Regards féminins sur l’ordre légal des « voleurs dans la loi » en géorgie postsoviétique: Concurrencer les lois de l’état, entre morale partisane et formalisme juridique

Maroussia Ferry  

Abstract

Alors que s’affaiblissait le pouvoir et l’influence des « voleurs dans la loi » en Géorgie dans le cadre d’une offensive à leur encontre entamée en 2006, leur système légal parallèle perdait une partie de sa légitimité face au système juridique d’État. Cet article, en se fondant sur un terrain ethnographique mené auprès de femmes liées au « monde des voleurs », explore leurs discours et leurs stratégies rhétoriques concernant la « loi » des « voleurs ». Au-delà de sentiments d’appartenance partisanes qui s’expriment à travers la proclamation de l’existence d’une morale et de qualités personnelles, leur système de pensée révèle des conceptions juridiques en propre qui dialoguent et se présentent en concurrence aux lois de l’État.

As the power and influence of the “thieves-in-law” in Georgia weakened in an offensive against them that began in 2006, their parallel legal system lost some of its legitimacy in the face of the state legal system. This article, based on an ethnographic fieldwork conducted with women linked to the “world of thieves”, explores their discourses and rhetorical strategies concerning the “law” of “thieves”. It shows that beyond the partisan feelings of belonging that are expressed through claims of personal moral and qualities, their frames of reference reveal proper legal conceptions that interact and compete with the laws of the state.

Introduction

La caste des « voleurs dans la loi » (rus. Vory v zakonie ; geor. kanonieri kurdebi) est une confrérie de criminels née au sein des goulags staliniens dans les années 1930 (Varese 1998). Dépositaire d’une « loi » interne, soit un corpus d’une vingtaine d’obligations et d’interdits non écrits mais relativement stables au cours du temps, la confrérie est alors très respectée pour son opposition au pouvoir soviétique, son refus de collaborer avec les autorités pénitentiaires, sa structure égalitaire et collégiale ainsi que pour l’application d’une certaine forme d’ascétisme (interdiction de s’enrichir, de se marier, de vendre des stupéfiants etc.) (Mühlfried 2018). Affaiblie après la Seconde Guerre Mondiale, objet d’une forme de mythification dans les décennies qui suivirent, elle réapparaît au cours des années 1970 (Varese 1998). Moins respectueux de leur propre « loi » mais bénéficiant toujours du prestige historique que celle-ci leur confère, les nouveaux « voleurs dans la loi » prospèrent économiquement à la faveur de la perestroïka (1985-1991) et surtout de l’introduction de l’économie de marché après la chute de l’URSS. La confrérie est significativement sur-représentée en Géorgie notamment en raison de l’importance du commerce informel durant la période soviétique tardive (Slade 2013). Leur pouvoir économique, culturel et en tant que pourvoyeurs d’une forme de justice coutumière était considérable durant cette décennie et au début des années 2000. Le public de ce droit parallèle, dont les femmes ne faisaient pas partie directement, était très large - de l’adolescent en conflit avec un ami de son quartier jusqu’à l’homme d’affaire prospère. Au point qu’en 2006, les chercheurs V. D. Nordin et G. Glonti écrivaient : « La société des voleurs a donné au pays de la Géorgie le seul système judiciaire non corrompu et exécutoire que la Géorgie n’ait jamais connu » (Nordin et Glonti 2006, 9 [traduction]).

Depuis, de profonds changements dans les rapports de force entre les systèmes juridiques de l’État et des « voleurs de la loi » ont eu lieu en Géorgie. Le gouvernement pro-occidental en place entre 2004 et 2012 a mené une guerre aux voleurs destinée à restaurer le monopole étatique sur l’exercice de la justice (Slade 2013) qui a considérablement affaibli le pouvoir des kurdebi et amené la plupart d’entre eux à quitter le pays. Le gouvernement qui a succédé, au pouvoir depuis 2012, tout en assouplissant sa politique à l’égard des « voleurs », n’a pas abrogé l’article de loi mis en place en 2006 qui criminalise la simple appartenance au « monde des voleurs ». Cependant, l’influence des kurdebi n’a pas entièrement disparue. De nombreux discours, émanant notamment des « perdants du jeu postsoviétique » (Ferry 2021) montrent une grande adhésion au système culturel et moral des kurdebi, mais aussi une certaine nostalgie quant à l’efficacité de leur système judiciaire parallèle, tel qu’il est mis en compétition avec la justice et le droit étatique, dont beaucoup se méfient. Selon mes informateurrice^s, leur influence continue bel et bien de s’exercer notamment dans les prisons et depuis l’étranger, d’où certains ont continué, outre leurs activités criminelles (cambriolages, rackets et extorsions), à administrer des conflits, principalement des litiges commerciaux et immobiliers.

Au tournant des années 2020, les discours affirmant, infirmant, présentant un doute sur le « retour » des voleurs dans la loi en Géorgie, ou encore statuant quelle est la nature de ce retour - matériel ou seulement culturel - sont fréquents. On peut les entendre couramment dans les conversations et les médias, de la part de politiciens ou de militants. Ils trouvent même un écho jusque dans la presse étrangère, comme en témoigne un long article du Monde paru en août 2021 (Follorou 2021). Au-delà de ces débats circonstanciés, plus profondément, ce qui est en jeu ici ce sont les mécanismes sociaux et les évènements historiques qui fondent ou affaiblissent la légitimité du système judiciaire des voleurs dans la loi face à celui de l’État géorgien.

Les deux gouvernements qui se sont succédé entre 2004 et aujourd’hui ont mené des politiques d’application de la justice et du droit pénal bien différentes en termes de punitivité. Tandis que le premier s’est inscrit dans une politique de « tolérance zéro » et a procédé à des incarcérations massives, le second (2012-aujourd’hui) a fait preuve de moins de sévérité (comme en témoigne la forte baisse du nombre d’incarcération) et a même mis en place une amnistie générale. Cependant, les chercheurs G. Slade et A. Kupatadze (2017) ont montré que malgré ces grandes différences concernant la punitivité et les « slogans politiques » généraux, la méfiance de la population géorgienne à l’égard de la justice et de ses institutions est restée très importante. Ils expliquent cela par le manque de procédures fiables, transparentes et respectueuses dont font l’expérience, à un niveau microsocial, les justiciables. Selon eux, il manque à la population l’expérience d’une « justice procédurale »1, elle-même « définie par des bienfaits tels que la transparence, la neutralité, la capacité de s’exprimer et le respect dans leurs interactions avec la loi », qui serait seule à même d’entretenir « la légitimité de la force coercitive fondamentale » de la loi (Slade et Kupatadze 2017, 884). Cette proposition classique (Thibaut et Walker 1975) qui s’inspire des théories rawlsiennes, soutient que lorsque les personnes expérimentent des « procédures justes », un « sentiment moral d’obligation de respecter la loi » est suscité, indépendamment du résultat de la procédure pour l’individu et indépendamment de la peur de la punition (Slade et Kupatadze 2017, 884). Ces auteurs identifient donc, en se fondant sur différentes enquêtes d’opinion et des focus groupes représentatifs de la population géorgienne générale, une demande de justice concrète légitimée par des interactions respectueuses et des procédures justes.

