La « culture de l’assemblée » dans le 15M : un lent apprentissage entre partage de normes et ouverture aux autres

Héloïse Nez  

Abstract

En Espagne, le mouvement du 15M s’est organisé en assemblées autogérées sur les places publiques, dépassant les cercles militants auxquels ces pratiques étaient jusque-là confinées. À partir d’une enquête ethnographique menée pendant dix ans à Madrid, cet article interroge les effets de cet élargissement des publics sur la pratique de l’assembléisme. En s’intéressant aux difficultés induites par le recours au consensus, il se focalise sur le principal défi politique qui consiste à construire une culture commune de la prise de décision collective. La question de la temporalité, centrale dans ce processus, s’exprime aux niveaux de l’apprentissage d’une culture partagée de l’assemblée et des prises de décisions elles-mêmes. Nous explorons ainsi la tension entre, d’une part, l’ouverture à toutes et tous des assemblées du 15M, et d’autre part, la production de normes spécifiques à ces pratiques de réunions qui nécessitent un apprentissage rendant difficile la participation et l’intégration dans l’assemblée.

In Spain, the 15M movement organised itself into self-managed assemblies in public squares, going beyond the militant circles to which these practices had hitherto been confined. Based on an ethnographic study conducted over a ten-year period in Madrid, this article examines the effects of this broadening of audiences on the practice of assemblies. By looking at the difficulties involved in resorting to consensus, it focuses on the main political challenge of building a shared culture of collective decision-making. The question of temporality, central to this process, is expressed at the levels of learning a shared culture of assembly and of decision-making itself. We are thus exploring the tension between, on the one hand, the openness of the 15M assemblies to all, and on the other, the production of norms specific to these meeting practices, which require an apprenticeship that makes participation and integration into the assembly difficult.

Le mouvement espagnol des Indigné·e·s commence le 15 mai 2011 (d’où l’appellation de « 15M ») à la suite d’une manifestation convoquée sur les réseaux sociaux par plusieurs collectifs réunis au sein de la plateforme « Démocratie réelle maintenant ». Des dizaines de milliers de personnes descendent alors dans la rue pour dénoncer les conséquences sociales de la crise économique de 2008 (explosion du chômage, des expulsions de logement, de la pauvreté et des inégalités) et la gestion de cette crise par leur gouvernement, qui y répond par des politiques d’austérité. Plus largement, comme en témoigne le slogan « Ils ne nous représentent pas » (No nos representan), ce sont les défaillances du système politique représentatif qui sont dénoncées, principalement la corruption politique et la collusion d’intérêts entre élites politiques et économiques, mais aussi les limites du bipartisme et du mode de scrutin qui a des effets majoritaires. En mettant ainsi en avant le manque de démocratie, les Indigné·e·s transforment la crise économique et sociale en crise politique.

À la fin de la manifestation, quelques dizaines de personnes restent camper à la Puerta del Sol, une place symbolique au cœur de Madrid qui est occupée jusqu’au 12 juin 2011. Les campements se multiplient alors sur les places d’autres villes espagnoles, en étant autogérés par des assemblées générales (AG), des commissions sur des aspects pratiques de la mobilisation (infrastructures, dynamisation des assemblées, questions juridiques, etc.) et des groupes de travail thématiques (politique, économie, éducation, etc.) visant à élaborer des projets, des propositions et des actions en vue d’un changement de société. La même structure d’assemblées est ensuite mise en place dans les quartiers des grandes villes, comme à Madrid à partir du 28 mai 2011. Ces assemblées réunissent des publics au départ nombreux (quelques milliers de personnes dans certaines AG de la Puerta del Sol et plusieurs centaines dans les premières assemblées de quartier) ou plus restreints dans les commissions et groupes de travail et à mesure que le mouvement se prolonge dans le temps. Les sujets de discussion sont très variés, de la lutte contre les expulsions de logement à la précarité de la jeunesse, en passant par le rapport à la politique et à l’État, la préservation des services publics ou encore les règles de démocratie interne au mouvement.

La principale différence des pratiques d’assemblées des Indigné·e·s, par rapport à celles des mouvements autonomes dont elles s’inspirent (notamment des mobilisations altermondialistes et des squats autogérés), est de dépasser largement les cercles militants auxquels elles étaient jusque-là confinées. La mobilisation espagnole se distingue en effet d’autres mouvements de la décennie 2010, qu’elle a en partie inspirés à travers le monde (Occupy, Nuit Debout), par une forte participation et par l’hétérogénéité générationnelle, sociale et idéologique des manifestant·e·s : à la fin 2011, près de 7 millions de personnes auraient participé d’une manière ou d’une autre au 15M (Adell 2011). Comme le souligne Eduardo Romanos (2011) : « Le 15M a favorisé le transfert des pratiques délibératives depuis des enceintes plus ou moins limitées (par exemple, les campements, forums sociaux ou centres sociaux autogérés) vers les places, et c’est là que semble résider une différence importante. » Les Indigné·e·s incarnent ainsi la montée en puissance, depuis le début de la décennie 2010, des assemblées dans les mouvements sociaux : « Over the course of the past decade, assemblies, often associated with occupations, have again acquired a public and open character » (Davidian et Jeanpierre 2022, 11).

Cet article interroge les effets de cet élargissement des publics sur la pratique de l’assembléisme qui a une longue tradition en Espagne, en s’intéressant aux difficultés induites par l’usage de la prise de décision par consensus. Il se focalise ainsi sur le principal défi politique que tentent de surmonter les participant·e·s aux assemblées du 15M, consistant à construire une culture commune de la prise de décision collective. La question de la temporalité, centrale dans ce processus, s’exprime de deux manières. Premièrement, au niveau de l’apprentissage d’une même culture d’assemblée, qui prend du temps et produit un groupe de personnes partageant un certain nombre de normes relatives à la participation et de valeurs politiques. Deuxièmement, au niveau des prises de décisions elles-mêmes, qui sont chronophages et mettent à l’épreuve la volonté des membres à poursuivre cet apprentissage et à continuer à participer aux assemblées. Nous explorerons ainsi la tension entre, d’une part, l’ouverture à toutes et tous des assemblées des Indigné·e·s, et d’autre part, la production de normes spécifiques à ces pratiques de réunions qui nécessitent un apprentissage (notamment d’un art de la parole en public) rendant difficile la participation et l’intégration dans l’assemblée. Après avoir interrogé les affinités entre les assemblées du 15M et la tradition politique autonome (première partie), l’analyse se focalise sur ce que produit l’assembléisme comme normes sociales et rapports hiérarchiques (deuxième partie), qui ont des effets sur les participant·e·s en termes d’apprentissages mais aussi de désengagements (troisième partie).

