S’émanciper de l’autonomie : ethnographie des séances de délibération sur le statut d’Autonomie Indigène Originaire Paysanne de Tarabuco (Bolivie, 2010-2013)

Verónica Calvo Valenzuela  

Abstract

En 2010, suite à l’approbation du droit constitutionnel des peuples et nations indigènes de la Bolivie à une autonomie politique, le nouveau ministère des autonomies se presse de le faire appliquer dans différentes municipalités indigènes. L’une d’entre elles est Tarabuco, localité des andes méridionales, de 20 000 habitants, célèbre au niveau national et international pour sa culture matérielle et rituelle. L’ethnographie des séances de l’assemblée en charge de la rédaction du statut d’autonomie – une constitution locale devant être reconnue par l’Etat – donne à voir les différentes perspectives sur le processus en fonction de l’appartenance aux organisation politiques locales. Après des années de controverses, les organisations en place décidèrent d’abandonner le processus ne laissant pas de place à un débat de fond sur ce que « devenir autonome » signifiait localement. Le sabordement du processus s’érigea comme un geste souverain face à la tentative d’imposition d’un dispositif d’autonomie pré-fabriqué par le gouvernement.

In 2010, following the approval of the constitutional right of Bolivia’s indigenous peoples and nations to political autonomy, the new Ministry of Autonomies is rushing to enforce it in various pilot indigenous municipalities. One of the candidates is the municipality of Tarabuco, renowned nationally and internationally for its material and ritual culture. An ethnography of the sessions of the assembly in charge of drafting a statute of autonomy, a local constitution to be recognized by the state in order to have access to the regime, shows the different perspectives of the process according to membership of local political institutions and organizations. After years of dispute, the organizations in place decided to abandon the process, which was deemed too dirigiste, leaving no room for in-depth debate on what becoming autonomous meant locally. The scuttling of the process was seen as a sovereign gesture in the face of attempts to impose a prefabricated autonomy system.

Introduction

Evo Morales fut élu en 2005 et mandaté par les organisations sociales et indigènes1 de toute la Bolivie à convoquer une assemblée constituante chargée de rédiger un nouveau contrat social qui donnerait la possibilité aux peuples indigènes de s’autogouverner2. Mais les élites politiques et économiques du département de Santa Cruz, principal moteur économique du pays et situé dans les basses terres3, revendiquaient aussi leur droit à l’autogouvernement au nom de leurs différences ethniques et culturelles avec le reste du pays. Dans ce contexte, le gouvernement central décida de mettre en place un régime d’autonomies, inspiré du système espagnol de communautés autonomes4. Préconisant la décentralisation de bon nombre de prérogatives politiques, administratives et législatives, le nouveau régime devait répondre aux demandes politiques des secteurs indigènes et mettre un frein aux menaces de sécession que brandissaient les élites métisses de Santa Cruz. En effet, le régime d’autonomie se décline au niveau départemental mais aussi municipal, régional et dans les territoires indigènes. La forme d’autonomie proposée aux peuples et nations indigène est l’Autonomie « Indigène Originaire Paysanne » (AIOC), régulée par la loi Ibanez de juillet 2010. La catégorie « indigène originaire paysan » que forgèrent les député·e·s de l’assemblée constituante identifie le paysan à l’indigène (basses terres) et à l’originaire (hautes plaines). Cette catégorie juridique convoque de la sorte une indigénéité diffuse au moyen de laquelle les député·e·s réussirent à octroyer les droits de l’Autonomie à des organisations indigènes spécifiques et à des communautés paysannes organisées en syndicats et régies par le principe de propriété individuelle de la terre (Shavelzon 2010). La catégorie fait en outre référence à différents mouvements d’émancipation propres à l’histoire bolivienne : la révolution paysanne avec sa vaste réforme agraire dans les années 1950, les mouvements multiculturels d’indigènes et paysans dans les années 1990, et le processus de décolonisation entamé par le gouvernement d’Evo Morales en 2005. La formule qui avait généré un consensus au sein de l’assemblée constituante bolivienne entre les député·e·s de différentes organisations cherchait à donner accès à l’Autonomie au plus grand nombre d’intéressés.

Tarabuco, localité de 20 000 habitants, située dans la province de Yamparaez à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Sucre, fut une des municipalités pionnières dans la mise en œuvre de ce nouveau type de régime décentralisé. Quand je m’y suis rendue pour la première fois, en juillet 2011, cela faisait bientôt un an que les habitant·e·s de cette localité quechuaphone du sud des Andes avaient décidé par voie de référendum d’adopter l’AIOC. Des conflits entre les trois organisations politiques présentes sur le territoire – les assemblées de voisinage de la ville capitale, les communautés indigènes Yampara et les communautés paysannes syndicalisées – freinaient néanmoins le processus. Leurs dissensions contredisaient l’image d’un peuple homogène avec des identifications stables et unifiées, que la célébrité nationale et internationale de la culture matérielle locale patrimonialisée laissait apparaître. Un pré requis légal incontournable pour accéder aux droits de l’AIOC était la rédaction d’un statut d’autonomie, une loi actant un contrat social local, validé en dernière instance par le Tribunal Constitutionnel5. Ce statut d’autonomie devait recueillir les éléments d’une histoire et d’une culture communes à tous les habitants d’un même territoire existant avant l’époque coloniale6. En l’absence de la description d’une origine commune, l’AIOC ne pouvait être accordée. Une fois octroyée, l’AIOC garantissait un droit à l’autogouvernement en matière de finances, de santé, d’éducation ou encore sur le plan culturel. Elle permettait l’administration du territoire et de ses ressources de façon autonome, en collectant son propre impôt, et en décidant des normes du système politique en fonction des us et coutumes locales. L’AIOC fonctionnait comme un puissant dispositif de décentralisation à partir de l’identification d’une culture locale susceptible de créer ses propres ressources. Le degré d’autogouvernement octroyé à des instances locales n’impliquait pas pour autant une désagrégation de la souveraineté territoriale de l’État-Nation. Était-il possible de reconnaitre des formes d’autonomie locales, indigènes tout en garantissant la souveraineté de l’État ?

De longues séquences de description des dynamiques des séances de l’assemblée délibérative qui fut en charge de la rédaction du statut d’autonomie de Tarabuco, et que j’ai suivie pendant deux ans (2011-2013), nous permettront de voir comment l’AIOC se présente d’abord comme une technique néolibérale de gouvernement « conduisant les conduites indigènes » (Boccara 2011, 195). En effet, les fonctionnaires du ministère qui assistaient l’assemblée essayèrent d’éviter à tout prix les débats locaux autour du sens profond que recouvrait le droit à l’autonomie en contexte indigène. Cependant, les débats sur le règlement de discussion et des modalités de prise de décision en plénière expriment en creux et de façon pratique des formes d’autonomie autres que celle prévue par l’État, ainsi qu’une volonté de gripper le « gouvernement par les instruments » qui se logeait dans le dispositif d’autonomie (Lascoumes et Le Gallès 2005).