Dans cet article, je reprends ces propositions au prisme des discours d’épouses et de filles de kurdebi. Contrairement à leurs maris et pères, pour celles qui sont revenues d’exil et avec qui j’ai pu m’entretenir, les femmes liées aux kurdebi sont les dernières représentantes du « monde des voleurs » (kurdis samkharo) résidant sur le sol géorgien et sont donc plus inscrites dans les débats sociétaux généraux qui y ont cours. Surtout, leur position genrée et familiale vis-à-vis des voleurs dans la loi induit une tension entre intériorité et extériorité quant au droit parallèle qui nous occupe et confère ainsi à ces regards féminins l’intérêt heuristique de nous enseigner comment ce droit est tour à tour tu ou justifié de manière détournée. Les hommes, qu’ils soient voleurs dans la loi ou sympathisants, s’expriment « de l’intérieur » de la confrérie et de son système légal. Par contraste, les femmes liées aux voleurs dans la loi, en 1 tentant de se conformer aux attentes genrées qui leur sont attribuées, se placent à distance de ce droit, et ne peuvent pas le promouvoir de manière frontale. En conséquence de ces détours obligatoires, les discours des femmes reflètent davantage, en définitive, la position de cette caste dans le monde social géorgien global et puisent leurs arguments au sein d’un système de valeur - notamment moral et familial - davantage partagé par la population générale. Tout en étant les intimes de ces acteurs, ces femmes ne se trouvent cependant pas dans une position centrale pour articuler un discours sur ce droit fait par et pour les hommes. L’indicible qui entoure l’ordre légal des voleurs dans la loi à un niveau social est donc doublé, pour elles, par un indicible dû à la position genrée des membres féminins de la caste. Dès lors, je m’intéresserai aux détours employés par ces femmes pour évoquer et justifier l’arsenal juridique des voleurs dans la loi tout en ne transgressant pas de manière trop prononcée leur rôle genré, extérieur à la confrérie et à sa « loi ». Précisons que dans cet article, je ne statuerai pas sur l’application effective de la « loi » des kurdebi mais sur le système de pensée et de discours par laquelle celle-ci est présentée et justifiée.

Je me demanderai ainsi comment mes interlocutrices situent ce système judiciaire alternatif en le concevant en contraste à celui de l’État mais aussi en relation aux critiques de celui-ci fondées sur les principes de la justice procédurale et qui émanent de la population générale. Leurs stratégies rhétoriques pour promouvoir la « loi » (kanoni) des kurdebi révèlent ainsi qu’en tant que femmes donc en tant qu’affiliées extérieures à cette caste élitaire « discriminée », selon leurs termes, elles tentent d’asseoir une position de supériorité éclairée par rapport au reste de la population géorgienne. Je montrerai qu’elles expriment des positions partisanes par la mise en valeur d’une morale culturelle qui se veut intrinsèque aux voleurs dans la loi. Mais, pour re-légitimer un droit perçu comme bafoué, les femmes de voleurs dans la loi adjoignent à ces affirmations morales, des critiques alternatives à l’État par rapport à celles de la population générale, tout en y puisant une partie de leurs arguments.

Je me fonde ici sur un terrain ethnographique mené entre juin et septembre 2022 auprès de six épouses, trois filles et une mère de voleurs dans la loi en Géorgie ainsi que, dans un souci de comparaison genrée, sur des entretiens réalisés avec des hommes cambrioleurs liés aux kurdebi en région parisienne qui font suite à un terrain ethnographique mené auprès de cambrioleurs en 2012 et dont j’ai rendu compte ailleurs (Ferry 2021). Ces enquêtes s’inscrivent dans la suite d’un travail doctoral plus large qui a donné lieu à une enquête ethnographique menée entre 2011 et 2015 auprès de femmes migrantes de retour en Géorgie. Je m’interrogerai ainsi sur le rôle et le vécu des femmes liées aux kurdebi quant à la déconstruction et la reconstruction de la légitimité juridique et morale des voleurs dans la loi tout en montrant que celle-ci, en sus d’exprimer la position genrée de mes interlocutrices, s’inscrit dans un dialogue constant avec la légitimité juridique de l’État c’est-à-dire avec les manques et les évaluations de celle-ci. Ce faisant, cet article s’inscrit dans les débats qui existent quant au lien entre droit et société dont Edward P. Thompson (1978) a été l’un des précurseurs et souhaite apporter des éléments permettant de contribuer à un ré-encastrement des conceptions juridiques criminelles dans celles de la justice légale ou d’État.

La loi des « voleurs » contre la justice d’État : vingt ans d’affrontements

En 2006, le président Mikhaïl Saakachvili (2004-2013), récemment élu suite à la Révolution des roses (2003), met en place une série de lois et de politiques visant à éradiquer les voleurs dans la loi du territoire géorgien et à saper leur légitimité sociale. Pour cela, en s’inspirant d’outils juridiques mis en place aux États-Unis et en Italie, son gouvernement promulgue une loi (article 223(1) du Code Criminel) qui sanctionne l’appartenance à la criminalité organisée en dehors de toute preuve substantielle qu’un crime ou un délit a été commis. Il met également en place une stratégie visant à isoler les kurdebi au sein de prisons spécialement construites pour eux et y introduit des caméras cachées. Celles-ci filment les querelles et les bagarres entre membres de cette élite criminelle. Or, les voleurs dans la « loi » étaient célèbres et admirés précisément en raison de leur prétendu respect d’une loi interne, soit un corpus d’une vingtaine d’interdits et de prescriptions, mais aussi pour leur propension à administrer une forme de justice locale et ritualisée (Zakharova 2015). Les règles originelles de la caste des « voleurs » étaient, pour les plus spécifiques (mode de recrutement, interdiction de fonder une famille, de s’enrichir, obligation de participer aux réunions etc.), respectées par les « voleurs » eux-mêmes, même si la seconde génération de kurdebi en avait abandonné certaines. Les plus générales (interdiction de travailler, de collaborer avec les autorités pénitentiaires, de s’adonner au commerce de la drogue et des services sexuels des femmes, obligation de solidarité avec ses pairs) constituaient également une forme de code moral plus ou moins respecté effectivement mais guidant les actions et les représentations des hommes liés au monde de l’illégalité et de l’informalité (Zakharova 2015). De manière encore plus générale, au cours des années 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, ces règles étaient connues de tou∙te∙s et une grande partie de la population urbaine avait recours aux « services juridiques » des kurdebi pour la résolution de conflits commerciaux ou de voisinage et pour le recouvrement des dettes interpersonnelles (Ferry 2021). Malgré certaines critiques selon lesquelles le pouvoir des kurdebi était imposé par la violence et la peur, ils représentaient, globalement, un filet de sécurité et même une présence réconfortante dont l’exercice des moyens de coercition étaient perçus comme moins arbitraires et moins violents que ceux de l’État (Frederiksen 2015, 161). Leur pratique d’une justice parallèle et coutumière a ainsi été particulièrement active et légitime durant les années 1990, alors que, suite à la chute de l’URSS et à l’appauvrissement vertigineux de la Géorgie sur fond de conflits civils et séparatistes, les fonctions tant régaliennes que sociales de l’État ne sont plus assurées et perdent tout crédit auprès de la population. Ces errements, associés à l’ouverture à l’économie de marché, ont constitué un terreau d’opportunités économiques important pour les voleurs dans la loi et leur a permis d’exercer une influence et une autorité significatives sur la population.