Sur le plan méthodologique, l’analyse s’appuie sur une enquête de terrain menée pendant dix ans dans la région madrilène, à partir de la fin mai 2011. Au cours de la première année du mouvement, j’ai observé une soixantaine d’AG, de réunions de groupes de travail et de commissions, à la Puerta del Sol et dans plusieurs quartiers et villes périphériques de la capitale – en particulier à Carabanchel et Parla, deux territoires populaires au sud de Madrid. Ces observations portent autant sur la forme que sur le contenu de la discussion, en s’attachant aux discours et aux échanges d’arguments, mais aussi à ce qui relève des émotions et du non verbal1. En m’appuyant sur les contacts noués au cours de ces observations, j’ai ensuite réalisé, entre 2013 et 2015, des entretiens avec une quarantaine de personnes qui ont pris part au 15M, afin d’interroger les premiers effets biographiques de leur engagement. L’immersion ethnographique m’a permis de « juger de l’exemplarité de certaines trajectoires observées » (Siméant 2001, 57), en sélectionnant une diversité de profils sociodémographiques et politiques, de parcours d’engagement avant et après les Indigné·e·s, et de modes d’implication dans le 15M. L’enjeu est de rendre compte du caractère hétérogène d’un mouvement comprenant « des collectifs et des individus impliqués sous différentes formes et intensités et avec des caractéristiques idéologiques et sociodémographiques différentes » (Lobera 2015, 100). J’ai ainsi interrogé 17 femmes et 23 hommes, entre 16 et 69 ans, ayant des origines sociales et des situations professionnelles variées. Certain·e·s avaient une expérience d’engagement antérieure dans des collectifs et mouvements divers (étudiants, autonomes, communistes, etc.), alors que d’autres manifestaient pour la première fois. Ces entretiens se sont accompagnés d’observations, en 2013 et 2014, au squat collectif de l’Eko ouvert par les Indigné·e·s à Carabanchel. En novembre 2019 et en octobre 2021, j’ai mené deux autres séries d’entretiens avec près de la moitié des personnes rencontrées lors de la première phase, afin de saisir les effets biographiques de leur engagement sur un plus long terme2. La sélection des participant·e·s était également fondée sur une diversité de situations sociales et de parcours d’engagement. Par rapport à la première vague d’entretiens, j’ai rééquilibré la proportion des femmes (9) et des hommes (9), et privilégié les personnes qui n’étaient pas militantes avant le 15M afin d’interroger l’impact du mouvement sur les novices de l’action collective. L’originalité de ce dispositif méthodologique est d’avoir suivi les Indigné·e·s à la fois sur le vif de l’événement et dans la durée, en combinant une observation directe des pratiques et des entretiens répétés avec les participant·e·s3.

Généalogie des assemblées du 15M

L’inspiration des mouvements autonomes

Si les Indigné·e·s ne se définissent pas collectivement comme libertaires, on repère des affinités entre le 15M et la tradition anarchiste4. David Graeber (2005, 42), anthropologue et militant libertaire, avait déjà repéré cette tendance dans le mouvement altermondialiste :

Quelque chose est en train d’émerger. Le problème est de savoir comment le nommer. Bien des principes fondamentaux de ces mouvements (auto-organisation, association volontaire, aide mutuelle, refus du pouvoir d’État, etc.) proviennent de la tradition anarchiste. Néanmoins, beaucoup de ceux qui embrassent ces principes répugnent quelque peu, voire même refusent catégoriquement, de se dire « anarchistes ».

Selon ce théoricien de la pensée libertaire nord-américaine, l’objectif des altermondialistes est « de créer et de mettre en œuvre des réseaux horizontaux plutôt que des structures descendantes comme les États, les partis ou les entreprises ; des réseaux basés sur les principes d’une démocratie de consensus décentralisée et non hiérarchique » (Graeber 2002). Cette analyse pourrait très bien être transposée au 15M, dont les pratiques reposent sur l’absence de leader et de hiérarchie. Des travaux mettent ainsi en avant des éléments de continuité entre le 15M et les mouvements autonomes qui se développent à partir du début des années 1980 en Espagne5. Cristina Flesher Fominaya (2015, 4), qui a observé des réseaux autonomes altermondialistes au début des années 2000 à Madrid, les définit comme « des mouvements organisés en réseaux horizontaux, reposant sur des principes d’auto-organisation, de démocratie directe/participative, d’autonomie, de diversité et d’action directe ». Les similitudes avec le 15M ont d’abord trait à leurs principes et modes de fonctionnement, comme les assemblées ouvertes, la prise de décision par consensus et la rotation des responsabilités. Un autre élément de continuité concerne le refus d’être associé à des partis politiques, des syndicats ou d’autres organisations. Des circulations d’activistes ont également lieu : les militant·e·s okupas ont influencé l’organisation et la modération des assemblées des Indigné·e·s et leur ont apporté un soutien logistique depuis les centres sociaux occupés autogérés, tandis que différents groupes issus du 15M ont intégré des squats existants ou en ont créé de nouveaux (Martínez et García 2018).

La mobilisation des Indigné·e·s dépasse toutefois largement la sphère d’action et d’influence des mouvements autonomes. Si des activistes libertaires ont joué un rôle important dans la genèse et l’essor du 15M (Flesher Fominaya 2020), la participation est loin de se limiter à ces cercles militants, même dans les équipes de modération des assemblées. Par exemple, les membres de la commission de dynamisation des AG de Sol ne venaient pas tous des mouvements autonomes. Parmi celles et ceux que j’ai rencontrés, si Eduardo (aide-soignant au chômage, 30 ans) était familier de ce milieu militant, Estrella (32 ans, animatrice au chômage) a modéré de grandes AG sans aucune expérience militante préalable. Cette pratique de la modération faisait davantage écho à la formation qu’elle suivait dans l’animation socioculturelle. Une autre filiation des mécanismes d’apprentissage pour la modération des assemblées, au-delà des mouvements autonomes et des squats autogérés, vient ainsi de jeunes professionnel·le·s ayant suivi des formations sur les méthodologies participatives. C’est le cas du master mis en place par le sociologue Tomás Rodríguez Villasante à partir de 1996 à l’université Complutense de Madrid puis dans des universités à Barcelone, Séville et Bilbao, qui s’inspire de la pédagogie de Paulo Freire et des méthodes de recherche-action développées dans les années 1970 et 1980 en Amérique latine (Nez et Ganuza 2018). Ces formations aux méthodologies participatives soulignent le problème central de l’apprentissage d’une culture de la participation qui se construit au fil des assemblées.

Par ailleurs, les relations aux institutions sont beaucoup plus discutées et diversifiées au sein du 15M que dans ces mouvements autonomes, qui situent leur action en dehors de l’État et cherchent à renforcer des espaces autonomes de prise de décision collective et de transformation sociale. Une partie des Indigné·e·s s’inscrivent dans cette perspective, mais d’autres cherchent à avoir une influence sur l’action étatique. Leur désaccord sur le rapport à la politique institutionnelle s’exprime dès le début du campement à la Puerta del Sol avec la séparation du groupe de travail sur la politique en deux sous-groupes, qui se réunissent le même jour à la même heure sur deux places différentes. Le groupe sur « la politique à court terme », dont certain·e·s membres s’impliqueront à Podemos à partir de 2014, cherche à avoir une influence sur les politiques publiques. Il se met rapidement d’accord sur plusieurs propositions visant à améliorer le système actuel, comme « la réforme de la loi électorale pour une démocratie plus représentative, réellement proportionnelle et qui développe des mécanismes effectifs de participation citoyenne » (AG de Sol 2011b). Au contraire, le groupe sur « la politique à long terme » se désintéresse de la voie électorale et se focalise sur le mode d’organisation politique à atteindre, basé sur l’autogestion et l’assemblée, tel qu’il se pratique au campement de la Puerta del Sol. Il promeut des expérimentations locales comme l’occupation d’immeubles pour reloger les personnes expulsées, l’ouverture de squats d’activités ou la création de coopératives. Dans une perspective autonome théorisée notamment par Hakim Bey (1997) ou John Holloway (2008), l’objectif est de forger une contre-culture à la culture dominante en constituant des « poches de résistance ». Si la dissociation entre le « court » et le « long » terme peut être interrogée, vu que la conception du groupe sur « la politique à court terme » a aussi des implications à long terme et inversement, elle met en relief la temporalité nécessaire à l’apprentissage d’une culture et de pratiques politiques spécifiques.