Controverses sur l’autodénomination

Les fonctionnaires du ministère des autonomies bolivien impulsèrent à partir de juin 2009 l’instauration d’une « assemblée autonomique7 des peuples originaires de Tarabuco » (Albó 2012). Celle-ci reçu le soutien du gouvernement municipal et de l’organisation syndicale locale8. Avant même que le référendum d’approbation ne soit convoqué, cette assemblée était chargée de préparer le processus de conversion en AIOC9. À l’époque, le ministère des autonomies bolivien se référait au processus de Tarabuco comme celui de l’instauration de l’« autonomie de la nation indigène Yampara ». En 2002, sept communautés affiliées au syndicat avaient décidé de se reconstituer en ayllus10, c’est-à-dire en communautés indigènes reconnues par la loi en vigueur à cette époque11. Face aux 66 communautés paysannes affiliées à la centrale syndicale locale (CS), se dressaient 7 ayllus se revendiquant de la nation Yampara12. La formule « autonomie de la nation indigène Yampara » apparaissait dans tous les documents officiels échangés entre le ministère, le gouvernement municipal et l’exécutif de la Centrale Syndicale (CS) ; cette manière de désigner le futur projet politique de la municipalité éveilla un mécontentement chez les membres de la CS, qui ne s’y sentaient pas reconnus.

Dès les premières réunions portant sur la conversion de la municipalité de Tarabuco en AIOC, les chefs des ayllus s’étaient montrés méfiant vis-à-vis de ce projet politique car l’initiative revenait à la CS et au gouvernement municipal. Si l’horizon des communautés indigènes était celui de se convertir au régime d’autonomie, le lancement du projet à Tarabuco, en 2009, était perçu comme prématuré. À cette époque, les communautés indigènes étaient en plein processus de transformation de leurs titres de propriété foncière. Elles avaient renoncé à leurs titres de propriété individuels en faveur d’un seul titre de propriété collective qui leur donnerait la possibilité de souscrire à un acte de reconstitution du territoire ancestral et d’instituer un Territoire Communautaire d’Origine13. À l’image de pratiques que l’on retrouve dans d’autres régions des Andes, les leaders des ayllus souhaitaient mettre en place un système rotatif d’administration et de gestion communautaire, dont les obligations seraient assurées à tour de rôle par des figures d’autorité désignées dans les communautés pour deux ans, responsables de l’exécution de travaux public et de l’administration de la justice locale en échange de l’accès à la terre. Dans la conception du territoire telle qu’elle était avancée par les leaders de la nation Yampara, le rapport productif à la terre devait être enchâssé dans une forme plus large d’organisation sociale rituelle et politique. Des pratiques de réciprocité existaient à Tarabuco et étaient en vigueur autant chez les syndicalistes que chez les membres des ayllus. L’ayni – c’est-à-dire, le système de services rendu à la communauté de façon rotative – était pratiqué par les syndicalistes. Cependant, il ne donnait pas accès à l’usufruit de la terre. Celui-ci était garanti par le titre individuel de propriété foncier.

Quand je demandais aux leaders des ayllus si le fait de renoncer aux titres de propriété individuels pouvait provoquer des conflits d’accès à la terre, ils me disaient que dans leurs communautés, tout le monde savait ce qui était à chacun·e, et qu’il n’y aurait donc pas de problème. Leur projet de territoire yampara s’érigeait – disaient-ils – contre la conception mercantiliste de la terre de la CS qui s’exprimait dans l’attachement de ces communautés aux titres de propriétés individuelles. Pour les membres des ayllus, la terre dont ils vivaient, devait être enchâssée dans un système politique de réciprocité entre les familles. C’était cette insertion de la terre dans un système politique de la réciprocité qu’ils appelaient un territoire et qui exprimait l’ethos Yampara.

En avril 2010, après avoir gagné les élections municipales comme candidat du MAS-IPSP, l’ancien secrétaire de la CS devint davantage directif dans la façon de mener le processus de conversion de la municipalité en AIOC. Si le régime d’autonomie devait être mis en place à Tarabuco, il ne devait pas l’être au détriment des paysan·ne·s syndiqué·e·s. Aux divergences entre les communautés indigènes yampara et les communautés de la CS, s’ajoutaient les positionnements des habitant.e.s de la capitale de la municipalité, la ville de Tarabuco. Organisé·e·s en assemblées de voisinage, les habitant·e·s de la ville, réclamaient, malgré leur faible nombre, une représentation plus importante dans l’assemblée délibérative (AD). Ils et elles exigeaient cette participation au nom de la création de richesse qu’ils apportaient à la municipalité, grâce aux services de restauration et d’hôtellerie offerts aux touristes visitant Tarabuco pour admirer la culture rituelle yampara, pendant la période de carnaval notamment.

Pendant presque deux ans, les antagonismes entre les trois organisations à propos de la distribution du nombre de sièges au sein de l’AD empêchèrent celle-ci de siéger. En juillet 2011, des fonctionnaires du ministère des Autonomies et le personnel de l’ONG bolivienne Fundación Tierra vinrent en aide aux membres de la direction de l’AD, constituée de représentant·e·s des trois organisations. Ils leur proposèrent de travailler à un règlement interne de l’assemblée, à partir d’un modèle proposé par le ministère des Autonomies14. À l’issue de cette séance de travail, les membres de la direction signèrent une convocation commune adressée aux députes de l’assemblée délibérative. Celle-ci siégea pour la première fois le 30 juillet 2011.

Aux environs de neuf heures, les quatre-vingt-quinze membres de l’assemblée commencèrent à s’installer dans la grande salle de la centrale syndicale. Aménagée à la façon d’un amphithéâtre, plusieurs rangées de bancs remplissaient la salle de réunions de la centrale syndicale en direction d’une petite tribune qui avait été installée pour accueillir les membres de la direction de l’assemblée. Cette direction était composée d’un président, qui était également le secrétaire exécutif de la CS, d’un premier vice-président, le grand Kuraka (chef de la nation Yampara) qui agissait au nom des sept communautés originaires de la nation indigène, et d’un deuxième vice-président, porte-parole des assemblées de voisinage de la ville. Sur le bureau de la tribune, on pouvait apercevoir des autocollants avec le portrait d’Evo Morales et le logo du MAS-IPSP. Ces petits auto-adhésifs, les seuls emblèmes dans un décor, par ailleurs, neutre, venaient rappeler la filiation de la CS de Tarabuco, à la CSTUCB (principale plateforme de soutien au MAS-IPSP).

Un représentant du ministère des autonomies et un avocat de la Fundación Tierra, étaient présents à cette première séance en qualité d’« assistants » de l’AD qui, ce jour-là, devait approuver son règlement interne de fonctionnement sur lequel les membres de la direction avaient travaillé avec le ministère et cette fondation. Cependant, avant même que l’assemblée ne commence à réviser le document, le nom de cette dernière, qui apparaissait dans le titre du document, « Assemblée Indigène Originaire », suscita l’intervention de plusieurs membres de l’AD ; le président tenta d’expliquer les raisons pour lesquelles les membres de la direction avaient décidé de proposer ce nom :

Ce n’est qu’un brouillon. La direction a décidé de garder « indigène » et « originaire » et d’appeler l’assemblée « indigène originaire de Tarabuco », en enlevant « paysan » parce qu’on ne s’identifie pas avec « paysans », ça c’est un nom que nous ont donné les Espagnols. Dans la Constitution l’autonomie est une autonomie indigène originaire paysanne, est ce que notre autonomie est constitutionnelle ou pas. Ceux qui ne sont pas d’accord avec la proposition, qu’ils s’expriment.