Toutes les règles originelles de la « loi » des « voleurs » ne sont donc plus respectées et appliquées au début des années 2000. Par exemple, l’interdiction de s’enrichir personnellement ou bien de fonder une famille ont été écartées depuis longtemps déjà (Ferry 2021). Mais la règle qui interdit formellement de dénier son appartenance à la caste des « voleurs » est toujours en vigueur lorsque Mikhaïl Saakachvili arrive au pouvoir, ce qui a bien entendu facilité l’arrestation et la condamnation des « voleurs » pour simple appartenance à la caste. Une autre règle qui est toujours respectée à cette époque est celle qui interdit d’utiliser la violence, a fortiori entre membres de la caste, sans en référer à l’assemblée des kurdebi (skhodka). C’est pourquoi une grande partie de la population géorgienne a été profondément déçue et choquée de voir, non seulement leurs héros, mais surtout des figures incarnant ordre et justice, ainsi déroger à leur propre « loi ». Les deux stratégies du gouvernement Saakachvili mentionnées utilisent donc à leur profit et contre eux, la « loi » de ces criminels et ce de manière victorieuse : en un an, la plupart des kurdebi ont quitté le pays ou sont incarcérés. Surtout, leur légitimité sociale auprès de la population, y compris en matière d’administration d’une justice parallèle, s’est effondrée durablement. Au-delà d’une déviance quant à leur code moral, qui avait déjà cours depuis l’introduction de l’économie de marché (Slade 2013 ; Ferry 2021), ce qui a été mis en tension ici, c’est surtout la capacité et la légitimité des « voleurs » à administrer la justice. Il n’est pas anodin, en effet, que l’effondrement de l’admiration qui leur est vouée se soit cristallisée sur des moments de conflits et de violences réciproques filmés à leur insu. C’est donc la transgression objectivable d’une « loi », reconnue par tous, qui signe leur déclin. À partir de 2006, les « voleurs » ne semblent plus en capacité d’être source de droit et semblent avoir perdu la bataille de légitimité juridique avec l’État. Après le départ de l’administration de M. Saakachvili en 2012 et l’arrivée au pouvoir du parti concurrent Georgian Dream, la guerre aux kurdebi, déjà consommée, a connu une accalmie. Cependant, la loi mise en place par le précédent gouvernement étant toujours en vigueur, les « voleurs » géorgiens n’ont pas pu regagner leur pays.

Si la guerre pour le monopole de l’administration de la justice du pays semble avoir été remportée par le gouvernement, ce n’est pas pour autant que la population géorgienne a adhéré sans mesure aux lois étatiques. Après une période d’affaiblissement de l’État et d’importantes pratiques de corruption (Jones 2015), à partir de 2003, M. Saakachvili a entrepris de vastes réformes de restructuration de l’État et visant à combattre la corruption, ce qui a eu pour effet d’accroitre la confiance de la population envers certaines institutions telles que la police (Di Puppo 2019). Cependant, la politique de « zéro tolérance » mise en place a entraîné une forme croissante de défiance envers le système judiciaire et particulièrement le système pénal, comme le montrent plusieurs enquêtes quantitatives menées successivement (Slade et Kupatadze 2017). Le gouvernement qui lui a succédé, issu de la coalition Georgian Dream, répondant à un fort mécontentement social, a pris le contrepied de ses prédécesseurs et procédé à une amnistie générale ainsi qu’à un relâchement des politiques pénales et carcérales visant la petite délinquance (Slade et Kupatadze 2017, 887). Si la confiance de la population envers la justice, les juges et les procureurs a légèrement augmenté entre 2011 (période Saakachvili) et 2014 (post-amnistie), elle est restée extrêmement faible.

Cette persistance de la défiance envers la justice étatique en Géorgie, quel que soit le « style » judiciaire adopté - punitif ou plus laxiste - confine, selon G. Slade et A. Kupatadze, à ce qu’ils appellent un « nihilisme juridique » (2017, 880). Ce dernier s’expliquerait par le défaut, dans les deux cas, de l’expérience d’une forme de « justice procédurale » au niveau microsocial des interactions entre la loi et le.a citoyen.ne. En somme, les Géorgien.nes constateraient pas suffisament l’application de procédures neutres et transparentes et n’éprouveraient pas le sentiment d’être respecté individuellement lors des différents moments où les justiciables sont en présence de l’institution. À partir de ce double postulat, premièrement que les G0orgien∙ne∙s n’ont qu’une très faible confiance en leur système judiciaire et deuxièmement que cela provient de leur expérience concrète de procédures injustes, je me suis demandé comment des membres proches - mais extérieurs de par leur appartenance genrée - de l’autre source d’ordre et de droit majeure du pays, mais elle aussi en grande partie délégitimée (bien que des pratiques judiciaires perdurent), se positionnaient. Pour cela, j’ai examiné comment les femmes traduisaient, en termes vernaculaires, les notions associées à la « justice procédurale » (équité, expression, respect, neutralité) et avec quelles autres conceptions, plus culturelles et partisanes mais aussi d’autres types de culture juridique liées à l’honneur et à la morale expérientielle, celles-ci coexistaient et s’articulaient. Plus largement, quelle a été la réaction de l’entourage féminin des kurdebi face à la suppression de leur propension à faire droit et donc à faire société ? Confrontés au déclin de ce rôle, les membres féminins de la caste se sont-ils réfugiés dans une conception strictement morale, culturelle et économique - donc interne et privée - de leur légitimité ou continuent-elles à considérer la « loi » des kurdebi comme opérante ?

