leur capacité à émanciper). S’agit-il d’une condition d’existence du
projet (notamment vis-à-vis des financeurs) ? S’agit-il d’une volonté des chercheur·e·s
en rupture d’aller faire la démonstration de la force de leur choix épistémologiques
?
Imaginant que la « radicalité épistémologique » consisterait à refuser « les arènes
classiques de la science normale », il disqualifie l’invitation qui nous a été faite
de réfléchir en mobilisant des outils de la « science normale ». Il n’est pas question
ici de rediscuter cette question de la « radicalité épistémologique » de la démarche
mais d’éclairer les enjeux de pouvoirs inhérents au processus d’auteurisation. Ce
refus soulève la question des frontières entre le domaine dit scientifique et le domaine
public et citoyen. L’examinateur·e·s laisse entendre que tous les contributeur·ice·s
de l’article soumis ne sont pas des pairs au sens académique du terme. Il/elle dessine
une frontière entre la pairitude scientifique et la pairitude citoyenne. Il/elle nous
rappelle que la pairitude scientifique se construit par des formes de co-habilitation
reposant sur des critères institutionnels.
Le partage de l’autorat comme co-habilitation scientifique et citoyenne
Ces réserves qui ont justifié un refus de publication par les coordinateur·ice·s du
numéro de revue nous ont obligé à reprendre collectivement notre réflexion sur le
processus d’auteurisation avant de nous lancer dans une nouvelle tentative d’écriture
collective, en approfondissant l’enjeu de l’articulation entre autorité énonciative
et autorité institutionnelle, et en éclairant ainsi le lien entre les dimensions scientifique
et citoyenne de l’auteurisation. L’un des co-auteur·e·s, chercheur académique, initiateur
de la démarche, a partagé sous une forme écrite ses réponses aux questions posées
par les examinateur·e·s :
Pourquoi écrire des articles scientifiques dans la recherche Capdroits ? Ces questions
me semblent importantes, mais je suis gêné par les réponses induites par les examinateurs.
Certes, il est utile de pouvoir montrer que des articles ont été publiés dans le cadre
de la recherche de financements; la démarche ne manque cependant pas d’article dans
différentes revues ou livres collectifs. Certes, les publications scientifiques sont
plus utiles dans le CV d’un chercheur académique que dans le CV d’un travailleur social
ou d’un expert d’expérience ; elles constituent une attente pour les carrières professionnelles
académiques; l’apport d’un article collectif n’est cependant pas déterminant. Plus
largement, je ne me sens pas en rupture dans le champ académique. Pour moi, l’écriture
et la publication d’un article dans une revue académique n’est pas seulement un exercice
académique. À mes yeux, le travail d’écriture participe d’une plus grande intelligibilité
de ce que nous faisons collectivement. Cette intelligibilité est d’abord interne.
Les règles académiques apportent une exigence de questionnement qui est utile à tous
les participants de la démarche. Je considère également que cette intelligibilité
mérite d’être partagée avec d’autres, d’être rendue publique.
Un autre des co-auteur·e·s, qui ne peut ni lire ni écrire évoque « sa fierté » de
participer à un « faire » collectif et que son expérience puisse être utile pour les
autres. Il conditionne sa signature au fait que ses propos ne soient pas trahis dans
leur transcription écrite. Il insiste sur le fait qu’il ne se sent pas « auteur »
de l’article mais bien « co-auteur » :
Moi, je ne peux pas écrire, mais ce sont mes mots à moi que tu écris aussi … c’est
pour cela, je préfère co-auteur.
Dans cette mise au travail, une autre d’entre nous, se reconnaissant en handicap psycho-social,
soulève une nouvelle fois les difficultés d’appropriation du texte pour des personnes
en situation de handicap :
Quelles sont les intérêts des personnes en situation de handicap à se mobiliser pour
des publications qui parlent d’elles ? et j’aurai cette forme de réponse qui consiste
à dire qu’elles vivent dans l’urgence de résoudre leurs problèmes au quotidien, qu’ils
n’ont pas le loisir de « penser leurs problèmes», à défaut de les « panser» ils sont
dans l’urgence de trouver des alternatives ou solutions concrètes, dans une forme
de survie existentielle, sautillant de démarche en démarche, cahin-caha.