Lors de réunions antérieures entre les membres de la direction et les représentants du ministère des autonomies, il avait été décidé que l’adjectif « paysan » – que l’on trouve dans l’appellation du régime « Autonomie Indigène Originaire Paysanne » – soit écarté du règlement interne. Le mot « paysan » était systématiquement supprimé de tous les points et articles du document. Quand j’interrogeai le secrétaire exécutif de la centrale syndicale à propos de cette suppression, il m’indiqua les raisons suivantes :

Les Espagnols nous ont mis ce nom de paysan. C’est de là que ça vient, depuis la réforme agraire, depuis 1952, on est apparu comme paysans. Mais avant, il n’y avait pas de paysans. Je crois que nous sommes originaires, parce que nous vivons ici, parce que nous sommes nés ici, nous ne venons pas d’un autre endroit du pays.

Les membres de la direction décidèrent en réunion avec des fonctionnaires du ministère de supprimer le terme, étant tombés d’accord sur le fait qu’il désignait seulement la condition de travailleur de la terre et habitant en milieu rural. En revanche, le terme « originaire » englobait à leurs yeux la dimension paysanne, tout en indiquant une culture et des us et coutumes propres. L’utilisation de ce terme permettait aussi d’inclure les habitant·e·s de la ville de Tarabuco. En effet, ces dernier·ère·s considéraient que leurs modes de vie s’éloignaient considérablement (voire radicalement) de ceux de la paysannerie.

Après avoir expliqué aux membres de l’assemblée les raisons du choix de la direction, le président de l’Assemblée suggéra cependant que la décision du nom de l’autonomie pourrait faire l’objet de futures discussions au sein de l’AD une fois que le règlement interne aurait été approuvé. Néanmoins, les député·e·s ne firent pas cas de ces recommandations. Des interventions à propos du terme « paysan» commencèrent à s’entremêler avec d’autres qui abordaient la modalité d’approbation du règlement, « dans le détail» ou « dans les grandes lignes » (en grande). Or, si le nom de l’assemblée devait être discuté et approuvé, il était nécessaire qu’au préalable, les membres de l’assemblée se mettent d’accord sur les modalités d’approbation. Certain·e·s membres s’inquiétaient du peu de temps (une journée) dont ils disposaient pour aborder le document. D’autres exigeaient que la question du nom de l’assemblée soit traitée immédiatement. Ils et elles devaient trouver une technique pour exprimer leur accord ou désaccord vis-à-vis des modalités d’approbation du règlement (dans les grandes lignes ou en détail). Or, cette technique figurait dans le document qu’ils devaient discuter. « Monsieur le président, pouvez-vous nous dire quel genre de majorité on doit avoir, absolue ou aux deux tiers, pour approuver les articles ? », demanda un membre de la centrale syndicale au président de l’assemblée délibérative. Ce dernier eut recours à l’avocat de la Fundación Tierra pour qu’il indique quelle modalité ils devaient adopter. « Concernant le thème de l’approbation, il faut qu’il y ait consensus pour chaque article, monsieur le président », répondit l’avocat, en s’adressant en même temps à l’ensemble de l’assemblée. Le président voulut toutefois adresser la question à la salle : « Mais vous, comment voulez-vous que l’on procède pour approuver le règlement, par consensus ? À la majorité ou aux deux tiers ? »

Les membres de l’assemblée répondirent en criant : « Consensus ! Consensus ! »15 Certain·e·s proposèrent cependant le mécanisme des deux-tiers des voix dans le cas où il n’y aurait pas consensus. D’autres défendaient à outrance l’approbation par consensus ; certain·e·s se demandaient comment allaient-ils et elles voter, à main levée ou en acclamant le choix à voix haute. Au demeurant, plusieur·e·s membres de l’assemblée continuaient à exprimer leurs accords et désaccords avec le nom de l’assemblée choisi par la direction.

Un dirigeant de la CS intervint pour rappeler que la question du référendum portait sur le fait que Tarabuco devienne ou non une « Autonomie Indigène Originaire Paysanne ». Il insistait :

Camarades, la question du référendum était : « Êtes-vous d’accord avec le fait que votre municipalité adopte la condition d’Autonomie Indigène Originaire Paysanne, et avec ses effets, comme il a été établi dans la Constitution politique de l’État ? ». C’est très clair, nous avons décidé d’intégrer l’autonomie indigène originaire paysanne, et non pas une autonomie indigène ou originaire ou paysanne. L’article 43 le dit clairement « Indigène Originaire Paysan » est un concept indivisible qui identifie les peuples et les nations de la Bolivie dont l’existence est antérieure à la Colonie, et dont la population partage territorialité, culture, histoire, langue, organisation et institutions politiques et sociales.

Le fonctionnaire du ministère prit la parole, tentant d’anticiper l’enlisement d’un débat autour du nom de l’assemblée. Il tenta d’expliquer l’origine des trois adjectifs qui qualifiaient le régime d’autonomie indigène originaire paysanne :

Nous ne sommes pas ici pour débattre des termes, mais pour nous mettre d’accord sur les modalités d’élaboration du statut d’autonomie et son approbation. Levez vos mains si vous êtes d’accord avec le fait d’approuver par consensus ou aux deux tiers, à défaut de consensus. Ensuite, par rapport à « indigène originaire paysan », ça c’est ce qui est inscrit dans la Constitution. Pourquoi est-ce que c’est inscrit comme ça ? Chacun a proposé des termes en fonction de la façon dont il s’identifiait. Par exemple, « indigène », qui a proposé ça ? Ce n’était pas nous, n’est-ce pas ? Ce sont les peuples indigènes de l’orient, car eux, ils se caractérisent par ethnies, la CIDOB, en particulier. Pourquoi est-ce qu’ici, dans les hauts plateaux, nous avons proposé « originaire » ? Pourquoi sommes-nous originaires ? Parce que nous sommes propriétaires de la terre, de ce territoire. Et pourquoi alors le terme paysan ? Parce qu’on travaille aussi dans la campagne, c’est pour cette raison. Qu’il y ait les trois [termes] ou non dans le nom de l’assemblée ou du statut, cela revient au même : vous serez quand même une autonomie indigène, et vous ne serez pas plus ou moins autonomes en fonction des noms.

Il précisa ensuite que la dénomination de leur autonomie devait être en accord avec leur identité, mais qu’il s’agissait là d’une question qu’il ne convenait pas de traiter pour l’instant, car l’ordre du jour concernait exclusivement la révision du règlement interne, et non pas la question de l’identification. Or, le dispositif de délibération en assemblée, en charge de la rédaction du document donnant le droit à l’AIOC (le statut d’autonomie), visait l’élaboration commune d’une définition du collectif.

Malgré les recommandations du fonctionnaire, le représentant des ayllus dans la direction prit la parole pour exprimer comment il entendait ces trois termes, et en quoi ils n’étaient pas tous pertinents pour désigner le régime d’autonomie de Tarabuco. Pour lui, « paysan » désignait un « travail», et non pas un sentiment d’identification ou une identité : « ce n’est pas comme les termes ‹ indigène › et ‹ originaire ›. Paysan, c’est une organisation, mais ce n’est pas une identification identitaire ».