Appartenance culturelle et morale personnelle : des femmes dans le camp des kurdebi

C’est avec ces interrogations à l’esprit que je rencontrai, pour la première fois, des épouses, ex-épouses et filles de voleurs dans la loi durant l’été 2022, alors que la guerre en Ukraine bat son plein et que les rumeurs du retour des kurdebi sont sur toutes les lèvres. Je me trouve dans une petite station balnéaire de la Mer Noire, j’ai rendez-vous avec Aka2, l’ancienne conjointe d’un kurdi puissant avec qui elle a eu deux enfants, jeunes adultes maintenant. Son ex-mari réside à l’étranger depuis l’offensive de M. Saakachvili. Aka a la cinquantaine, son brushing est impeccable et sa tunique d’été de couleur claire est particulièrement seyante. Elle m’accueille à la terrasse d’un petit hôtel, face à la mer, sur fond de musique électronique, et insiste pour m’offrir café turc, salade et khatchapuri, le pain au fromage typiquement géorgien. Aka est une ancienne danseuse devenue chorégraphe, elle affirme que, n’étant plus en lien avec son ex-mari, elle me parlera « franchement », ce qui, dit-elle, est aussi dans son caractère : « Moi, je suis une personne qui dit sa vérité, avec tout le monde, je montre mon point de vue ». Au cours de cet entretien, qui se poursuivra tard dans la soirée, elle me narre la rencontre avec son futur conjoint, leur vie en exil, leurs problèmes de couple ainsi que la difficulté d’élever des « enfants de criminels » dans le cadre de la « discrimination qu’ils subissent ». C’est ici qu’elle assoit tout particulièrement sa position genrée quant à la situation des kurdebi et qu’elle développe le thème des enfants, qui lui permet, comme on le verra, de se montrer le plus légitimement critique envers l’État géorgien. Cependant, c’est également pour grande part en vertu de sa position genrée et donc, extérieure à la « loi » des kurdebi, qu’Aka nie quasiment l’existence de celle-ci lorsque je lui pose une question frontale à ce sujet. Dès le début de notre conversation, elle me soutient que les voleurs dans la loi n’ont pas de loi, ce sont des histoires que l’on raconte. Tout de suite, elle oppose cette supposée loi aux qualités morales et intellectuelles des kurdebi, très réelles celles-là : « Il n’y a pas de loi, seulement des êtres bons et intelligents ».

Avec le récit de leur rencontre, apparaissent déjà les motifs qui seront présents dans tous les récits des femmes, à savoir l’intelligence des kurdebi et l’exceptionnalité de celui dont elles parlent, deux éléments qui fondent leur supériorité morale et permet, dans un premier temps, de contourner la question de leur « loi » :

La première fois qu’on s’est rencontré [1984], j’étais adolescente, je n’étais pas désagréable à regarder (elle sourit) et assez sûre de moi. Je m’en fichais un peu des garçons. J’étais avec mes amis dans un parc de la ville après nos examens, il est venu me voir et il m’a parlé directement de philosophie et de psychologie. Il avait une pensée très éclairée (nateli gonebi), il avait tout le temps les meilleures notes, surtout en mathématiques et en physique. Alors qu’on devait avoir notre premier rendez-vous, il a été arrêté pour cambriolage et il est resté en prison pendant 5 ans. [...] Quand il est sorti, toute la ville en parlait et tout le monde était heureux, parce qu ’il était très intelligent et très bon et que sa place n étaitpas en prison. [...]j’aimais son intellect avant tout, son goût, son intelligence.

Ludmila, 55 ans, que j’ai rencontrée peu après Aka, décrit ainsi la famille de son mari, « voleur » renommé, décédé dans des circonstances tragiques :

Son père était un biologiste connu, sa mère était une ingénieure directrice. Son oncle avait une position importante au Parti. C’était une très bonne famille, très bien, qui avait beaucoup de succès, très intellectuelle et éduquée, ils étaient d’une très bonne société. Et lui, avant de devenir kurdi, c’était un des meilleurs comédiens de sa génération.

La thématique de la culture et de l’intelligence, voire de l’intellectualisme, des kurdebi en tant qu’elle fonde leur qualité morale, est reprise par toutes les personnes rencontrées au cours de cette enquête. Plus frappant, les trois filles de kurdebi dont deux sont pourtant fortement opposées au « monde des voleurs » m’ont tenu à peu près les mêmes discours. Natela, quarante ans, est la fille d’un kurdi renommé qui a été assassiné alors qu’elle était adolescente. Contrairement aux épouses citées, Natela n’accorde aucun crédit aux « voleurs » et les considère comme un danger pour l’état de droit en Géorgie. Son discours, bien que plus nuancé, reprend pourtant le thème de l’intelligence et du talent :

[...] La dernièrefois queje l’ai vu j’avais 14 ans doncje n ’étais pas si petite etje me rappelle bien que c’était un homme très talentueux. Dans tout. Et tout le monde disait que c’est dommage que quelqu’un comme lui, avec ses possibilités intellectuelles, ait pris cette route dans sa vie parce qu’il pouvait faire mieux. Mais il habitait à X., dans cet environnement et à l’époque c’est ce qui l’a poussé à prendre cette décision, cette route criminelle.

On retrouve également ces affirmations dans les nombreux commentaires présents sur les réseaux sociaux, sur YouTube etc. ainsi que dans les conversations courantes lorsque le thème des kurdebi est abordé. Il s’agit ici d’une des spécificités importantes, qu’elle soit réelle ou fantasmée, de la caste des « voleurs » en Géorgie : celle-ci, contrairement à nombre d’organisations criminelles de par le monde, n’est pas intrinsèquement ancrée au sein des couches populaires et peu éduquées de la société (Curro 2017). Jaba Ioseliani, par exemple, un voleur dans la loi de grande renommée, était docteur en droit et écrivain avant de devenir seigneur de la guerre à la faveur des conflits civils et séparatistes et d’accéder brièvement à la tête de l’Etat en 1992. L’intellectualisme, le « goût » et la culture auto-proclamées des « voleurs », de même que le rappel fréquent d’une de leur « loi » leur interdisant formellement le travail salarié, fait référence, de manière quasi-explicite, à une éthique aristocratique impliquant oisiveté, talent et liberté. Celle-ci est bien présente en Géorgie où les qualités attribuées à l’aristocratie ont continué à être valorisées, concurremment à l’ethos soviétique, tout au long du XXe siècle. Surtout, elles ont pu être mobilisées, après l’effondrement, afin de compenser les pertes de statuts et de pouvoir économique, ce qui explique, en partie, le succès culturel des « voleurs ». Au-delà du strict cercle de ces derniers, on constate fréquemment des auto-accusations masculines de « paresse », souvent associées à des auto-proclamation de « talent » (artistique, intellectuel, lié à l’hospitalité, à la générosité, à l’éloquence etc.) et à un dédain affiché pour l’argent et le travail (Ferry 2023).