Mais elle reconnaît aussi l’importance pour elle de signer un texte dont elle ne tirera
pas un « intérêt académique », mais qui donne sens à son engagement :
Parce que j’y crois. C’est le prix à payer pour sortir de notre ghetto et de notre
ghettoisation. Pour que le nivellement se fasse par le haut, et non par le bas.
Un accord existe sur le fait que les publications académiques peuvent être utiles
aux chercheur·e·s académiques présents dans la démarche, mais aussi à l’ensemble de
la démarche. S’il ne s’agit pas d’une condition d’existence directe du projet, ces
publications académiques peuvent avoir un intérêt économique indirect ; elles constituent
surtout de fait une réception par les pairs, qui peut aussi être signifiante par d’autres
pairs, non pas ceux du monde académique, mais celles et ceux se reconnaissant dans
l’importance d’une pratique commune de recherche, à visée inclusive et citoyenne.
Autrement dit, la revendication de la reconnaissance d’une autorité énonciative passe
non pas seulement par l’accès à un espace de débat, mais bien à la reconnaissance
institutionnelle, en l’occurrence académique, d’un apport substantiel de la démarche
de recherche action participative aux savoirs sur l’exercice des droits.
Conclusions
À travers l’analyse de l’auteurisation dans la recherche-action-participative Capdroits,
cet article a soulevé trois questionnements principaux, à savoir celui des modalités
publiques et scientifiques de reconnaissance des savoirs expérientiels de personnes,
celui des rapports de pouvoirs entre les productrices et producteurs de savoirs, ainsi
que celui des redéfinitions des frontières entre pratique scientifique et citoyenne.
L’analyse des modalités concrètes d’accès à l’espace public et scientifique des différents
participant·e·s de la recherche-action nous a permis de montrer la portée et les limites
de la reconnaissance des différents savoirs partagés. Certes, l’émergence de la démarche
Capdroits comme cadrage spécifique des difficultés à exercer et faire valoir ses droits
existant à travers des participations à des scènes de forums et des publications constitue
en elle-même une preuve des effets de la reconnaissance de l’expérience de personnes
empêchées dans l’exercice de leurs droits. Mais l’analyse de la dynamique d’auteurisation
en a aussi souligné les limites. Beaucoup de participant·e·s n’ont pas vu l’intérêt
d’auteuriser leur expérience et se sont retirés à bas bruit. Au regard de cette difficulté,
l’enjeu n’est pas seulement de rendre accessible l’espace public mais de rendre suffisamment
intéressant le fait d’y participer. En ce sens, nous avons montré combien l’auteurisation
collective pouvait aussi donner du sens à une reconnaissance d’autorat qui pour plusieurs
d’entre nous n’a pas d’intérêt en elle-même.
L’analyse nous a permis d’éclairer les intérêts disparates dans la pratique d’auteurisation
et la complexité des rapports de pouvoirs engagés. L’autorat constitue une forme de
reconnaissance et de rétribution centrale dans les publications scientifiques dont
la signification et l’intérêt est très différenciée selon que les contributeur·rice·s
ont ou aspirent à une carrière académique professionnelle (Sarna-Wojcicki et al. 2018). Toutefois, les rapports de pouvoir ne sont pas seulement structurés par l’opposition
entre personnes concernées directement par l’objet de recherche (« l’empêchement à
exercer ses droits ») et celles s’intéressant pour des raisons professionnelles à
cet objet. Le positionnement par rapport aux reconnaissances différenciées des savoirs
(« scientifiques » / versus « profane »), aux types de handicap (psycho-social, intellectuel,
cognitif …) mais aussi par rapport aux modalités de participation (militantes versus
non militantes) explique des modalités de participation, des intérêts, et un accès
différencié à la reconnaissance d’un statut d’auteur·e. L’analyse a souligné l’importance
du refus de signer comme prise de pouvoir dans le sens où ce type de refus explicite
que la rétribution constituée par une signature a des significations très différenciées
selon la position sociale des potentiel·e·s signataires. La possibilité véritable
de refuser de signer donne inversement sens à une co-auteurisation qui ne soit pas
seulement formelle mais qui dit la diversité des contributions nécessaires à la production
d’un énoncé porteur d’autorité.