Cette intervention éveilla la rage du dirigeant de la CS, qui avait rappelé l’article 43 de la Constitution : « Du respect pour l’organisation. Nous sommes affiliés à la CSUTCB, la Confédération Syndicale Unique des travailleurs paysans [emphase sur le ton, presque en hurlant] de la Bolivie, soyons respectueux, enfin ! ». Ses paroles résonnèrent pendant quelques instants dans la grande salle de la centrale. Le président tenta de reprendre en main la dynamique de la séance, proposant d’aborder cette question ultérieurement dans les commissions de travail. Ce fut en vain. Les interventions s’enchainaient à ce propos sans qu’il y puisse faire grande chose. La posture du dirigeant de la CS fut soutenue par deux autres intervenants, qui, comme lui, s’opposaient à la tentative de dépassement de l’organisation sociale, en faisant référence à la CSUTCB. Un député syndiqué plaida en faveur du respect de la Constitution et donc du maintien de l’appellation d’origine. Un membre d’une assemblée de voisinage pris la parole pour signaler à l’assemblée que s’ils voulaient entamer un processus de décolonisation, la question des termes et appellations devait être abordée. Une membre du syndicat intervint ensuite pour manifester son accord sur l’importance du travail de décolonisation, en nuançant le fait qu’il s’agissait, selon elle, de quelque chose de plus profond qu’une « simple affaire de noms ». Pour elle, réduire la question de la décolonisation au choix des appellatifs était un non-sens : « Ce qui importe – argua-t-elle – c’est la façon dont chacun se sent ». Un représentant des ayllus prit la parole pour répondre à la camarade syndicaliste, au moyen d’une série de questions rhétoriques: « De quel parti était González Sanchez de Lozada ? Du MNR n’est-ce pas ? Et qui c’est qu’on a viré du pays ? lui, n’est-ce pas ? Alors, comment peut-on continuer à considérer des termes [paysan] qui ont été utilisés par son parti ? »16. Puis, il ajouta : « Nous devons décider qui nous sommes, par nous-mêmes ».

Nous le voyons, en soubassement du débat sur la dénomination de l’assemblée délibérative se jouait une discussion sur la définition du sujet de droit à l’AIOC à Tarabuco. La légitimité de celui-ci se définit par rapport à différents référents historiques et mouvements d’émancipation : l’État plurinational et son projet de décolonisation, la révolution paysanne de 1952 et la réforme agraire menée pour redistribuer la terre des grands propriétaires terriens. Le dirigeant syndical qui se référait au texte constitutionnel, usait de la Constitution – rédigée par le peuple bolivien17 – comme un principe supérieur commun à tous les participants (Boltanski et Thevenot 1991), lui permettant de légitimer par l’appel à des critères de légalité ses propres paramètres de définition du groupe. Les dirigeants du syndicat paysan CS et les représentants des ayllus voient en effet dans le choix de l’autodénomination un enjeu majeur ; l’énergie investie dans leurs plaidoyers respectifs, en faveur ou contre l’usage de certains termes, en témoigne. La discussion sur les usages et la signification des termes « paysan», « originaire » et « indigène » donne à voir les différentes opérations d’identification chez les membres des organisations. La difficulté à se mettre d’accord sur une définition du « peuple Tarabuco » empêchait tout consensus sur l’autodénomination commune. Les dirigeant·e·s du syndicat insistaient sur la nécessité de garder le terme « paysan » face à ceux qui inféraient le besoin de se référer dans le nom à une dimension seulement « ethnique », défendant l’usage du terme « originaire » et la suppression du terme « paysan». Pour les membres de la nation Yampara (ayllus), être du lieu était irréductible à la condition d’agriculteur. Ainsi, l’espace à partir duquel chacun·e engageait des opérations d’identification étaient leurs organisations politiques impliquant des modes de relation spécifique avec la terre et différents récits racontant l’histoire d’une appartenance à ce lieu. Dans les espaces de confrontation entre les manières d’appartenir émerge aussi une forme spécifique de subjectivité (Bayart et Warnier 2004, 58). L’opération qui consiste à se rendre extérieur aux pratiques, à la culture et au groupe, est précisément ce qui rend possible le groupe. La réinterprétation des évènements d’une histoire commune participe de l’exercice de repositionnement nécessaire à ces processus interactionnels de définition et d’identification.

Les interventions continuaient à se succéder et la tension dans la salle montait de façon exponentielle. Le président prit alors la parole pour proposer un vote afin de clore le débat. Il proposa deux noms : « Assemblée Autonomique Originaire de Tarabuco » et « Assemblée Autonomique Originaire Paysanne de Tarabuco ». Il rappela la règle de prise de décision par les deux-tiers des partecipant·e·s, que la plupart avait défendu en cas de non-consensus absolu ? Les membres de l’Assemblée procédèrent à un vote à main levée. Le résultat fut le suivant : 48 voix pour la première option et 36 pour la deuxième. La première option était gagnante, mais le résultat des voix ne correspondait pas aux deux tiers nécessaires pour la valider. Le dirigeant de la CS qui plaida en faveur du respect de la Constitution s’adressa à l’Assemblée pour exiger de respecter la règle des deux tiers et accusait les membres de la direction de provoquer le manque d’adhésion, cherchant à imposer leurs propositions. Le représentant du ministère reprit la parole :

Il est certainement très intéressant de débattre sur le « pourquoi » des termes « paysan », « originaire » et « indigène ». La Bolivie est un État Plurinational en voie de décolonisation qui a cinq organisations matrices au niveau national, comme vous savez ; la CSUTCB, le CONAMAQ, la CIDOB, les « Bartolinas » et les « Colonisateurs » (migrants paysans). Suivant la logique du processus de décolonisation, les colonisateurs ont accepté de changer de nom. Ils sont appelés les « interculturels », mais on a respecté leur identité, qui demeure inchangée. Si on s’accroche aux vieilles structures, on continue à alimenter la colonisation […]. Le terme « indigène » fait référence à quelque chose de très général au niveau national, comme les termes « originaire » et « paysan ». Les noms ne sont pas importants, ils ne changent rien, l’identification n’est pas importante car l’organisation sociale, elle, demeure. Ce sur quoi nous devons discuter sont des sujets comme l’éducation, le gouvernement, la santé, la justice… voilà ce qui importe ! Il me semble d’ailleurs que ce qu’on a ici, ce n’est pas un problème d’identification, c’est un problème entre les organisations. Finalement, vous allez être autonomes, il faut donc arrêter de penser en termes d’organisations, et penser les choses de façon unifiée, dans son ensemble. L’AIOC sert à consolider notre territoire, notre identité, c’est ça l’AIOC. L’AIOC c’est nous tous qui sommes ici présents. Pourquoi on s’attarde alors sur cette discussion à propos des termes ? Que l’on veuille ou pas, on est dans un État Plurinational, dans lequel on respecte toute sorte d’idéologie. Mais en tant qu’AIOC, nous devons penser à ce qui va nous assurer le développement : c’est à ça qu’il faut penser d’abord, car c’est ce qui va déterminer nos vingt ou trente années à venir. Focalisons-nous sur Tarabuco et oublions Chuquisaca, Sucre… l’idéologie de chacun, c’est l’affaire de chacun.

Ce discours réussi à éteindre provisoirement le débat qui s’était formé. Le président, profita du moment d’apaisement pour relancer le vote à propos du nom de l’assemblée. Néanmoins, aucune des deux propositions n’obtint les deux-tiers nécessaires, et le nouveau vote donna un résultat presqu’identique : 47 voix pour la première et 37 voix pour la deuxième.

Le grand Kuraka de la nation Yampara prit la parole pour souligner qu’un vote devait être libre et qu’il lui semblait aberrant qu’à force de chercher obstinément les deux-tiers, les gens se sentent forcés de faire un choix auquel ils ne croyaient pas : « Le vote doit être libre, vous êtes en train de forcer les camarades ».