On peut ainsi comprendre pourquoi le qualificatif d’anarchiste ne fait pas consensus parmi les Indigné·e·s, même si la tradition libertaire a clairement influencé leurs modes d’organisation et de délibération. Emilio (63 ans, journaliste), impliqué depuis plus de trente ans dans le syndicat anarchiste de la CGT, indique que l’esprit autogestionnaire du 15M l’a attiré, bien que le caractère libertaire du mouvement se retrouve plus dans son mode de fonctionnement que dans une idéologie qui serait affichée : « Sans que le 15M soit anarchiste ou libertaire, il a une structure libertaire, son fonctionnement. C’est horizontal, c’est de libre association entre les assemblées, les assemblées quand elles s’intéressent à des projets communs elles travaillent ensemble, elles sont absolument indépendantes. » Comment expliquer que des personnes plus éloignées du militantisme se soient également retrouvées dans un mode de prise de décision inspiré des mouvements anarchistes ?

Les raisons du recours au mode de prise de décision par consensus

On retrouve, dans le discours des Indigné·e·s qui défendent l’usage du consensus pour prendre des décisions, les arguments généralement avancés pour valoriser les pratiques de délibération au sein des mouvements sociaux, comme un moyen d’expérimenter au sein du mouvement le modèle démocratique prôné en dehors. Il s’agit, dans une conception préfigurative de la politique qui a été beaucoup mise en avant dans les squats autogérés et les mobilisations altermondialistes, de mettre en pratique dans les assemblées la « démocratie réelle » que les Indigné·e·s appellent de leurs vœux, comme les altermondialistes avant eux : « Ces pratiques en réseau marquées par l’horizontalité et la diversité forment la base de la forme alternative de démocratie que le mouvement entend développer comme alternative viable à la démocratie représentative libérale » (Maeckelbergh 2011, 9). Ces choix de fonctionnement démocratique relèvent donc en partie d’une adhésion à un système de valeurs spécifiques, qui privilégie la démocratie participative à la délégation (Della Porta 2009). Les participant·e·s qui défendent l’usage du consensus, lorsqu’il est critiqué dans les assemblées du 15M, craignent qu’un mode de prise de décision majoritaire – qui correspond au « système de toujours, dont on ne veut plus » (AG de Sol, 3 juillet 2011) – soit excluant, ne stimule pas autant la discussion que la recherche du consensus et s’oppose ainsi à « l’esprit du mouvement ». Ces ressorts de légitimité de la décision par consensus sont souvent valorisés par rapport à la règle de la majorité, comme le souligne le sociologue Philippe Urfalino :

Le souci de parvenir à un consensus exige une écoute de tous les points de vue et permet plus facilement la participation de chacun à la discussion ; la participation de tous à la délibération et l’exigence de consensus accroissent la qualité et la légitimité de la décision (Urfalino 2007, 47).

Face à une démocratie représentative dont ils et elles jugent le fonctionnement oligarchique (c’est-à-dire où le pouvoir est détenu par un petit groupe de personnes formant une classe dominante), les Indigné·e·s cherchent ainsi à créer de nouveaux espaces de discussion collective qui s’appuient sur la diversité des opinions de la population et lui donnent une expression. La délibération et la recherche du consensus sont donc perçues comme des méthodes permettant d’élaborer une parole collective au sein d’un mouvement social, en s’appuyant sur l’expression des désaccords et sur la formulation d’accords autour d’un minimum commun (Nez 2012). Les Indigné·e·s définissent ainsi la « pensée collective » (pensamiento colectivo) comme l’un des quatre principes de la démocratie d’assemblées du 15M – les trois autres étant « l’horizontalité », « l’inclusion » et « le respect » –, comme le rappelle Alberto (41 ans, employé de bibliothèque) qui a participé jusqu’en 2013 à l’assemblée locale de Parla :

Ce n’est pas ce que tu dis, ce n’est pas ce que je dis, mais nous allons tous les deux créer une nouvelle idée qui ne sera pas la mienne, mais qui n’est pas la tienne non plus, et nous allons tous les deux sentir que nous avons participé à la construire.

L’enjeu est donc aussi stratégique, la pratique du consensus étant un moyen de préserver les différences au sein d’un mouvement hétérogène (en refusant l’adoption de décisions qui n’incluent pas l’ensemble des participant·e·s comme avec le vote majoritaire), tout en poursuivant des objectifs communs. Comme le montre Francesca Polletta (2002) à partir d’une analyse historique des mouvements sociaux aux États-Unis au XXe siècle, le choix de la prise de décision par consensus correspond non seulement à des valeurs auxquelles les membres d’un mouvement social se disent attachés, mais également à un intérêt pratique visant à éviter les divisions internes et à continuer à mobiliser un nombre important de citoyen·ne·s. Les pratiques de démocratie interne peuvent ainsi renforcer les liens de solidarité et la cohésion entre les participant·e·s, en les incitant à reconnaître la légitimité du raisonnement des autres et à accepter les différences au sein du mouvement. Mais l’usage très spécifique du consensus dans les assemblées du 15M a aussi posé des problèmes pratiques.