En fondant ainsi la valeur morale des kurdebi sur leurs qualités intellectuelles, les femmes se font tout d’abord les porte-paroles d’une conception de la morale comme système localisé de valeurs et de normes « imposées [...] indirectement via un processus d’enculturation » (Massé 2009, 22). Elles affirment ainsi et valorisent leur communauté morale d’appartenance en se plaçant sur le terrain partisan de la bataille culturelle et de la morale personnelle, qu’il suffit en quelque sorte de proclamer pour faire exister. Cette insistance sur la morale se fonde en grande partie sur la personnalisation de leurs propos que leur permet leur position de genre, c’est-à-dire, ici, la connaissance intime de ces hommes et leurs liens familiaux. Elle se fonde également sur une autre caractéristique de leur position genrée, à savoir leur situation d’extériorité, donc, selon elles, d’objectivité. Car bien qu’étant affiliées familialement et socialement à la caste, les femmes demeurent extérieures à la confrérie. Il s’agit ici de l’une des différences majeures qui existe entre l’organisation des « voleurs dans la loi », lesquels, originellement, ne sont pas autorisés à se marier et constituent une fraternité d’hommes, avec les structures mafieuses, italiennes par exemple. En tant qu’extérieures à la caste mais intimes de ces criminels, mes interlocutrices se placent donc doublement comme garantes de leur moralité intrinsèque.

Peut-être que tu as rencontré d’autres types de femmes de kurdebi ... mais moi je suis moi. Je nefaispas depropagande, Cestjustepour dire qu’il était différent, très intelligent, très cultivé. Moije sais queje nauraispaspu passer 27 ans avec un homme qui nétaitpas comme moi . (Aka)

L’insistance sur la morale personnelle et culturelle ainsi que le déni partiel de la loi est lié au contexte plus général de délégitimation de celle-ci. Mes interlocutrices glissent souvent, de manière parfois contradictoire, entre individuation de l’homme dont elles parlent, qui constitue en quelque sorte leur privilège discursif en tant que filles et épouses, et la généralisation à la société des « voleurs ». Ainsi, Salomé, 61 ans, après avoir elle aussi affirmé la « différence » de son mari :

Tous les articles qu ’on voit sur les kurdebi ... Oui oui, toutes les choses qu ’on écrit... On dit qu’ils sont très négatifs, des monstres, des gens qui vivent grâce l’argent des autres, qu’ils ne font rien de bien. Dans chaque profession, dans un premier temps tu es un être humain et si tu es quelqu’un de bien tu utilises ta profession pour faire le bien, peut-être que quelqu’un est docteur mais comme être humain il est mauvais. L’important c’est d’être quelqu’un de bien, tout d’abord, il faut être humain et utiliser son pouvoir, son influence et son statut pour le bien et pas pour faire du mal aux autres êtres humains. Ce qui est sûr, c’est que c’est ce que faisait R. [son mari].

Ici, Salomé fait explicitement référence au travail de sape idéologique mené par le gouvernement de M. Saakachvili et par les journalistes lui étant favorables, puis continué, quoique dans une moindre mesure, par Georgian Dream, le parti au gouvernement actuellement. Face à l’évidence que l’argent des kurdebi n’a pas été gagné honnêtement et face aux qualificatifs péjoratifs utilisés contre les « voleurs », Salomé oppose « l’humanité » et la pure morale en confrontant, tout simplement, le « bien » et le « mal ». Contrairement à mes interlocuteurs masculins, cambrioleurs et petits délinquants admirateurs des kurdebi, ces femmes, et surtout celles qui sont revenues vivre en Géorgie, ont vécu une opprobre morale incessante et en fort contraste avec les privilèges matériels et culturels dont elles jouissaient auparavant. Défendre de but en blanc la « loi » des «voleurs » ainsi que leur « statut » n’est pas possible au sein d’un environnement géorgien qui leur est fortement hostile. En effet, l’arme légale la plus puissante de l’État contre les « voleurs » est précisément le respect de leur « loi » qui interdit de mentir quant à leur « statut ». Il semble donc qu’il ne soit plus possible de se défendre et de se valoriser à la seule aide du « statut », lequel n’est plus autant source de fierté et surtout n’est plus seulement défini de l’intérieur de la « loi » des « voleurs »3 mais définit négativement de l’extérieur, par la loi de l’État. D’où une forte ambivalence concernant, désormais, la « loi » et le « statut » de kurdi. Dans certains cas plus conflictuels, les femmes peuvent même opposer le statut ou le « titre » de leur kurdi avec leurs qualités morales et viriles. Ainsi, Lika, la mère d’un kurdi de moindre renommée par rapport à ceux déjà cités, m’a confié : « Il croit que son titre suffit, mais il ne se comporte pas comme un homme, il boit, il fait n’importe quoi, son statut ne suffit pas ! ».

Il m’a donc semblé, au début de mon enquête et de ma réflexion, que du moins pour les filles et épouses de kurdebi, la bataille juridique - notamment pour imposer sa légitimité dans les résolutions de conflit - avait été perdue face à l’État et que tout se passait désormais sur le terrain culturel et moral. Ce droit dont ne peut plus parler, qui a quasiment disparu et dont l’indicible est renforcé par la position genrée de mes interlocutrices, est donc exprimé de manière détournée par ces dernières en mobilisant cette morale partisane et culturelle, en manière de relégitimation défensive. Il s’agit également, surtout par l’insistance sur la valeur intellectuelle de leurs (ex) époux et pères, de réaffirmer une position sociale élitaire qui leur a été déniée, y compris d’un point de vue financier.