Le fonctionnaire du ministère et l’avocat de l’ONG s’approchèrent de la tribune et discutèrent en petit comité avec les membres de la direction pendant quelques instants. Les interventions à propos de la modalité de vote commençaient s’alternaient à nouveau avec des prises de parole exprimant ce à quoi renvoyaient les termes, s’éloignant une nouvelle fois des inquiétudes des fonctionnaires relatives aux questions d’organisation. Un membre d’un ayllu expliqua à ce propos que pour lui, le « paysan » est celui qui n’a pas de domicile fixe, et qui va d’un endroit à un autre, comme un animal. La comparaison fut vécue comme une insulte par certains membres du syndicat. La tension était à son paroxysme. Un membre du syndicat pris ensuite la parole pour suggérer que certain·e·s membres de l’assemblée avaient reçu de l’argent en échange de leur voix. La matinée s’écoulait autour de la question de la dénomination de l’assemblée, sans qu’un quelconque consensus soit trouvé. La direction proposa alors de marquer une pause afin que les membres de l’assemblée se concertent par organisation et favoriser de la sorte la construction des deux-tiers nécessaires pour organiser un troisième vote18.

Ce que les fonctionnaires du ministère imaginaient comme un dispositif qui révèlerait le groupe Tarabuco, s’avéra être un espace de production de ce groupe. Définir ceux qui font l’autonomie de Tarabuco, à savoir ses habitant·e·s, impliquait de statuer sur les pratiques légitimes du futur territoire autonome, définissant le sujet de ce droit à l’autogouvernement. Dans le processus, des groupes hétérogènes émergent, incapables les uns comme les autres de générer un consensus autour de leurs positions. Et ce, entre autres, du fait du rappel constant par les fonctionnaires du cadre légal qui interrompait le processus de description des pratiques et des points de vue.

Les fonctionnaires du ministère semblaient vouloir empêcher sans cesse ce mouvement. S’ils évoquaient l’assemblée constituante et le moment d’élaboration de la formule « Autonomie Indigène Originaire Paysanne », c’est pour généraliser la portée de ces termes et court-circuiter les opérations d’identification hétérogènes mais spécifiques avec ces différentes notions au nom d’une avancée dans l’organisation de l’autonomie à Tarabuco. En effet, alors qu’ils considèrent l’identité des « indigènes originaires paysans » comme étant une seule catégorie fixe ne nécessitant aucun débat, la loi d’autonomies et la conversion en AIOC ouvre un espace que les organisations sociales investissent pour débattre de l’identité du collectif censé basculer dans le régime d’autogouvernement. Le fonctionnaire du ministère tente néanmoins à plusieurs reprises de dissoudre le débat autour des identifications par le biais d’un exercice constant de redéfinition des enjeux de l’AIOC, et de l’AIOC elle-même. Il tente d’éviter à tout prix l’exercice d’identification que pourtant exige le dispositif d’AIOC que requiert de la rédaction d’un statut d’autonomie. En reléguant les identifications au plan de l’idéologie, le fonctionnaire essaye d’éviter que l’AIOC soit désarticulée de la logique étatique dans laquelle elle est univoque et consiste en un dispositif de décentralisation. Il reproche aux membres de l’assemblée d’oublier les thématiques réellement importantes de l’AIOC : la santé, l’éducation, le développement.

Dix minutes plus tard, au retour de la pause, les membres de l’assemblée procédèrent au vote, mais les deux tiers nécessaires à la prise de décision firent à nouveau défaut. Un camarade du syndicat proposa alors officiellement de changer la règle des deux-tiers, demandant aux représentant·e·s du ministère et de la Fundación Tierra de leur venir en aide. Ce dernier leur reprocha tout d’abord de n’avoir pas vraiment muri leurs positions pendant la pause. Puis, il proposa, comme unique voie légale pour changer la règle d’approbation, d’organiser une réunion de la direction afin d’établir une nouvelle règle et la soumettre ensuite à l’assemblée. La plupart des participant·e·s n’étaient pas d’accord avec le fait que la direction propose une solution vis-à-vis de laquelle ils pourraient seulement s’exprimer pour ou contre. Ils et elles préféraient en discuter en assemblée.

Chaque intervenant·e proposait son point de vue dans le but de générer une adhésion. Les tours de paroles successifs expriment différentes visions répondant au besoin non pas de créer des majorités, mais un consensus général autour d’un sujet. Ce qui se rapprochait le plus du consensus, lorsque celui-ci n’était pas atteint, c’était la règle des 2/3. Les postures et les points de vue n’étaient donc pas toujours alignées en fonction des organisations pour favoriser l’adhésion. Dans les assemblées internes aux organisations auxquelles j’ai assisté, chacun·e donne son point de vue, considéré comme un apport dans le but de construire des positions collectives.

Les membres de la direction, le représentant du ministère et l’avocat de la fondation Tierra se réunirent une deuxième fois en petit comité pour tâcher de trouver une solution. Ils décidèrent alors de marquer la pause-déjeuner à ce moment-là. Durant celle-ci, le fonctionnaire proposa aux membres de la direction un nouveau nom pour l’assemblée : « Assemblée autonomique délibérative de Tarabuco ». Sur un ton d’indifférence simulée, le fonctionnaire proposa au président de supprimer les adjectifs qui freinaient (travaban) l’avancée du travail de l’assemblée :

Le fonctionnaire : –Ce que je pense maintenant, c’est que ceux qui proposent de mettre « paysan » expliquent pourquoi ils veulent coûte que coûte que « paysan » apparaisse dans le nom, pour qu’ils argumentent sérieusement : « Moi je le veux pour telle et telle raison » ; parce que ce que je vois ici, c’est une affaire d’intérêt [personnel]. Peut-être qu’on se trompe, je ne sais pas. Ceux qui sont en train de voter systématiquement contre, qu’ils parlent. Le problème, c’est aussi que vous avez insisté avec la règle des deux-tiers, et c’est trop, c’est plus facile avec une majorité simple. Mais maintenant, ils ne voudront pas revenir là-dessus. Qu’est-ce qu’il y aurait comme autre solution ? Que l’on supprime indigène originaire et paysan.

Le président : – Non, non, on ne peut pas faire comme ça… et dans le statut, après… ?

L’avocat : – Ah oui ça, ça serait possible.

Le président : – Aïe, non…

Le fonctionnaire : – Si, parce qu’au final, de toutes façons, les trois vont devoir apparaître dans le statut, moi je vous le dis.

Le président fut convaincu par la solution que proposait le fonctionnaire. Au retour de la pause, la direction se disposa à organiser un nouveau vote, ce qui, finalement, ne s’avéra pas nécessaire. Lorsque le nouveau nom proposé par l’organe directeur fut projeté sur le mur, l’assemblée l’approuva immédiatement par acclamation. Cette troisième proposition, « Assemblée Délibérative de Tarabuco », qui écartait les adjectifs autour desquels les membres de l’assemblée s’étaient livrés à un débat survolté, obtint le consensus tellement recherché. L’après-midi fut consacré à la révision et à l’approbation, article par article, du règlement interne. S’il fut rythmé par quelques moments de tension et de débat, ceux-ci ne furent pas comparables avec la controverse houleuse autour de la dénomination de l’assemblée.