Les assemblées en pratiques

Le consensus entendu comme unanimité

Toutes les assemblées des Indigné·e·s respectent une série de règles communes, résumée dans la proposition méthodologique transmise par l’AG de Sol aux quartiers et villes périphériques de Madrid lors de la décentralisation de la mobilisation le 28 mai 2011 : « L’objectif sera de promouvoir dans toutes les assemblées du mouvement un fonctionnement transparent, horizontal et qui permette à toutes les personnes de participer de manière égale » (AG de Sol 2011a). La formalisation de méthodes délibératives – rotation des fonctions et des porte-paroles, organisation de tours de parole et contrôle du temps, définition claire de la posture de modération – vise à éviter les tentatives d’accaparement du pouvoir et la production de hiérarchies au sein du mouvement, entre celles et ceux qui auraient plus ou moins d’expérience, de compétences et de temps pour organiser et/ou s’exprimer dans les assemblées (Nez 2012). Ce degré de formalisation des normes de la délibération permet de saisir le rôle des mécanismes d’apprentissage et d’acquisition de savoir-faire valorisés dans le contexte d’assemblée. Le consensus, qui s’est rapidement imposé comme mode de prise de décision dans les assemblées du 15M, vise à reformuler les propositions jusqu’à ce qu’elles ne fassent l’objet d’aucun désaccord exprimé (Urfalino 2007). Concrètement, avant de valider une proposition en sondant l’ensemble des participant·e·s, le modérateur ou la modératrice demande s’il y a une personne qui s’y oppose ou souhaiterait « apporter des nuances ». Si la proposition fait débat, des tours de parole (limités en temps et en nombre6) sont ouverts, afin d’entendre les arguments en sa faveur et à son encontre. La proposition est alors reformulée, en prenant en compte les critiques exprimées, et soumise à nouveau au même processus d’approbation. Pour qu’une décision soit prise, il faut qu’elle soit acceptée par l’ensemble des participant·e·s, c’est-à-dire qu’aucun désaccord argumenté ne s’exprime plus au sein de l’assemblée. Cette méthode implique « d’essayer de convaincre l’autre, et si on n’est pas d’accord, de le présenter de manière constructive », comme l’explique un participant dans une assemblée de quartier. Les échanges d’arguments et de contre-arguments visent ainsi à formuler et à reformuler les propositions, jusqu’à ce qu’un accord soit finalement trouvé.

En théorie, ce type de consensus est « apparent » dans la mesure où il exige « non pas l’unanimité mais, à côté de ceux qui approuvent, le consentement des réticents » (Urfalino 2007, 57). Mais dans la pratique à la Puerta del Sol, il est souvent synonyme d’unanimité car les participant·e·s n’hésitent pas à utiliser leur droit de véto. Cela provoque des situations fréquentes de blocage que regrettent quasiment toutes les personnes que j’ai rencontrées. C’est surtout le cas pour les décisions polémiques, à l’instar de celle consistant à mettre fin au campement qui a crispé les discussions dans plusieurs AG de Sol, avant d’être actée sans faire réellement l’objet d’un consensus. La proposition qui a permis de sauver les apparences d’un consensus (en cherchant à obtenir le consentement des réticent·e·s faute de parvenir à l’unanimité) a été d’organiser un campement itinérant, qui serait accueilli par des assemblées locales à tour de rôle, pour prendre en compte la position des opposant·e·s à la levée du campement de la Puerta del Sol. Même sur des décisions moins stratégiques, comme le fait de fixer une date, un lieu et des horaires pour se réunir dans les premières assemblées de quartier, les discussions peuvent prendre des heures avant de parvenir à une décision.

Certes, la lenteur du processus est valorisée au début du mouvement par les équipes de modération qui reprennent souvent le slogan des zapatistes « nous allons lentement parce que nous allons loin» (« vamos lentos porque vamos lejos »), prenant ainsi en compte l’enjeu central de la temporalité pour développer une « culture de l’assemblée ». Mais cette lenteur a aussi contribué à l’affaiblissement de ces assemblées locales en faisant fuir les personnes moins habituées à l’action collective (Nez 2012) et ayant moins de temps disponible, ce qui reproduit des asymétries sociales et genrées. En effet, les femmes (en raison notamment d’une plus forte implication dans les tâches domestiques et les activités de care) et les personnes ayant des difficultés socioéconomiques ont moins de temps à consacrer à la lutte, tandis que celles qui sont peu ou pas diplômées et/ou de nationalité étrangère manquent de ressources pour s’exprimer en public. Selon l’analyse comparée des questionnaires distribués en 2011 à Salamanque, Bilbao et Madrid, la forte hétérogénéité sociale et politique initiale des manifestant·e·s tend à s’amenuiser au fil des mois (Calvo 2013). En effet, le degré d’engagement préalable des Indigné·e·s et leur situation à gauche de l’échiquier politique sont plus importants à Madrid qu’à Bilbao, ce qui est en partie lié au moment d’administration de l’enquête – en mai à Salamanque et Bilbao, et en novembre dans la capitale – et nous informe donc sur le départ des personnes moins politisées après l’été 2011. Or, cette baisse de fréquentation des assemblées remet en cause certaines de leurs principes de fonctionnement institués en rempart à toute bureaucratisation du mouvement, c’est-à-dire à l’accaparement du pouvoir par celles et ceux qui ont le plus de temps et de ressources à y consacrer selon « la loi d’airain de l’oligarchie » (Michels 1912) ou un « effet bureau » (Bourdieu 1987). C’est surtout la règle de rotation des tâches – animer la réunion, prendre les tours de parole et rédiger le compterendu – qui est de moins en moins respectée, au fur et à mesure que s’installe le mouvement dans le temps (Nez 2012).

Débats autour du consensus

La prise de décision par consensus fait l’objet très régulièrement de débats dans les assemblées, en raison des difficultés rencontrées. C’est pourquoi j’ai posé la question, lors de la première série d’entretiens, pour voir comment chacun·e avait perçu cette pratique : « Que penses-tu du fait de prendre les décisions par consensus ? » Quelques réponses sont enthousiastes, comme celle de Pilar (29 ans, documentaliste), qui fréquentait déjà les squats autogérés avant le 15M et s’est découvert une sensibilité anarchiste avec les Indigné·e·s :

Super ! Je pense que les choses fonctionnent bien mieux comme ça. […] Ce n’est pas la même chose que quelqu’un te dise : « Tu dois prendre ce couteau », et que tu dises avec tous les autres : « Nous voulons le prendre ». C’est comme si tout à coup tu le sentais plus à toi […] parce que ça vient de toi, il y a quelque chose de toi dans cette décision qui est prise.

Amalia (36 ans, psychologue scolaire), qui vient d’une autre tradition politique à Izquierda unida (Gauche unie, une coalition de gauche créée en 1986 qui inclut le Parti communiste espagnol), souligne aussi les effets d’inclusion sociale et politique du consensus :

Ça m’a beaucoup plu comme idée démocratique de participation, dans le sens de respecter les minorités. Et il me semble que nous le faisions très bien au début. Parce que ça ne suffisait pas de bloquer quelque chose et c’est tout, mais il fallait trouver une formule dans laquelle tout le monde se sentait inclus.

Malgré ces vertus du recours au consensus pour prendre des décisions au sein du mouvement, la majorité des personnes rencontrées en 2013-2015 sont très critiques sur l’usage qui en était fait dans les assemblées du 15M. C’est le cas de celles et ceux qui n’étaient pas habitués à ce mode de prise de décision, à l’instar de Juan (27 ans, étudiant) qui me dit au bout de quelques minutes d’entretien : « Le gros gros gros problème était le consensus… si tu veux prendre une décision dans une entreprise, dans une copropriété, où que ce soit, où il y a plus de quatre personnes, tout ne peut pas être par consensus. » Lui qui participait tous les soirs aux AG de Sol au moment du campement, alors qu’il n’avait pas d’expérience militante préalable, estime que cette pratique a signifié « la plus grande usure » du 15M :

Tu passais une journée entière à arriver à un consensus, et le lendemain, un gars qui n’était pas venu à la réunion précédente disait : « Je ne suis pas d’accord ». Comme tu n’avais pas le pouvoir de l’arrêter, les gens étaient frustrés.