Une légitimité fondée en droit : morale pratique et formalisme juridique

C’est ici, dans l’intrication entre morale et positionnement social, qu’une conception légèrement différente de la morale a émergé au fil de nos discussions. Plus concrète, elle s’appuie, pour être évoquée, sur des exemples tirés d’interactions réelles ainsi que sur des raisonnements plutôt que sur la coutume ou l’habitude. Lorsque les femmes laissent entrevoir leur adhésion à ce second type de moralité, c’est là qu’elles font appel explicitement à la « loi » des « voleurs » et abandonnent leur posture de déni. Étant donné que l’affirmation de l’existence de cette « loi » est difficilement articulée par les femmes dans un premier temps, il est intéressant de prêter attention au truchement rhétorique par lequel celle-ci émerge tout de même, finalement, au sein de leur discours. J’ai pu observer qu’avant la « loi » proprement dite, le « statut » ou le « titre » est souvent le point de pivot, dans les discours, révélant une référence, en creux, à la « loi » puisque c’est en vertu de celle-ci qu’on obtient et qu’on maintient son « statut » de « voleur ». Celui-ci est en effet sanctionné par une procédure d’ordre légal, mimant les statuts officiels et ne présentant aucune porosité entre possession ou non du titre.

Ludmila, parmi les femmes interrogées est celle qui a dénié le plus absolument l’observance de leur « loi » par les kurdebi et l’existence-même d’une « loi ». Si l’apparence soignée d’Aka m’avait frappée au premier abord, chez Ludmila, l’attention portée aux vêtements, aux bijoux et à la coiffure était encore plus exacerbée. Ludmila est une très belle femme brune, au port altier, affichant un regard souverain, quasi-hautain, à l’égard de l’anthropologue l’interrogeant. Je remarque qu’elle ne se départit pas de cette attitude fière lorsqu’elle s’adresse au groupe d’amies qui l’entoure ainsi qu’aux serveurs du petit restaurant. Toutes les personnes rencontrées jusqu’ici me l’avait recommandée comme la personne à laquelle je devais parler en priorité et toutes l’évoquaient avec une grande déférence. Selon Aka et Natela, qui m’avaient introduite à elle, Ludmila « connaissait tout du monde des voleurs » et elle « était très renommée ». Elle est en effet la veuve de l’un des « voleurs » les plus riches et puissants de la ville de X. Le décès supposé accidentel (ce qu’elle ne croit pas) de son époux après une longue période d’incarcération avait été nationalement médiatisé. Contrairement à Aka, qui exerce son métier de chorégraphe et dont l’ex-époux lui envoie de l’argent depuis l’étranger, Ludmila a tout perdu. Par conséquent, à l’inverse d’Aka, elle ne passe pas ses vacances dans le grand hôtel de luxe à côté de la buvette où nous nous retrouvons mais dans un petit hôtel populaire un peu plus loin. Je n’ai pas compris cela tout de suite car Ludmila a eu quelque peine à « avouer » sa situation financière et tentait de préserver les apparences. Cependant, après avoir abordé ce sujet, elle se confie longuement sur ses difficultés et le sentiment d’injustice qui l’habite. Cette attitude, qui, outre l’ostentation d’un ethos de classe supérieure, alterne entre des plaintes quant aux difficultés financières du présent et des remémorations de la grandeur perdue est observable chez une grande partie de l’intelligentsia géorgienne déclassée (Ferry 2015). Mais ici, l’appartenance élitaire passée est assise et légitimée par un élément supplémentaire constitué par le « statut » criminel de l’époux. Les premières références à des éléments d’ordre juridique sont donc inscrites dans l’affirmation d’un positionnement social supérieur. Ainsi, peu après avoir affirmé la grande moralité personnelle de son époux décédé et après avoir déploré le contraste entre sa situation passée et ses difficultés présentes, Ludmila avance :

Mon mari utilisait son statut, son influence et son pouvoir pourfaire le bien. Par exemple, quand lefils de Khatuna, la vendeuse de légumes, a été renvoyé de son travail dans un cabinet médical, il a organisé une conciliation avec le docteur et il l’a obligé à le reprendre.

Elle légitime ainsi, par le recours à une morale concrète, prouvée a posteriori, l’utilisation d’un statut conféré par un système judiciaire parallèle. Cette « loi », telle qu’elle et les autres femmes la présentent, s’avère donc également fondée en morale pratique ou expérientielle et pas seulement en morale arbitraire et culturelle telle qu’exprimée plus haut. Elle peut donc s’apparenter aux notions de « respect dans les interactions » et de confiance sur les motifs (trustworth iness), qui sont parmi les éléments constitutifs de la théorie de la « justice procédurale » et parmi ce qui manque, au niveau des micro-interactions, à la population géorgienne pour accorder sa confiance dans les lois de l’État. Cette morale pratique s’écarte cependant des théories de la « justice procédurale » en ce que, le « statut », et donc la « loi », sont également présentés comme intrinsèquement liés à une position sociale perdue. Celle-ci, élitaire mais éclairée, poursuivait selon elles, le bien des administrés, donc des classes populaires. Les conceptions « modernes », individualistes et procédurales du droit, dont G. Slade et A. Kupatadze disent qu’elles sont mobilisées par la population générale pour critiquer les institutions judiciaires étatiques (2017), sont donc subtilement tressées avec une conception du droit justifié par son ancrage social, lié au prestige. Chez les femmes rencontrées, ces deux conceptions, plutôt que d’entrer en contradiction, se renforcent mutuellement pour bâtir un édifice complexe permettant de concurrencer les lois de l’État.

Avec une remarque en apparence anodine, Lika va encore un peu plus loin dans la continuité entre morale et statut juridiquement fondé. En reprochant à son fils ses comportements impulsifs et violents dû à l’excès de boisson, elle fait bien référence à l’une des « lois » internes des kurdebi qui interdit de perdre son contrôle lorsque l’on boit. Elle ne souligne donc pas seulement l’écart entre le « titre » de son fils et la morale commune mais également une incohérence légale interne, entre la possession du « titre » et son comportement, interdit par la « lois ». En cela, elle suit la même logique que les voleurs dans la loi eux-mêmes, à qui il arrive fréquemment de démettre de leur titre les « voleurs » qui contreviennent à l’une ou l’autre des lois, parfois pour des motifs comportementaux qui peuvent sembler futiles ou tout du moins d’un grand formalisme. Ce formalisme est ce qui peut garantir, aux yeux de celles et ceux qui défendent le système légal des kurdebi, qu’une procédure soit neutre, impersonnelle et transparente puisque les critères sont connus et applicables universellement. Cela bat en brèche l’assise d’un pouvoir sur la coercition ou la puissance économique seule. Or, le clanisme, le clientélisme et la personnalisation de l’exercice du pouvoir est souvent ce que l’on reproche, en sus de la violence, à l’administration de l’ordre par les criminels. Ketevan (50 ans, épouse de kurdi) atteste de la puissance d’effectivité de ce formalisme langagier, ou de ce « pouvoir de nomination » (Bourdieu 1986, 13) mobilisé par les kurdebi en Géorgie dans les années 1980 et 1990, tout en le doublant d’une fondation morale et rationnelle :

Tout ce qu’ils disaient, chaque mot, devenait une loi, c’était comme ça. Dans la rue s’ils disaient « celui-là ce n ’estpas un homme bien », c ’était comme ça, c étaitfini,pluspersonne ne le respectait ! Et la plupart du temps ils étaient tout à fait dans le vrai (sul martali iy’vnen), selon moi, ils avaient toujours une raison (sul mizezi hkondat). Jamais sans raison.