À l’instar des autres « assistants » de l’assemblée comme les ONG, les fonctionnaires du ministère avaient un rôle d’arbitrage d’une importance capitale au sein du processus de conversion. Si leur mission était d’assister en toute neutralité les membres de l’assemblée délibérative, le travail de retraduction constante des termes de la discussion en un langage d’État est tout sauf une tâche neutre. L’articulation entre les collectifs cheminant vers des formes d’autogouvernement et l’État repose sur leur capacité à traduire et à reformuler constamment les logiques autochtones hétérogènes en langage d’État et vice versa, avec tous les risques et les difficultés inhérentes à la traduction et à la reformulation. Cette traduction transforme le dialogue entre l’État et les acteurs locaux sur le sens de l’autonomie, en une discussion sur le respect du cadre légal qui exprima les logiques de gouvernementalité (Foucault 2004) sousjacente à ce dispositif : l’intérêt pour les acteurs étatiques ne résidait pas dans l’expression de différentes cosmopolitiques (Latour 2007) et dans la tentative de les faire exister au sein du statut d’autonomie, mais de faire de l’AIOC une unité politico-administrative opératoire, capable d’assumer les prérogatives déléguées par l’État central. Paradoxe de la situation, c’est l’interruption du dialogue entre les partecipant·e·s qui va faire surgir une politique différente de celle de l’État bolivien, une politique s’exprimant précisément dans la volonté des député·e·s de l’assemblée de Tarabuco d’abandonner le processus d’autonomisation promu par le gouvernement.

La souveraineté étatique à l’épreuve de l’autonomie tarabuqueña

Le 25 mars 2013, un an et huit mois après la première séance de l’assemblée délibérative de Tarabuco, le ministère des autonomies considéra qu’il était temps de venir en aide une nouvelle fois. En effet, les membres de l’assemblée délibérative ne réussissaient pas à conclure la rédaction de leur statut d’autonomie. Depuis la dernière séance de l’assemblée délibérative qui avait eu lieu le 27 août 2012, il était devenu impossible de réunir un quorum suffisant pour que celle-ci puisse siéger. Ses membres, notamment ceux qui appartenaient aux communautés affiliées au syndicat, n’assistaient plus aux séances, lassés et profondément insatisfaits par le déroulement de ces dernières et par la forme que prenait peu à peu le statut, qu’ils trouvaient « trop indigène » [demasiado indígena]. Face à une telle situation de désaffection, le ministère et la direction de l’assemblée organisèrent une commission extraordinaire avec des membres des trois organisations sans tenir informée l’AD, afin de trouver une issue au blocage concernant la règle d’attribution du nombre de sièges par organisation au sein du conseil autonomique, futur organe de gouvernement. Cette façon de procéder du ministère fut très critiquée par les partecipant·e·s à la réunion, membres des ayllus, syndicat et voisinage confondus. La convocation à cette commission fut finalement annulée et remplacée par ce qui fut appelé une « réunion de rapprochement » entre les organisations.

L’un des deux représentants du ministère présents insista sur l’état d’épuisement dans lequel se trouvaient les membres de l’assemblée délibérative de Tarabuco, tout comme le personnel technique du ministère chargé du soutien logistique aux AIOC.

2015 approche camarades19, il faut finir le statut, on est très préoccupés. Il y a des articles très faibles, il faut leur donner plus d’identité en lien avec la culture yampara, il faut l’améliorer. Le ministère est là pour vous donner un soutien technique et logistique aussi, il faut qu’on voit comment on va traiter tout ça mais c’est un peu fatiguant. Ça fait quatre ans ? qu’on est dedans ; si ce dont vous avez besoin c’est de soutien technique, nous on vous l’offre, pour vous soutenir.

Dans la pièce régnait un sentiment d’agacement. Nombre des partecipant·e·s ne voulaient plus entendre parler de l’AIOC et du statut d’autonomie. Le secrétaire d’organisation de la centrale proposa même de convoquer immédiatement un référendum d’approbation du statut d’autonomie : « Allons au référendum une fois pour toutes au lieu d’être ici à nous disputer entre nous, et on verra à ce moment-là ce qui est décidé ». Le représentant du ministère s’y opposa : « Non ! Il faut y remédier maintenant ». Il proposa une solution technique pour la distribution équitable des sièges au sein du gouvernement autonomique. Pour cela, il utilisa les données du recensement de population de l’Institut National de Statistique (INE) de 2002. Il suggéra la composition d’un conseil autonomique à cinq ou à sept sièges distribués entre les trois organisations en fonction du nombre d’habitants affiliés à chaque organisation. Quand il eut fini son explication, il insista sur la simplicité de la méthode proportionnelle pour attribuer les sièges.

Certaines personnes se montrèrent favorables à un conseil autonomique à cinq sièges. Mais au cours des séances de l’AD, ses membres avaient décidé que le conseil autonomique aurait sept sièges. Le porte-parole des assemblées de voisinage protesta, arguant un manque de respect vis-à-vis du travail des députes de l’AD. Le représentant des ayllus proposa à nouveau de discuter l’article 23 en assemblée, et de reprendre tout le statut avec le reste des membres de cette dernière. Le grand kuraka de la nation Yampara s’adressait aux personnes assises à proximité de lui à propos de la vision technique offerte par le fonctionnaire : « Il ne fallait pas qu’ils montrent cette méthode tout de suite. Maintenant on va croire que c’est comme ça qu’il faut faire ». Face à la méfiance qui se dégageait chez certains membres de la réunion, le représentant du ministère insista sur le fait qu’il ne s’agissait-là que d’un point de vue, en l’occurrence technique, qui pouvait ne pas correspondre avec les critères sur lesquels les organisations souhaitaient s’appuyer pour procéder à la distribution des sièges. Nombre des présents – membres de communautés-ayllus et d’assemblées de voisinage, majoritairement – rétorquèrent au représentant du ministère que ce n’était pas une question de perception mais de respect vis-à-vis du travail fourni par l’assemblée. Le maire de Tarabuco reprocha à ces individus d’avoir une attitude polémiste : « Nous ne sommes pas en train de décider de quoi que ce soit. Le président de la direction est d’accord avec le fait qu’on fasse cette réunion et que le résultat de nos discussions soit soumis à l’assemblée ». Il souhaita rappeler qu’il ne s’agissait pas de prendre des décisions au nom des membres de l’assemblées, mais seulement d’élaborer des propositions sur lesquelles ils et elles pourraient s’exprimer et avoir le dernier mot. Les partecipant·e·s à la réunion ne savaient pas avec précision ce qui avait été décidé en assemblée. Les représentants du ministère décidèrent alors de distribuer des photocopies du dernier brouillon du statut d’autonomie. Ceci n’arrangea point les choses : les municipalités en voie de conversion en AIOC devaient, par mandat du ministère, travailler de concert avec le Projet de Développement Concurrent Regionalisé (PDCR, Proyecto de Desarrollo Concurrente Regionalizado), une équipe de consultants en droit, chargés d’harmoniser le statut d’autonomie avec la Constitution et les autres traités internationaux de façon à garantir une compatibilité des normes. Le PDCR était chargé de revoir le texte et de le commenter afin de faciliter le travail des membres des assemblées délibératives. Le premier brouillon du statut d’autonomie de Tarabuco était passé une première fois entre les mains des consultants du PDCR. Tout le long du texte, ces derniers avaient changé « statut d’autonomie » par « charte organique ». Ceci était le nom que recevaient les textes des municipalités en voie de conversion vers le régime d’Autonomie Municipal20. Or à Tarabuco, il s’agissait bien d’une municipalité en voie de conversion en Autonomie Indigène Originaire Paysanne. La personne qui fut la première à repérer l’erreur fut le président du conseil municipal, qui prit la parole pour dire qu’il pensait qu’il s’agissait d’une manœuvre du ministère : « Les consultants ont modifié [le texte], ils ont introduit des erreurs. Belle excuse pour écraser le travail des peuples originaires ».