L’analyse d’une tentative de publication scientifique a permis de faire ressortir
l’enjeu central de la dimension collective de l’auteurisation. En effet, nous avons
vu combien l’usage de concepts issus du savoir scientifique a été producteur d’incompréhension,
de sentiment d’étrangéité. S’approprier des concepts scientifiques, comme « épistémologie
» ou « polyphasie cognitive », a été difficile, jugés étranges et hermétiques ou participant·e·s
à la « novlangue ». La question de l’écriture, et plus précisément le rapport entre
les savoirs oraux et la pratique de l’écriture a permis d’éclairer les rapports de
pouvoir à partir des tensions suscitées dans notre travail collectif et participatif.
La rédaction scientifique fait ressortir comment l’écriture peut renvoyer à une forme
de « domestication de la pensée ; ou de réification de la pensée rompant «[…] avec
la pensée et le langage habituels auxquels nous avons affaire et que nous employons
» dans la vie quotidienne (Moscovici 1976). Cette pratique de l’écriture a sensiblement réactualisé des rapports de pouvoir.
Cette analyse de l’auteurisation collective a aussi fait ressortir l’importance de
l’accès à des publications comme légitimation à prendre position (Ebersold 2019) quant à sa participation ou non à l’espace public et scientifique de discussion.
Elle a également souligné l’ambivalence de la participation à une pratique considérée
comme « élitiste » qui peut avoir des effets émancipatoires en tant que reconnaissance
« par le haut » des expériences mais peut aussi susciter un rapport d’étrangeté et
d’opacité actualisant des sentiments de non-reconnaissance.
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Notes
-
Benoît Eyraud a assuré le fil rédactionnel de l’article ainsi que l’animation collective.
Arnaud Béal a rédigé certains paragraphes de l’article. Chantal Bruno, Valérie Lemard,
Isabel Miranda ont fait plusieurs relectures et retours écrits, et ont participé à
différents échanges oraux. Jacques Lequien a donné son accord à toutes les étapes
de production. Des membres de la coordination Capdroits se sont impliqué∙e∙s dans
l’article en refusant finalement de le signer; d’autres membres de la coordination
ne se sont pas impliqué∙e∙s du tout. Les extraits utilisés ont fait l’objet d’une
autorisation de leurs auteur∙e∙s.⬑
-
Les dimensions « scientifique » et « citoyenne » de la démarche sont indissociables
et ne font pas l’objet d’une frontière stable. Leur articulation se fait à géométrie
variable à travers les interactions entre les producteurs et les récepteurs de cette
démarche.⬑
-
La capacité juridique désigne la reconnaissance par le droit qu’une personne peut
agir par elle-même dans tous les actes de sa vie. Elle est ordinairement reconnue
de manière pleine pour toutes les personnes ayant passé l’âge de la majorité civile.
Elle peut être « défaite » à travers la mise en place de mesures légales de prise
de décision substitutive (tutelle, curatelle, soins forcés) dont l’existence est dénoncée
par le comité des droits assuré du suivi de cette convention (Eyraud et al. 2018).⬑
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À la suite de Fricker et de Frega, on désigne les injustices épistémiques comme l’inégale
reconnaissance des savoirs des êtres humains. L’injustice épistémique « consiste dans
le fait de nier la crédibilité d’un sujet en raison de certains attributs sociaux
qui, en principe, ne devraient pas affecter son autorité cognitive, comme le genre
ou l’identité ethnique » (Frega 2013).⬑
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Les désignations des positions d’expérience et d’expertise des participant·e·s de
la démarche sont multiples.⬑
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La démarche de recherche citoyenne Capdroits a mené deux vagues de recherche-action,
d’abord en 2016/2018, puis en 2020/2021. Dans chaque phase, une dizaine de groupes
locaux dans 5 régions françaises ont été mis en place comprenant au total plus d’une
centaine de participant·e·s. Les groupes se sont constitués à partir d’un appel à
participation centré sur les questions des empêchements à l’exercice des droits. Chaque
groupe a été animé par trois facilitateurs-chercheur·e·s, le trinôme réunissant un
expert académique, un expert d’expérience, et un expert de la relation d’aide ; 31
facilitateur·e·s-chercheur·e·s et 59 participant·e·s se sont impliqués dans des groupes
locaux de la première vague. L’engagement des personnes dans la démarche ne se fait