Avec les termes « vrai » et « raison », on retrouve ici, de manière détournée, l’idée que les actions des kurdebi sont gouvernées par l’intelligence, la recherche de la vérité et du bien. Comme le dit la fille de kurdi Natela « Même si je ne les aime pas, il faut reconnaître que pour gérer tout ce qu’ils gèrent, il faut être très intelligent, tu ne peux pas sinon ». L’application morale qu’ils font de la « loi » serait donc rationnelle et présenterait un sens plus profond et substantiel que le simple intérêt et serait donc dignes de confiance, « fiable » (trustworthy) selon la terminologie de la justice procédurale.

Cette « fiabilité » et la confiance dans la poursuite des intérêts de la population administrée est notamment déniée au système judiciaire étatique dans le cadre des critiques entourant la généralisation des pratiques de négociation de peine (plea-bargaining), perçues comme des chantages liés à la volonté de réduire le nombre des procès ou même de remplir les caisses de l’État (Slade et Kupatadze 2017). Aux yeux des femmes, à celui des hors-la-loi participant de la « mentalité voleur » (kurdis gageba) mais aussi pour une large partie de la population, c’est bien cette capacité à être juste et impartial qui, par contraste, est déniée à l’État. Dans le camp des partisans des kurdebi, on établit constamment un parallèle entre justice d’État et système légal des « voleurs », de même qu’on compare leur moralité et leur indépendance. Premièrement, nombre d’actions immorales qui sont reprochées aux kurdebi sont imputées au gouvernement. Les meurtres entre kurdebi deviennent des assassinats d’État, opérés par des « snipers » de même que les trafics de drogue et de prostituées (deux commerces interdits par la « loi » des « voleurs ») qui seraient régis par le gouvernement, comme l’affirment Levani (40 ans) et Vakhtangi (58 ans), d’anciens cambrioleurs admirateurs des kurdebi (Paris, septembre 2022).

À ces accusations circonstanciées, s’ajoutent des critiques plus générales ou proprement juridiques et morales. De même qu’une majorité de Géorgien-ne-s, les femmes liées aux kurdebi n’ont qu’une très faible confiance dans les institutions judiciaires. On comprend aisément pourquoi mes interlocutrices sont ardemment opposées aux politiciens du bord de M. Saakachvili et à la manière dont était administrée la justice durant leur mandat. Leurs critiques envers la loi de type anti-mafia et à l’égard des traitements injustes dont elles disent que leurs époux ont été victimes (brutalité, harcèlement mais aussi absence de procès, fabrication de preuves et politisation des sanctions) rejoignent les critiques d’une grande partie de la population ainsi que d’organes de la société civile et de chercheurs. Ces derniers avancent que « les politiques de tolérance zéro concernant les pouvoirs de la police et les condamnations étaient plutôt dictées par l’exécutif [...] Il semble qu’un certain degré d’opportunisme politique et de «punitivité des élites» ait conduit à l’adoption de la tolérance zéro » (Slade et Kupatadze 2017, 886 [traduction]). Concernant la période suivante, on pourrait penser que l’étau se relâchant quelque peu autour des kurdebi, ces derniers aient une bien meilleure opinion des pratiques judiciaires en cours. Mais pour mes interlocuteur-trice-s comme pour une majorité de citoyen-ne-s géorgien-ne-s, la justice continue d’être fortement politisée. L’amnistie générale de 2013 a par exemple vu les mêmes juges autoriser la relaxe de détenu-e-s qu’ils avaient préalablement condamnés, ce qui a « renforcé l’idée que les juges sont impuissants et subordonnés aux politiques » (Slade et Kupatadze 2017, 887).

Les femmes liées aux kurdebi adressent le même type de reproches à l’État qui serait partial et clanique, depuis leurs positions de mère. Elles accusent ainsi l’État, y compris lors de sorties médiatiques, d’orchestrer la discrimination dont seraient victimes leurs enfants, pointés du doigts et humiliés en tant « qu’enfants de criminels » (Aka) tant dans les discours politiques que dans les institutions scolaires. Les « enfants de criminels » paieraient pour leurs pères, y compris en termes d’accès aux carrières publiques, ce qui serait la preuve ultime de l’iniquité et de l’immoralité de l’État. Avec ces reproches, les femmes rencontrées se positionnent, en creux, dans une conception individualiste de la responsabilité pénale en contraste avec un type de responsabilité collective que l’on retrouve par exemple dans les phénomènes de vendetta, au sein desquels la parentèle paie pour les actions d’un individu (Carey 2022). À cet égard, plusieurs femmes, au sein de ce plaidoyer quant au traitement de leurs enfants, se dégagent du face à face entre système judiciaire étatique et criminel et puisent à la légitimité d’une légalité supranationale en invoquant, de manière quelque peu surprenante, les principes « démocratiques » qui seraient ici bafoués.

Face à des juges et des cours réputés « impuissants » et « subordonnés aux politiques », la puissance de nomination mais aussi de coercition des voleurs dans la loi est mise en exergue, de même que l’ancienne « loi », fondamentale pour leur corpus, d’interdiction absolue de toute collusion avec l’État. Que ces deux aspects soient ou non encore effectifs, ils trouvent une attractivité et une puissance d’évocation nouvelle au sein de ces circonstances politiques et juridiques. De même, alors qu’il est reproché au système judiciaire sa partialité, l’opacité de ses procédures et la quasi-absence de contrôle sur les prises de décision qu’il offre, on pare, toujours dans l’ordre des discours, les mécanismes de résolution de conflit des kurdebi de toutes ces vertus. Cependant, de manière quelque peu paradoxale, ces qualités leurs sont conférées en grande partie en vertu des mécanismes sociaux et moraux de la réputation et de la honte. Levani et Vaghtangi m’expliquent :

C’est très rare, mais si un kurdi se trompe sur ton cas et que tu penses qu’il est injuste, tu peux aller voir un autre kurdi et lui expliquer à nouveau ta version. Comme le premier ne veut pas avoir honte et une réputation de quelqu’un d’injuste, il va réexaminer le conflit. (Septembre 2022, Paris)

Ici, on voit l’association d’un principe de transparence procédurale (on peut contester une décision) et d’un mécanisme reposant sur le système d’honneur et de honte.