La plupart des personnes présentes commencèrent alors à chercher dans le texte les coquilles et maladresses attribuées aux consultants du PDCR. Ils en trouvèrent plusieurs. Elles furent interprétées par les membres des ayllus comme un sabotage direct des AIOC de la part du ministère et du gouvernement, alors que le vice-ministre la qualifiait de clé de voûte de l’État Plurinational, garante du processus de décolonisation de l’État entamé depuis l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir.

Le représentant des assemblées de voisinage exprima aussi son mécontentement vis-àvis du travail du PDCR et du ministère : « Avant, vous vouliez nous imposer comment faire notre AIOC, alors que vous êtes censés nous apporter seulement des conseils. Maintenant vous glissez des erreurs dans notre texte via le PDCR pour nous mettre en difficulté… ». Ces paroles incendièrent la réunion. Un murmure incessant occupait la salle. La direction décida alors de marquer une pause pendant laquelle la majorité des présent·e·s décidèrent de faire pression sur la direction pour qu’elle accepte d’envoyer le statut d’autonomie en l’état au Tribunal Constitutionnel (dernière étape avant la convocation de référendum populaire d’approbation).

Le statut d’autonomie de Tarabuco n’était pas abouti. Mis à part les erreurs qui avaient été glissées par le PDCR dans le document, cette version n’avait pas été approuvée par les 2/3 des membres de l’AD ; les représentants du ministère signalèrent que l’abrogation du statut par le Tribunal Constitutionnel serait certaine s’il était envoyé en l’état. La proposition d’envoyer le statut tel quel au Tribunal avait de nombreux soutiens : des membres de l’assemblée fatigués et déçus du travail fourni, exaspérés par le processus qu’ils considéraient une perte de temps, les leaders des ayllus et des assemblées de voisinage qui s’opposaient à la CS, dont les membres étaient majoritaires au sein de l’assemblée21, etc.

Face à un tel engouement pour l’envoi du statut d’autonomie au Tribunal Constitutionnel, le directeur des AIOC au sein du ministère, qui, jusqu’à présent, n’était pas intervenu, prit la parole :

Vous voulez que le statut soit envoyé tel quel au Tribunal Constitutionnel, cela doit apparaître officiellement par le biais d’un acte [de réunion] que tous les membres de la direction doivent signer. Mais sachez qu’il y aura des représailles et des sanctions car vous avez utilisé des ressources publiques en vain puisque l’AIOC ne verra jamais le jour à Tarabuco. Vous allez être persécutés et mis en prison, pensez bien à ce que vous faites.

Tous les membres de l’organe directeur signèrent l’acte officiel par lequel ils décidaient d’envoyer le statut en révision constitutionnelle, sachant que le texte ne passerait jamais le contrôle de constitutionnalité. La loi cadre d’autonomies stipulait une responsabilité légale vis-à-vis des institutions en charge de gérer les ressources transférées par le gouvernement central envers les unités locales. Cependant, ces responsabilités ne concernaient que les gouvernements autonomes constituées en tant que tels. Aucune mention explicite n’était faite sur la responsabilité pénale des institutions pendant le processus de conversion.

Cette dernière séquence donne à voir comment la tâche d’arbitrage des représentants du ministère d’autonomies est vécue par les acteurs locaux comme une véritable intrusion dans le travail des institutions locales. L’on reproche aux fonctionnaires de ne pas créer les conditions d’un véritable dialogue avec les institutions locales sur l’autonomie à construire.

Le désaccord émis à plusieurs reprises par les organisations locales envers le principe de représentativité basé sur une logique proportionnelle de distribution des sièges, peut être mis en parallèle avec l’existence de logiques économiques locales de redistribution qui n’ont rien en commun avec les normes proportionnelles qui régissent les logiques de représentativité. La rotation, ou muyu en quechua, est une pratique courante dans les Andes boliviennes. Le conflit autour de la composition de l’assemblée délibérative et du gouvernement autonome répond bien évidemment à un désir de peser dans les décisions. Nous avons en effet affaire à des personnes et des organisations qui défendent des conceptions différentes de ce que doit être l’AIOC. Malgré cela, les formes de participation au débat se conçoivent davantage dans les termes d’un accès égal à la prise de décision qui ne correspond pas à la logique proportionnelle ou au principe de représentativité des démocraties libérales (Manin 1996). La norme d’une majorité simple est impensable dans un contexte où les biens circulent constamment selon des logiques de réciprocité et de redistribution. Dans ce contexte, la légitimité de la décision repose sur la capacité à construire un consensus avec tous les agent·e·s en place. Si ce consensus n’est pas possible, alors la décision doit au moins être soutenue par les deux tiers du collectif.

Conclusion

Les fonctionnaires du ministère étaient chargés de cadrer la production d’ethnogenèses locales qui émergeaient de l’exercice d’autodéfinition qui avait lieu dans l’assemblée en charge de la rédaction du statut d’autonomie. Leur tâche était de rendre ces récits compatibles avec les demandes de l’État central. Tous les collectifs se déclarant « autonomes » devaient rédiger leurs statuts selon le même canevas et identifier des éléments considérés communs par l’État : une culture, une histoire un territoire (Springerova et Valiskova 2017).

Les deux descriptions montrent comment face au processus top down, les député·e·s produisent des formes autres d’autonomie qui se présentent comme des formes de contre-pouvoir : les député·e·s exprimèrent l’hétérogénéité de leurs attachements, notamment à l’égard des valeurs véhiculées par leurs organisations, par-dessus les injonctions à un consensus émises par le fonctionnaire du ministère. Ils et elles revendiquèrent aussi une autonomie dans les décisions concernant les modalités des prises de décision. Et lorsque le ministère essaya de forcer la convergence face à un scénario de dispute, ils et elles décidèrent par consensus, ici c’est-à-dire de façon unanime d’abandonner le processus de conversion. Ils et elles accomplirent de la sorte un geste d’émancipation double : vis-à-vis de l’exercice d’autodéfinition « diminué » par les manœuvres des fonctionnaires, et vis-à-vis de l’autonomie en tant que dispositif pré-fabriqué, n’ouvrant pas in fine sur un processus de définition autonome. Des travaux sur l’AIOC décrivent ce phénomène comme une tutelle, et la relation de l’État aux collectifs en conversion vers l’autonomie comme une dialectique (Rousseau et Manrique 2019). S’il est vrai qu’il existe une multiplicité de cas et des trajectoires dans les processus de conversion en AIOC, dans le cas de Tarabuco, il me semble que nous sommes face à un geste de résistance qui met en échec la dialectique que l’État essayait de mettre en place aux débuts du processus.