Soulignant les enjeux du contrôle de régimes de temporalités antagoniques, Juan remet ainsi en cause le principe d’égalité des prises de parole, en dépit d’engagements différenciés dans le mouvement :

Tout le monde n’a pas le droit d’être toujours entendu parce que parfois il faut passer par un processus d’apprentissage, on ne peut pas dire que la voix de tout le monde vaut la même chose… parce que le gars qui vient de se réveiller de sa sieste a peut-être besoin d’attendre un peu… avant de parler.

On voit bien ici les objectifs collectifs qui entourent les processus individuels d’acquisition de savoir-faire nécessaires au fonctionnement des assemblées. De son point de vue, le consensus constitue un frein à l’action quand les décisions sont compliquées et qu’elles génèrent de l’opposition : « Il faut prendre une décision sur laquelle tout le monde est plus ou moins d’accord… au final ce sont des choses super vagues… Au final, on parlait de définitions, de choses comme ça, au lieu de faire des choses. » Juan, qui est désengagé lors de notre entretien en 2013, conclut : « Maintenant, je sais ce que je ne suis pas prêt à faire. […] Je ne suis pas prêt à faire partie d’un mouvement qui fonctionne par consensus. »

Les militant·e·s qui pratiquaient ce mode de prise de décision avant le 15M continuent à le défendre, tout en critiquant l’usage qui en est fait par les Indigné·e·s. Javi, un avocat de 27 ans qui milite dans un collectif de désobéissance civile, regrette ainsi l’attitude des personnes qui participent à ces assemblées sans en avoir l’habitude :

Ça ne me viendrait pas à l’idée d’arriver dans un nouveau collectif, dans une nouvelle assemblée, et de donner mon avis le premier jour… c’est fou ! […] Si j’entre dans une nouvelle assemblée, je reste d’abord très silencieux, je vais connaître l’assemblée, l’assemblée va me connaître, et ensuite je vais me lancer, en regardant comment va l’histoire, en voyant comment je peux parler. À la commission [juridique], nous travaillions depuis une semaine et arrivait un type que personne ne connaissait, il venait, il demandait la parole et il te disait que rien n’allait, et on lui donnait le même poids qu’aux gens qui travaillaient depuis deux semaines. C’est grave, ce n’est pas être horizontal ça. […] Il y a un train en marche, et ce que tu prétends c’est qu’il doit s’arrêter pour quiconque qui veut monter.

Pour Javi comme pour Juan, la prise en compte des avis de chacun·e devrait dépendre de son investissement dans le collectif, notamment dans la durée. Cette critique est surtout portée par les activistes autonomes qui associent ce dysfonctionnement à une absence de « culture de l’assemblée » chez les primo-manifestant·e·s et soulèvent ainsi la question centrale de l’apprentissage mais aussi de la légitimité dans les mouvements politiques : qui a le droit de parler et pour qui ?

Contournements et adaptations du consensus

Diverses stratégies ont été mises en place pour faire face à ces blocages. Des Indigné·e·s ont cherché à privilégier les activités concrètes plutôt que la délibération dans les groupes de travail, comme dans le mouvement Occupy en Slovénie où l’autonomie des groupes de travail vis-à-vis de l’AG permet de valoriser les positions minoritaires (Razsa et Kurnik 2012). Par exemple, la commission d’action à Parla mène des actions concrètes à l’échelle locale pour dénoncer le pouvoir des banquiers (avec des happenings dans les agences bancaires) et créer des alternatives au système économique capitaliste (un marché de troc, une banque de temps).

D’autres participant·e·s ont contourné la dynamique délibérative des assemblées en lançant des actions directement sur les réseaux sociaux. Francisco Jurado, un doctorant en science politique qui a participé au campement de Séville, oppose ainsi la pratique du consensus dans les assemblées – où « on ne peut rien faire tant que tout le monde n’est pas d’accord » – à une conception plus « pro-active » en ligne (sans évoquer ce que cela peut induire en termes d’exclusion numérique, certaines personnes notamment âgées pouvant être moins à l’aise avec l’usage des outils informatiques et des réseaux sociaux) :

Si tu veux lancer une initiative, tu n’as pas à demander la permission, les gens décident de collaborer ou non. Le consensus est démontré par la collaboration. […] Sur Internet, notre façon d’agir était très facile. […] On crée un site web, un profil Twitter, une page Facebook, on propose une journée de lancement et on réalise l’initiative.

Si certain·e·s activistes critiquent la manière dont la prise de décision par consensus est mise en œuvre dans les assemblées du 15M, en recherchant l’unanimité parmi les personnes présentes, d’autres en remettent en cause le principe même. C’est le cas de militant·e·s provenant d’une autre culture politique que celle des mouvements autonomes. La critique est très forte chez Rita Maestre et Sarah Bienzobas, deux activistes du mouvement étudiant de 23 et 26 ans qui s’investissent à Juventud sin futuro (Jeunesse sans futur, l’une des organisations qui a appelé à manifester le 15 mai 2011) et dans la première campagne électorale de Podemos quand je les rencontre au printemps 2014. Sarah Bienzobas se souvient être allée à la Puerta del Sol mais n’avoir participé à aucune assemblée par manque de temps, car elle partageait alors son emploi du temps entre travail et études. Cela lui fait dire que ces assemblées sont « peu démocratiques » car « il fallait avoir tout le temps du monde » : « Il y a des gens qui ne sont pas prêts à passer cinq heures en réunion pour parvenir à un consensus. […] Au final, celui qui tient le plus longtemps et qui est le plus têtu l’emporte. » On voit bien ici comment la question de la temporalité est éprouvée dans les assemblées du 15M, la pratique de la décision par consensus étant un travail d’endurance qui exige des ressources inégalement distribuées parmi les participant·e·s. Rita Maestre considère ainsi que le 15M a promu un « fétichisme » de l’assemblée qui « cache une partie de la réalité » : « Tout le monde ne parle pas de la même façon, une assemblée peut être beaucoup manipulée et c’est très facile à faire. Ce n’est pas un espace horizontal. Formellement, toutes les opinions se valent. C’est […] un mensonge. » Cette critique peut être qualifiée de féministe, car elle met en avant des dispositions inégales à participer aux assemblées en fonction du genre et de la classe sociale. En interrogeant qui a réellement droit à la parole dans l’espace public, elle souligne une contradiction entre un droit égal à la participation et une inégalité de fait dans l’influence sur la décision, qui est également mise en avant dans la théorie politique (Urfalino 2007, 66).

Rita Maestre ne pense pas pour autant que les décisions devraient se prendre systématiquement par vote, mais qu’une certaine flexibilité permettrait d’essayer de tendre vers le consensus et de voter lorsqu’il y a des blocages. Quelques assemblées de quartier du 15M à Madrid ont d’ailleurs opté pour le principe d’une majorité qualifiée – avec un vote aux quatre cinquièmes des voix – lorsque le consensus n’est pas possible. Cette règle de la majorité qualifiée avec un seuil très élevé, également mise en œuvre à Nuit debout, évite le blocage par une ou deux personnes et peut être utilisée dans l’esprit de la décision par consensus, c’està-dire conformément à la logique du consentement qui vise à ne pas mettre en opposition deux tendances au sein du groupe (« oui » et « non ») contrairement à la logique de l’approbation (Urfalino 2021). Cette flexibilité dans les modes de prise de décision est aussi défendue par des personnes qui s’identifient à l’anarchisme depuis qu’elles participent aux assemblées du 15M. Fernando (51 ans, professeur de collège) estime ainsi que le consensus est « intéressant jusqu’à un certain point » :

Quand le consensus n’est pas atteint après un débat difficile, il faut voir, peut-être faut-il voter. Dans peu d’assemblées, il a fallu arriver à un vote, mais ce n’est pas une aberration, il ne faut pas être intégriste. Si tu veux de l’efficacité, tu dois t’organiser en fonction de tes objectifs.