pas à partir de catégories administratives de handicap, mais au regard d’un sentiment
vécu d’empêchement dans l’exercice de leurs droits. Pour une majorité de participant·e·s
des groupes, ces empêchements sont en lien avec un vécu de handicap psycho-social
; pour une minorité de participant·e·s, il s’agit d’une expérience de poly-handicaps,
de handicaps cognitifs, ou de handicaps intellectuels. La coordination de la démarche
était assurée lors de la première vague (2016–2018), principalement par un chercheur
académique et une chargée de mission salariée par un laboratoire de recherche ; entre
2019 et 2021, cette coordination a été assurée par 14 personnes, dont 6 se reconnaissent
dans la démarche par leur situation de handicap, 3 se reconnaissent comme spécialistes
de la relation d’aide, 4 se reconnaissent comme chercheur·e·s académiques, et 1 comme
représentant une fédération de personnes handicapées.⬑
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Lors du premier comité d’organisation, quatre personnes se sentant directement concernées
par la question de la capacité à consentir étaient présentes, toutes quatre ayant
une connaissance de la convention par l’intermédiaire d’une certaine proximité avec
une association représentant des personnes se sentant concernées par le handicap psycho-social.⬑
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La mise en place de ces trinômes d’animateur·ice·s, la reconnaissance de leur activité,
et la participation de personnes handicapées dans l’exercice de leurs droits à ces
groupes locaux puis à des « scènes de forums » ont soulevé des enjeux de pouvoirs
en même temps qu’elles ont révélé la portée et les limites de l’articulation entre
des savoirs différents. La revendication des facilitateur·e·s-chercheur·e·s a contribué
à transformer le programme d’action innovante en démarche scientifique et citoyenne
(Co-chercheur·e·s Capdroits 2019).⬑
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La consigne commune, proposée à l’ensemble des groupes locaux, était formulée ainsi:
«Pouvez-vous nous raconter une situation de vie au cours de laquelle vous avez été
en difficulté dans l’exercice de vos droits, et au cours de laquelle l’intervention
apportée a été insuffisante ou excessive?».⬑
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Seize facilitateurs-chercheur·e·s se sont engagés par la forme d’un conventionnement
avec un partenaire institutionnel; dix se sont engagés en étant directement rétribués;
sept se sont engagés sous une forme bénévole et militante. Les modalités d’engagement
diffèrent de manière significative selon les groupes d’habitude. Six facilitateurs-chercheur·e·s
provenant des groupes d’habitude experts d’usage ont été rétribués, et cinq provenant
du groupe d’habitude « professionnel des sciences sociales et juridiques ».⬑
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Voici un extrait de la présentation du dossier dans l’appel à participation : « Ce
dossier vise à faire état des recherches participatives contemporaines reposant sur
ces épistémologies radicales, dont le positionnement politique, voire subversif, interroge
les conceptions hégémoniques et les protocoles conventionnels de production de la
science […]. En mettant l’accent sur des démarches de coopération entre chercheur·e·s
de carrière et chercheur·e·s non professionnel·le·s s’inscrivant dans une double perspective
de pluralisme épistémologique et de lutte contre les oppressions, ce dossier contribuera
à dresser un bilan des retombées de ces travaux au regard de leurs prétentions épistémologiques
et politiques. » https://riuess.org/appel-a-contributions-pour-le-numero-epistemologies-radicales-et-recherches-participatives-de-la-revue-participations-pour-le-21-fevrier-2019/.⬑
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Voici la formulation de la question par courriel : « Voici comme convenu l’article
‹ radicalité épistémologique et polyphasie cognitive › dont nous avons assuré la rédaction
avec Ad, à partir des analyses en groupe de travail et des matériaux partagés par
les uns et les autres. […]Merci de nous indiquer d’ici lundi soir si vous êtes d’accord
pour co-signer[…]. Nous proposons que la signature fasse apparaître un double registre
de savoirs, comme nous l’avions fait au moment du manifeste. Nous pouvons reprendre
les titres qui avaient été alors mobilisés par les uns et les autres ou indiquer une
autre manière de se présenter.[…]. »⬑