Auteure

Verónica Calvo Valenzuela est docteure de l’Institut d’Études Politiques (2017). Son terrain de thèse à Tarabuco (Andes boliviennes) s’est caractérisé par la mise en œuvre d’une ethnographie au long cours. Ses travaux dialoguent fortement avec l’anthropologie sociale et plus récemment avec les sciences de la Terre : à l’issu de deux ans d’Attaché temporaire de recherche et d’enseignement (ATER) (2017-2019), elle entame une collaboration au sein de Chaire Laudato si'. Pour une nouvelle exploration de la Terre du Collège des Bernardins qui abrite le projet des Ateliers Où atterrir ? – inspirés par les travaux et le dialogue avec Bruno Latour – dont elle devient ingénieure de recherche en 2021. Au carrefour de l’histoire de l’environnement, de la géochimie, de la théologie et de la sociologie, ces ateliers constituent un terrain de recherche postdoctorale. Elle enseigne en parallèle l’anthropologie à l’Institut Catholique de Paris et est membre associée du Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL) : Ecole Pratique des Hautes Etudes / Centre National de Recherche Scientifique (EPHE/CNRS).

veronica.calvovalenzuela@gmail.com

Membre associée GSRL (EPHE/CNRS)

Verónica Calvo Valenzuela has a PhD from the Institut d’Études Politiques (2017). Her thesis fieldwork in Tarabuco (Bolivian Andes) was characterized by the implementation of a long-term ethnography. Her work is in strong dialogue with social anthropology and, more recently, with the Earth sciences : at the end of two years as Teaching assistant (ATER) (2017–2019), she began a collaboration within the Laudato Si’ Chair at the Collège des Bernardins, which hosts the Where to land ? – workshops project, inspired by the work and dialogue with Bruno Latour – of whom she will became a research engineer in 2021. At the crossroads of environmental history, geochemistry, theology, and sociology, these workshops constitute a field for her post-doctoral research. She also teaches anthropology at the Institut Catholique de Paris and is an associate member of the Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL) : Ecole Pratique des Hautes Etudes/Centre National de Recherche Scientifique (EPHE/CNRS).

veronica.calvovalenzuela@gmail.com

Associated member GSRL (EPHE/CNRS)

Références

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  1. Si le terme «indigène» fut une catégorie coloniale, en Bolivie il a subi un processus de réappropriation par les populations amérindiennes qui de nos jours l’emploient et le revendiquent. Le terme «autochtone» plus fréquent en français n’est quasiment pas utilisé en Bolivie. Ainsi, malgré sa connotation péjorative dans le contexte postcolonial français, j’ai décidé de garder le terme « indigène » afin de rester au plus près des constructions historiques des pays andins, étant moi-même bolivienne et descendante de famille indigène.

  2. Une initiative politique connue sous le nom d’« agenda d’octobre ». On appelle « bloc populaire » l’ensemble d’organisations qui propulsèrent Evo Morales au pouvoir : la Confédération Syndicale Unique des Travailleurs Paysans de la Bolivie (CSTUCB), la Conférence Indigène de l’Orient Bolivie (CIDOB) et le Conseil National des Ayllus et Markas du Qollasuyu (CONAMAQ), le syndicat de femme ouvrières Bartolina Sisa (CNMCIOB « BS ») et la Conférence Syndicale de Communautés Interculturelles de la Bolivie (CSCIB). Le CSCIB est composée de familles andines ayant migré vers l’Orient bolivien à la recherche de terres.

  3. Les basses terres désignent en Bolivie toute la partie Est, amazonienne, du pays, composée essentiellement de savane et de forêt.

  4. La constitution espagnole de 1978 organise le territoire en dix-sept communautés autonomes visant à reconnaitre les nationalités existantes dans le pays (notamment la nationalité basque et catalane) et les spécificités culturelles et linguistiques régionales. Les gouvernements autonomes sont dotés de capacités administratives et législatives, disposant de leurs propres parlements.

  5. La loi cadre d’autonomies a été modifié en 2013, introduisant une dernière contrainte, la validation du statut d’autonomie par l’assemblée législative.

  6. Les articles 289 et 296 de la Constitution et les articles 42 et 51 de la Loi Cadre d’Autonomies et Décentralisation stipulent que l’AIOC ne concerne que les peuples et les nations de la Bolivie dont «l’existence précède l’époque coloniale et partageant les mêmes institutions juridiques, politiques, sociales et économiques propres, indigènes, originaires ou paysannes».

  7. Ce terme il faut le comprendre ici dans sa dimension administrative, à savoir, un institution qui se gère dans une indépendance relative vis à vis de l’État central, contrairement à l’adjectif «autonome» qui fait référence de façon générale à une indépendance absolue.

  8. La Centrale syndicale de travailleurs paysans de Tarabuco, affiliée au niveau national à la CSTUCB, est l’une des organisations matrices de l’Instrument politique pour la souveraineté des Peuples – MAS-IPSP Mouvement vers le Socialisme-Instrument Politique pour les Peuples, dont fut leader, jusqu’en 2019, Evo Morales, par ailleurs président de Bolivie entre 2006 et 2019.

  9. Condition obligée pour lancer le processus de conversion. Ce référendum de consultation à propos de la conversion de Tarabuco en AIOC fut organisé en décembre 2009. Le résultat fut de 96,5% des voix en faveur de la conversion.

  10. Le terme ayllu signifie famille en quechua. De nos jours, le terme fait plutôt référence à l’idée de communauté indigène originaire. Avant la Conquête, les ayllus étaient des lignages distribués géographiquement en archipels verticaux afin d’accéder à différents étages écologiques (Murra 1978 ; Rowe 1946). Pendant la période coloniale les ayllus furent obligés à acquérir des titres de propriété foncière qui les transformèrent en unités de production and propriété communale (Platt 1984). L’ayllu est revendiqué de nos jours par des activistes et intellectuels andins comme une alternative politique et économique au néolibéralisme (Fabricant 2010 ; Weistmantel 2006).

  11. La Loi de Participation Populaire.

  12. Les communautés paysannes comme les communautés indigènes sont des hameaux reconnus par la Loi de Participation Populaire (1994) comme des Organisations Territoriales de Base.

  13. Plus tard, la loi va renommer ces structures « TIOC » : Territoire Indigène Communautaire Paysan.

  14. Le document énonçait, par le biais d’une série d’articles, les règles et les mécanismes de participation encadrant les délibérations et les prises de décisions.

  15. Consensus dans ce contexte signifie de façon unanime.

  16. Gonzalez Sanchez de Lozada fut président de la Bolivie entre 1997 et 2005. Son parti était le Mouvement National Révolutionnaire, principal acteur de la Révolution de 1952 qui aboutit à une vaste réforme agraire et à la création d’un syndicat paysan. Sanchez de Lozada abandonna la Bolivie pour se réfugier aux États-Unis suite à la guerre du gaz, une grande mobilisation populaire qui s’opposa à la vente du gaz bolivien via le territoire chilien.

  17. Il s’agissait de la première assemblée constituante dans laquelle les député·e·s étaient issu·e·s de toutes les catégories sociales et culturelles du pays.

  18. La pause, ou «cuarto intermedio», dans des moments conflictuels comme celui-ci, est une pratique courante dans les milieux syndicaux pour favoriser la concertation et pouvoir construire des majorités en vue d’un vote. L’expression désigne à l’origine un quart d’heure de pause, et ses origines se remontent aux premières discussions en assemblée et à l’intérieur des corps collégiaux, du temps de l’indépendance de la Bolivie.

  19. Le délai pour conclure les processus de conversion en AIOC était mars 2015.

  20. Il existe quatre régimes différents d’autonomie : départementale, municipale, régionale et indigène originaire paysanne.

  21. Ils et elles ont analysé le désintérêt vis-à-vis des AIOC comme le résultat d’un excessif centralisme dans sa mise en place et de son caractère très exigeant sur le plan bureaucratique.