Même celles et ceux qui se sont impliqués jusqu’au bout dans l’assemblée de Parla, comme María (37 ans, avocate), considèrent le consensus comme une « utopie » : « C’est très beau, mais ce n’est pas toujours possible. Ça génère beaucoup d’usure qui n’en vaut pas toujours la peine ». Ces inégalités au cours de la délibération sont mises en avant dans la littérature sur les pratiques de démocratie interne dans les mouvements sociaux : « La démocratie participative […] prend généralement plus de temps que la prise de décision contradictoire. Elle exige plus de patience, d’énergie et de temps de la part des participants. Les gens qui n’ont pas beaucoup de temps libre sont désavantagés » (Polletta 2002, 12). La pratique du consensus renforce ainsi les inégalités sociales et de genre, les personnes ayant des conditions de vie difficiles (précarité, activités de subsistance, travail pénible, double emploi, etc.) et/ou une charge de care (par exemple, s’occuper de personnes dépendantes comme des enfants en bas âge) ayant moins de temps que les autres. Mais elle génère aussi, selon Francesca Poletta, des « effets bénéfiques sur le développement » des participant·e·s :

Pour ceux qui ont été systématiquement exclus de la participation politique, la prise de décision participative fournit des compétences pour négocier des programmes et interagir avec les autorités politiques. Elle forme les gens à présenter des arguments et à peser les coûts et les avantages de différentes opinions. La rotation du leadership, l’établissement d’une norme de participation et la recherche d’un consensus entraînent les gens à faire de la politique contestataire (Poletta 2002, 10).

Comme le montrent Maple Razsa et Andrej Kurnik (2012, 252) en analysant les pratiques de démocratie interne à Occupy Slovénie, ce qui compte est le « process of becoming », c’est-à-dire la manière dont les personnes se trouvent transformées par l’expérience.

Ce que produit l’assembléisme

Des processus d’apprentissage inégaux

Lorsque je les interroge sur ce qu’ils et elles ont appris du 15M, les participant·e·s abordent systématiquement l’expérience de l’assemblée. Le fait d’apprendre à (ne plus avoir peur de) parler en public revient à de nombreuses reprises, surtout chez les femmes, d’autant plus quand elles sont peu diplômées et même si elles ont un parcours militant. Pour Marta (28 ans, aide-soignante), une « activiste de toujours » ayant milité aux Jeunesses communistes à partir de 18 ans, c’est le principal apprentissage du 15M qui s’éprouve même affectivement : « Avant, j’avais tellement honte de parler en public, […] ça m’a fait beaucoup de bien. Être capable de parler en public et d’exprimer ce que je pense. » Des personnes plus diplômées mettent aussi en avant cet apprentissage, comme Evelyn (41 ans, comptable au chômage) qui a suivi des études universitaires et qui n’osait pas prendre la parole lors des AG de Sol :

J’ai beaucoup de mal à parler dans une assemblée, et s’il y a beaucoup de monde, des mégaphones et tout ça. […] C’est simplement le fait de parler en public. Ça m’est arrivé à l’université [d’avoir peur], ça m’est arrivé dans beaucoup d’endroits. Mais ça aussi, ça se perd.

Lors des assemblées du 15M, il n’était pas rare que les participant·e·s expriment leur anxiété, à l’instar de ce quarantenaire qui dit avec une voix hésitante, à la première assemblée de Carabanchel le 28 mai 2011 : « Excusez-moi, je n’ai pas l’habitude de parler en public, ça me rend nerveux.» D’autres Indigné·e·s valorisent le fait de pouvoir s’exprimer librement, comme Fernando (51 ans) qui a plus de facilités pour parler en public en tant que professeur de collège : « Ce qui nous attirait beaucoup, c’est qu’on puisse parler, c’est-à-dire s’exprimer en public, vaincre sa timidité ou participer à une controverse. » Pilar (29 ans, documentaliste) a apprécié le fait que sa parole soit respectée au même titre que les autres :

J’ai beaucoup de mal à parler en public, mais quand je voyais quelque chose d’important à dire, oui [je prenais la parole], et il n’y avait aucun problème. En fait, tout le monde t’écoutait et tu ne te sentais pas… Peut-être au début ça te faisait un peu peur, mais ensuite quand tu voyais que tout le monde parlait et que chacun donnait son avis, tu te disais : « Eh bien, moi aussi j’ai envie de donner le mien ».

Comme l’ont montré de nombreux travaux sur les processus délibératifs dans le cadre d’institutions participatives ou de mouvements sociaux, les prises de parole dans les discussions publiques restent toutefois inégales. Plusieurs personnes reconnaissent ainsi ne pas avoir parlé ou très peu, surtout dans les grandes assemblées, ce qui rejoint mes observations dans les AG à la Puerta del Sol et dans les quartiers.

Au-delà de la prise de parole en public, qui constitue donc un apprentissage commun aux Indigné·e·s mais inégal, la modération des assemblées concerne un nombre plus réduit de participant·e·s. Dans les entretiens réalisés plusieurs années après le 15M, tout le monde se déclare très attaché au principe de la rotation des tâches et plusieurs personnes se souviennent avoir appris des différents rôles au sein de l’assemblée. Par exemple, Manolo (32 ans, manutentionnaire au chômage) modérait souvent les AG à Parla. En 2015, ce primo-manifestant considère que cette expérience a été fondatrice pour son engagement à Podemos :

[Le 15M m’a aidé] à parler en public surtout, dans les assemblées, à en faire le compte-rendu, à prendre les tours de parole aussi. Maintenant, quand on vend les t-shirts, les badges et tout, tu n’as pas honte de dire aux gens de venir, de les inciter.

Parmi les personnes que j’ai rencontrées, plusieurs ont modéré des AG à la Puerta del Sol. C’est le cas d’Eduardo (aide-soignant au chômage, 30 ans), qui s’était déjà impliqué dans des collectifs s’organisant en assemblées, mais qui n’avait jamais joué le rôle de modérateur. Il a lu quelques livres sur la gestion des groupes et des conflits, mais a surtout appris sur le tas en intégrant la commission de dynamisation de mai 2011 à août 2012 :

Il y avait des outils qu’ils utilisaient pour améliorer et mettre en pratique, donc tout ce processus de comment faire pour améliorer une assemblée, je l’ai avalé tout entier. On étudiait tout… si nous faisons une pause, est-ce que ça peut avoir une influence, les nuances, les outils, tout cet apprentissage.