Pour les épouses de kurdebi, qui valorisent significativement leur rôle de mère et se conforment ainsi à l’une des attentes de genre majeure regardant les femmes géorgiennes, le traitement des enfants est un point d’achoppement moral particulièrement saillant permettant de démarquer les deux systèmes en concurrence. Toutes les épouses rencontrées m’ont fait le même récit : dans leur ville, au cours des années 1980, un adolescent en avait tué un autre dans une bagarre au couteau. Les kurdebi de la ville s’étaient réunis suite à cela et avaient solennellement décrété l’interdiction du port d’arme, qu’elle soit blanche ou à feu :

Leur logique c’était que si tu portes une arme, quoique tu aies fait, tu seras coupable parce que tu as pris le risque de tuer. (Aka)

À partir de ce jour, selon mes interlocutrices, plus aucune bagarre n’a été mortelle dans la ville de X., contrairement à Tbilissi où cela arriverait fréquemment. Mon étonnement quant à la longévité impressionnante de l’effectivité de ce décret, même après que les kurdebi aient quitté le pays, fût accueilli par deux types de réponses. Tout d’abord, on m’a affirmé que même si certains jeunes ne respectent plus cette interdiction, lorsqu’ils se retrouvent en prison, des kurdebi ou leurs affiliés et sympathisants sont chargés de la leur rappeler par des sanctions adéquates. Deuxièmement, que ce soit à X. ou à Tbilissi, la multiplication des bagarres mortelles adolescentes serait bien la preuve que le « gouvernement a besoin d’eux », « une lettre ou un mot d’eux et tout ça serait fini, ils le savent bien ! » (Médéa, 57 ans). Ces récits, qui ne concordent pas exactement avec les faits concernant les homicides dans ces deux villes et qui d’ailleurs se contredisent en leur sein-mêmes, s’ils révèlent des conceptions de la « loi » des « voleurs » en alignement avec certaines des attentes de « justice procédurale », montrent également des discours de légitimation des régimes de coercition par la violence des kurdebi qui opèrent en mobilisant justement cette thématique. En clair, on justifie leur violence en les présentant comme les remparts justes à d’autres types de violence. Surtout, cela permet aux femmes des kurdebi d’ancrer encore un peu plus la représentation de la caste comme garante de l’ordre social et d’une efficacité juridique exécutoire relevant tout à la fois d’une morale familialiste, dont elles renforcent l’affirmation en vertu de leur position de genre, et d’une position sociale surplombante.

Conclusion

Au sein de cet article, j’ai confronté les attentes de la population géorgiennes en termes de justice et notamment de « justice procédurale » avec les discours de femmes liées à un système de justice coutumière porté par une caste criminelle mais, qui, en vertu de leur positionnement de genre, en sont également décalées. Leur perspective originale sur ces questions indique que ces femmes ne sont pas dépositaires d’une « culture juridique » arbitraire et sans rapport avec celle de la population et avec les politiques pénales mises en place par les gouvernements successifs. L’analyse de leurs discours révèle bien un attachement partisan et culturel au monde criminel autrefois florissant en Géorgie. C’est ce qui leur permet, tout d’abord, d’opérer un détour pour parler à demi-mot de cette « loi » largement délégitimée et dont elles commencent presque toutes par nier l’existence. Cependant, les rappels de cette morale fondée sur une position sociale particulière leur permettent, finalement, de se re-positionner en tant qu’élite entretenant un rapport de supériorité, de pouvoir mais aussi de gouvernance sur le reste de la population. Ces femmes articulent donc à ces fondements moraux et sociaux de la légitimité juridique des kurdebi des conceptions de la justice fondées sur des attentes d’équité, de procédures neutres et transparentes. Ce retour de la « loi » dans leurs discours, tout en se fondant sur une légitimité morale pratique et concrète garantie par leur position d’épouses et de mère, est également interactionnelle, intrinsèques à l’action (Lambek 2010). Elle tend aussi à s’appuyer, en s’y articulant, sur un formalisme juridique important, soit la « force de la forme » (Bourdieu 1986, 14) et sur une conception moderne de la responsabilité individuelle. Elles opèrent donc, finalement, une forme de synthèse entre une conception du droit fondée en morale - partisane et pratique - et fondée formellement. Leurs positions d’épouses, de filles et de mères, leur permettent, dans l’ordre des discours, d’être garantes, en termes de morale expérientielle et intrinsèque, de l’authenticité de leurs propositions. Leur position à l’interface avec le reste de la société les amène, en outre, à élargir leurs points de vue en considérant le bien commun des jeunes et des enfants et à puiser dans des univers de références transcendant le face à face entre les deux systèmes légaux qu’elles confrontent. Ces deux sources de droit, du moins du point de vue idéel, interagissent et dialoguent. Les manques de l’une nourrissent les succès de l’autre en tant que demande d’ordre et de morale mais aussi en tant que système légal propre.

Remerciements

Une partie de la recherche pour cet article a été soutenue par le Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention n° 787935 pour le projet GANGS).

Auteure

Maroussia Ferry est anthropologue, maîtresse de conférence en anthropologie à l’Ecole normale supérieure (ENS/CMH). Ses recherches ont porté sur les migrations des femmes géorgiennes, à propos desquelles elle a exploré la recomposition des relations de genre et des économies morales dans un monde postcrise. Elle se consacre désormais à l’étude des réseaux de parenté et des économies morales de la transgression en Géorgie et à Marseille (France). maroussia.ferry@ens.psl.eu

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  1. Les théories de la justice procédurale ont tout d’abord été élaborées par John Rawls qui soutient l’idée que la forme équitable d’une procédure devrait être privilégiée sur le fond concret et circonstanciel de la décision de justice et de son résultat : « La justice procédurale pure s’exerce quand il n’y a pas de critère indépendant pour déterminer le résultat concret ; au lieu de cela, c’est une procédure correcte ou équitable qui détermine si un résultat est également correct ou équitable, quel qu’en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée » (2009 [1971], 118). Je mobilise dans ce texte l’un des prolongements de cette théorie telle qu’elle a été empiriquement explorée en relation aux attentes des justiciables par le psychologue social John W. Thibaut et le théoricien du droit Laurens Walker (1975).

  2. Les villes d’origine de mes interlocuteur·trice·s ne sont pas précisées, les prénoms sont des pseudonymes et certains détails ont été modifiés.

  3. Pour obtenir ledit « statut », un aspirant « voleur » doit être recommandé par au moins quatre « voleurs » confirmés, doit avoir séjourné en prison et passer par une cérémonie appelée « couronnement » en Russie et « baptême » en Géorgie.