Dans les assemblées de quartier, la modération s’est élargie à des personnes qui n’avaient pas d’expérience militante ni de formation spécifique. Toutefois, à mesure que les assemblées se sont dépeuplées, le roulement pour cette tâche est devenu difficile à tenir. Le discours de plusieurs Indigné·e·s à ce propos est paradoxal, car il pointe à la fois la nécessité d’une rotation des tâches et un sentiment d’incompétence pour en assumer certaines, surtout celle de la modération. Par exemple, quand je demande en 2014 à Pilar (29 ans, documentaliste) si elle a pris en charge des fonctions dans l’assemblée, elle me répond d’abord sur un ton enjoué : « J’ai fait le compte-rendu une fois ou deux, parce que c’est aussi important de changer, que ce ne soit pas toujours la même personne qui le fasse.» Puis elle change de ton et reconnaît, moins enthousiaste : « Par contre, prendre le mégaphone pour modérer, très peu pour moi. Je ne me voyais pas faire ça. […] C’était très intimidant. » Si quasiment toutes les personnes rencontrées mettent en avant l’apprentissage de la prise de parole en public, celui de la modération des assemblées reste donc restreint à celles qui se sentaient légitimes pour le faire.

Un autre apprentissage mis en avant par les Indigné·e·s, en lien avec la pratique de l’assemblée, est la capacité d’écoute et de travail collectif. On le retrouve chez les novices du militantisme comme Marcos (22 ans, étudiant), qui répond à la question « qu’est-ce que tu as appris avec le 15M ? » :

Ce que je n’ai pas appris, tu devrais dire ! [rires] D’abord la patience [rires], je pense que c’est la chose la plus importante que j’ai retirée du 15M. En étant dans des assemblées de cinq heures, il faut apprendre à écouter les gens. […] Aussi à collaborer avec les gens, à être beaucoup plus ouvert. À savoir travailler avec d’autres personnes qui pensent différemment.

On retrouve dans cette citation la tension entre l’ouverture à d’autres qui pensent différemment et la construction d’une culture commune de l’assemblée. Cet apprentissage est aussi mis en avant par les activistes, quels que soient leur génération et les mouvements dans lesquels ils et elles s’impliquent. Alberto (57 ans, sérigraphe au chômage), habitué à la dynamique des assemblées dans les squats autogérés, répond d’abord à la question sur les apprentissages « Rien, le 15M ne m’a rien appris », avant de se raviser : « Si, à respecter la parole. […] Je me suis calmé, avant j’étais plus véhément. » Pour Pepe (36 ans, éducateur), investi depuis très jeune dans des associations de loisirs, l’apprentissage ne se situe pas non plus au niveau du débat auquel il était habitué, mais davantage dans l’écoute et la prise en compte d’autres opinions pour modifier les siennes :

Le 15M est utile pour dire « tu as une idée qui te semble bonne, mais tu es ouvert à ce qu’elle puisse être meilleure en la modifiant ». Et ça me permet de penser et de me rappeler que mon idée n’est pas toujours la meilleure et qu’il y a d’autres options pour l’améliorer.

Pour Estrella (32 ans, animatrice au chômage), qui s’est spécialisée dans la modération des assemblées, ce « processus d’écoute » reste toutefois la principale difficulté rencontrée :

Tout réside dans le fait que nous ne nous écoutons pas, donc je viens avec mon idée et je reste avec mon idée, mais je ne m’assieds pas dans une assemblée pour mettre mon idée devant la tienne, ça n’est pas constructif. Nous avons du mal.

On repère en effet des limites à la tolérance et à l’écoute lorsqu’il s’agit de trouver des accords sur des sujets conflictuels au sein d’un mouvement hétérogène, ce qui a été particulièrement le cas dans le 15M avec le rapport à la politique institutionnelle et à l’État. Le fait de trouver des relais au sein des institutions, de soutenir des partis politiques existants ou d’en créer de nouveaux a cristallisé de nombreuses discussions au sein des assemblées – de telle sorte que l’émergence de Podemos trois ans plus tard constitue l’une des principales lignes de clivage parmi les personnes rencontrées.

Désengagements et évolutions des engagements

Se situant au cœur des expériences et des apprentissages du 15M, la pratique de l’assemblée a également constitué un facteur de désengagement, en raison de la lenteur et des dysfonctionnements de la prise de décision par consensus. L’intérêt pratique du consensus mis en avant par Polletta (2002) n’est donc pas systématique dans les assemblées des Indigné·e·s, car ce mode de décision a pu parfois renforcer les divergences internes et démobiliser les participant·e·s. En 2019, Pepe (36 ans, éducateur), qui avait déjà une expérience importante dans le milieu associatif, revient sur les « blocages des minorités » qui l’ont incité à se mobiliser davantage à Izquierda unida après avoir participé activement à l’assemblée du 15M à Parla :

Quand une personne était contre une idée alors que nous étions 200 pour, elle était paralysée. Je voyais que nous nous mettions dans un tourbillon de projets, de propositions, d’idées paralysants, car deux personnes étaient contre, alors que 90 étaient pour. […] Et une, deux, trois semaines passaient et on ne pouvait pas la mettre en pratique parce qu’il y avait quelqu’un qui n’en avait pas envie.

Pepe reconnaît que la mise en place de groupes de travail et de commissions, comme celle d’action auquel il a participé pendant plus d’un an, a permis de réaliser davantage de projets et de dépasser certains blocages de l’AG à Parla. Mais ceux-ci l’ont amené à se désinvestir peu à peu de l’assemblée du 15M pour s’engager davantage dans la section locale d’Izquierda unida qu’il a rejointe en parallèle : « Cela finit par mettre un frein à l’implication. Et chercher un autre espace où je me sentais plus entendu. Je n’ai abandonné le 15M à aucun moment, mais j’ai commencé à m’impliquer davantage ailleurs. »

Plusieurs Indigné·e·s à Parla expliquent leurs engagements dans d’autres espaces en partant des mêmes constats, même si leur départ a été plus tardif. Alberto (41 ans, employé de bibliothèque), qui s’est impliqué jusqu’au bout dans l’assemblée locale, décide de s’engager dans le cercle de Podemos puis sur la liste pour les élections municipales en faisant un bilan mitigé des assemblées : « Nous débattions et nous parlions, et c’était trop d’assemblées, trop pour décider d’une chose, on perdait beaucoup de temps et on n’arrivait à rien. » Leti (étudiante, 22 ans), devenue secrétaire générale de Podemos Parla après s’être investie dans l’assemblée locale du 15M, pointe aussi les limites de cette démocratie d’assemblées et la volonté de les dépasser en s’engageant dans un parti politique : « Tu avais l’impression d’avoir passé trois heures dans une assemblée mais au final quoi ? Je pense que ça ne pouvait plus se reproduire. Et que si un accord était conclu, il l’était. » La principale différence de fonctionnement entre les cercles de Podemos et les assemblées du 15M réside ainsi dans le mode de prise de décision, avec l’adoption d’une règle de majorité simple pour trancher la plupart des décisions par un vote à main levée. On voit bien ici combien il est difficile de se départir d’une culture et de pratiques politiques spécifiques pour en apprendre de nouvelles, avec des rapports au temps différents. Les Indigné·e·s ont toutefois inspiré les modes d’organisation et de délibération d’autres collectifs, comme les « marées » dans les secteurs de l’éducation et de la santé, qui s’inspirent en partie de leurs pratiques d’assemblée.

Conclusion

Le 15M a diffusé une nouvelle conception de ce qu’est la démocratie en publicisant et en amplifiant la pratique des assemblées en Espagne, qui était jusque-là réservée à des cercles militants relativement restreints, en particulier dans la mouvance autonome. Ce mode de fonctionnement est à la fois plébiscité par les Indigné·e·s, qui en font la pierre angulaire de leur organisation, et régulièrement interrogé au cours de réunions consacrées aux pratiques de démocratie interne. La prise de décision par consensus est au centre des polémiques, en raison des asymétries qu’elle génère (en termes de classe sociale et de genre notamment) et des difficultés à la mettre en place dans un mouvement aussi massif qu’hétérogène. Le déplacement des assemblées des squats autogérés vers les places publiques rend peu opérationnel ce mode de décision, du fait non seulement de l’élargissement et de la diversification des publics, mais aussi de l’usage spécifique du consensus dans les assemblées du 15M à Madrid. La recherche d’une unanimité des présent·e·s est vite apparue impossible à tenir, d’autant plus sur des sujets conflictuels, ce qui est critiqué – pour différentes raisons en fonction de leurs trajectoires d’engagement – par des activistes libertaires coutumiers de ce mode de prise de décision qui dénoncent l’usage qui en est fait dans les assemblées du 15M, par des militant·e·s venant d’autres traditions politiques parfois sceptiques sur le principe même du consensus et par des novices de l’action collective qui en saisissent l’intérêt mais aussi les limites.

Les assemblées ouvertes du 15M ont ainsi essayé de produire une culture politique particulière et une certaine forme d’autonomie marquée par une tension centrale entre, d’une part, le respect de la prise de parole de chacun et chacune et donc de l’autonomie individuelle et, d’autre part, la constitution d’un groupe social avec ses normes et sa culture de « l’assembléisme ». Les mécanismes d’apprentissage et d’acquisition de savoir-faire, hérités de différentes traditions politiques et professionnelles, sont centraux dans la constitution, la production et la reproduction des assemblées comme espaces sociaux autonomes, obéissant à des systèmes de valeurs et des pratiques propres. Mais le temps que requiert cet apprentissage, comme les prises de décisions elles-mêmes, engendre des tensions entre le partage de normes et l’ouverture aux autres. En effet, apprendre une même « culture de l’assemblée » produit un groupe social partageant des normes que les primo-manifestant·e·s n’ont pas et qui rendent difficile leur intégration. Pourtant, les membres des assemblées du 15M continuent de cultiver une ouverture, une liberté d’association et de parole, qui entrent en tension avec les normes qu’ils produisent et qui sont excluantes vis-à-vis de celles et ceux qui ne les connaissent pas et ne les mettent pas en pratique.

Il est intéressant de suivre à ce propos les parcours d’engagement des primo-manifestant·e·s : si certain·e·s ont découvert une affinité avec l’anarchisme en participant aux assemblées du 15M, d’autres ont cherché à s’investir dans des organisations adoptant des modes de fonctionnement différents, ou encore ont cessé tout engagement en dénonçant le manque de résultat du mouvement social. Derrière les évolutions de ces engagements et des pratiques de démocratie interne qui y sont associées, on repère des différences importantes sur la conception du politique et du rapport à l’État, entre une volonté de peser sur l’action institutionnelle ou de s’organiser dans des espaces autonomes de la sphère étatique.

Auteure

Héloïse Nez est professeure de sociologie à l’université Paris Cité, membre du Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) et associée au Laboratoire du changement social et politique (LCSP). Ses recherches portent sur les formes d’engagement et de participation, étudiées sous l’angle des pratiques démocratiques, en France et en Espagne. Elle est l’auteure des livres Démocratie réelle. L’héritage des Indignés espagnols (Éditions du Croquant, 2022) et Podemos. De l’indignation aux élections (Les petits matins, 2015). Elle a également codirigé, avec Marcos Ancelovici et Pascale Dufour, l’ouvrage Street Politics in the Age of Austerity. From the Indignados to Occupy (Amsterdam University Press, 2016).

heloise.nez@u-paris.fr

Professeure en sociologie à l’Université Paris Cité, LIED/LCSP

Héloïse Nez is a professor of sociology at the Université Paris Cité, a member of the Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED) and associated with the Laboratoire du changement social et politique (LCSP). Her research focuses on forms of engagement and participation, studied from the perspective of democratic practices in France and Spain. She is the author of the books Démocratie réelle. L’héritage des Indignés espagnols (Éditions du Croquant, 2022) and Podemos. De l’indignation aux élections (Les petits matins, 2015). She is also co-editor, with Marcos Ancelovici and Pascale Dufour, of Street Politics in the Age of Austerity. From the Indignados to Occupy (Amsterdam University Press, 2016).

heloise.nez@u-paris.fr

Professeure en sociologie à l’Université Paris Cité, LIED/LCSP

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  1. Ces observations ont donné lieu à plusieurs articles sur la dimension spatiale et émotionnelle de la délibération (Nez 2012, 2016, 2018), auxquels nous renvoyons pour avoir plus de détails sur le fonctionnement des assemblées et sur les discussions et activités en leur sein.

  2. L’anonymat a été préservé pour les personnes rencontrées au début de l’enquête, sauf quand elles occupent une fonction publique. Pour celles que j’ai suivies jusqu’en 2021, les prénoms ont été changés ou conservés selon leur préférence. Les âges et les professions indiqués sont ceux des participant·e·s au début du mouvement en 2011.

  3. Cette approche longitudinale, peu fréquente dans l’analyse des mouvements sociaux en général et du 15M en particulier, est développée dans l’ouvrage Démocratie réelle. L’héritage des Indignés espagnols (Nez 2022).

  4. J’utilise comme synonymes les termes de libertaire et d’anarchiste, comme les personnes rencontrées qui se réclament de cette tradition politique.

  5. Cet anarchisme autonome se différencie de l’anarchisme politique, qui s’incarne dans des organisations politiques dont la priorité est la défense et la promotion de l’anarchisme (comme la Fédération anarchiste ibérique). Il se distingue aussi de l’anarchisme social englobant des organisations militantes sur des causes variées (antiracisme, féminisme, etc.) qui fonctionnent selon les principes anarchistes, c’est-à-dire sans chef, en prenant les décisions par délibération et en favorisant l’action directe. Les autonomes, qui valorisent aussi les principes anarchistes sans être membres d’une organisation, circulent dans des réseaux fluides et dynamiques, se retrouvent dans des «espaces autonomes» comme les squats autogérés et dans des mobilisations sociales, à l’instar de l’altermondialisme qui se développe à la fin des années 1990. Cf. Dupuis Déri 2018.

  6. Ces règles varient d’une assemblée à l’autre : par exemple, deux personnes pour et deux contre, avec un temps de parole généralement fixé à trois minutes.